Il y a de ces coïncidences qui me laissent parfois pantois. Le 8 décembre dernier, j’apprenais le décès de John Glenn, alors que j’attendais un vol à l’aéroport de Columbus qui porte son nom ! Comble de l’ironie, j’étais témoin une vingtaine de minutes plus tard de l’atterrissage du Trumplane, le Boeing 757-200 privé du futur président des États-Unis. Je me suis alors dit que ce pays est à la fois capable du meilleur et du pire. Aussi stupéfait que la majorité des Canadiens et des Américains par le Trumpocalypse, je n’ai pas l’intention d’élaborer davantage sur ce anti-héros mégalo-narcissique. Je vais plutôt vous entretenir sur le rôle important joué par cet aéroport dans l’histoire aéronautique des États-Unis.
Un des grands centres urbains de l’Ohio avec Cleveland et Cincinnati, la ville de Columbus est la capitale de cet état du Midwest américain dont la façade «maritime» donne sur le grand lac Érié. Territoire traditionnel des amérindiens Shawnees, la première présence européenne en Ohio remonte à l’époque de la Nouvelle-France qui vint à englober l’ensemble du territoire des Grands Lacs. Suite au retrait de la France, le parlement anglais vota l’Acte de Québec en 1774 qui annexa le territoire de l’Ohio à la province de Québec. Il n’est donc pas étonnant de voir des noms de consonance française dans la toponymie de l’Ohio. Toutefois, la guerre d’indépendance américaine retraça une nouvelle fois les frontières et l’Ohio devint le dix-septième État des États-Unis d’Amérique en 1803. L’existence de Columbus est encore plus récente puisque sa fondation ne remonte qu’en 1812. La ville se développa rapidement et devint une plaque tournante de transport après la construction d’un canal permettant d’accéder au lac Érié en 1831, puis la création d’une route nationale en 1833 et l’ouverture d’un premier chemin de fer en 1850. Un des symboles de cette ville est le magnifique gratte-ciel LeVeque de style art déco inauguré en 1927. Dès 1929, cette ville dynamique se dotait également un aéroport commercial baptisé Port Columbus, où l’on peut encore admirer l’aérogare d’origine avec sa tour de contrôle magnifiquement restaurés.
À l’instigation de divers promoteurs, dont Charles Lindbergh, Port Columbus fut le point de départ du premier service transcontinental de transport de passagers assez particulier. Alors que relier la côte Atlantique à celle du Pacifique en train prenait alors au moins trois jours, l’entreprise Transcontinental Air Transport (TAT) effectuait le 7 juillet 1929 la première liaison intermodale entre New York et Los Angeles en deux jours, combinant l’avion de jour et le train de nuit. La première étape entre New York et Columbus s’effectuait en train où les passagers montaient à bord d’un avion Ford Tri-Motor jusqu’à Waynoka en Oklahoma. De là, le voyage se poursuivait en train jusqu’à Clovis au Nouveau-Mexique, d’où le dernier trajet s’effectuait par la voie des airs jusqu’à Los Angeles ou San Francisco. Bien que permettant de sauver une journée de voyage pour les personnes fortunées, certains eurent tôt fait de se moquer de l’acronyme TAT en disant que cela signifiait «Take a Train». Ce n’est toutefois pas le cynisme qui eut rapidement raison de ce service particulier. C’est plutôt l’apparition d’instruments de navigation permettant des vols de nuits qui mit fin à ce type de liaison au bout de cinq ans. Port Colombus demeura toutefois un aéroport important, d’où les passagers pouvaient poursuivre leur voyage en train lorsque les conditions météorologiques clouaient les avions au sol.
À l’aube de l’entrée en guerre des États-Unis dans les années 1940, Port Columbus prit un tournant résolument militaire. Sous l’impulsion de l’agence Defense Plant Corporation (DPC), mise sur pied par le gouvernement américain en 1940 afin d’augmenter la capacité de production d’armes, l’Air Force Plant 85 fut construit en 1941 sur les terrains attenants à l’aéroport. Aussi, la marine américaine y implante le Naval Air Station (NAS) Port Columbus en 1942. Durant la guerre, l’avionneur Curtiss-Wright y assembla plus de 5 000 bombardiers en piqué SB2C Helldiver. Au plus fort de la production, Curtiss-Wright y employait près de 25 000 personnes, dont une large part de femmes.
De retour sous autorité civile en 1946, l’aéroport reprit le développement de liaisons aériennes, mais les activités de Curtiss-Wright déclinèrent drastiquement. Le déclenchement de la guerre de Corée en 1950 donna une nouvelle impulsion à l’Air Force Plant 85. North American Aviation y installa des chaînes d’assemblage de chasseurs F-86 Sabre dont l’USAF avait grand besoin. Jusqu’à sa fermeture définitive au début des années 1980, ce complexe industriel va assembler une série d’avions légendaires: T-28 Trojan, F-100 Super Sabre, A-5 Vigilante, T-2 Buckeye, T-39 Sabreliner et OV-10 Bronco.
Aujourd’hui, Columbus n’est plus un centre de production aéronautique. Toutefois, NetJets Aviation qui se spécialise dans la location et la propriété partagée de jets privés, a son siège social et sa base principale à l’aéroport de Columbus. NetJets gère une flotte d’environ 650 jets privés aux États-Unis allant des petits Cessna Citation et Embraer Phenom 300, jusqu’aux grands Dassault Falcon 7X et Bombardier Global, en passant par les Bombardier Challenger intermédiaires. NetJets est d’ailleurs l’un des meilleurs clients de Bombardier.
Le rayonnement de Columbus dans l’histoire de l’aviation est aussi le fait de pilotes célèbres natifs de cette ville. Pilote de chasse durant la Première Guerre mondiale, Eddie Rickenbacker est le premier héros de l’aviation militaire américaine. Autre fils célèbre de Columbus, Curtis LeMay se distingua lors des campagnes de bombardements stratégiques de l’Allemagne et du Japon durant la Deuxième Guerre mondiale. De nature plus pacifique, l’exploit de Geraldine Mock, première femme à piloter un avion autour du globe, est également digne de mention. D’ailleurs, on retrouve une statue de cette femme remarquable à l’aéroport de Columbus.
Quant à John Glenn, bien qu’il soit natif de la petite ville de Cambridge en Ohio, l’aéroport Port Columbus fut renommé en son honneur en mai 2016 en reconnaissance de ses exploits aéronautiques, mais aussi de son service comme sénateur de l’Ohio de 1974 à 1999. Du haut des airs, l’aérogare de Columbus a d’ailleurs des allures d’un vaisseau spatial futuriste, ce qui convient fort bien à un ancien astronaute !
Selon la mythologie grecque, la vie après la mort se manifeste par la catastérisation, soit la transformation d’une personne en une nouvelle étoile dans le ciel. J’aime bien cette croyance, particulièrement pour John Glenn. Je lui souhaite un bon voyage cosmique !
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