Dans la série des aéroports insolites que j’ai eu la chance de visiter, celui de la capitale du territoire du Nunavut dans l’Arctique canadien est mémorable à bien des égards. D’abord un peu d’histoire. Situé dans la partie sud de la grande île de Baffin, l’endroit fut initialement nommé Frobisher Bay en l’honneur du marin et explorateur britannique Sir Martin Frobisher qui découvrit cette baie en 1576, à la recherche du passage du Nord-Ouest. Lointain et peu visité par les européens par la suite, ce n’est qu’au cours de la seconde guerre mondiale que cet endroit attire l’intérêt des alliés.
En 1940-1941, les navires transportant des avions de combat de l’Amérique vers l’Europe sont régulièrement attaqués et coulés par les U-Boote. Pour l’acheminement des bombardiers légers et lourds, le Ferry Command voit le jour à Montréal et utilisera l’aérodrome de Gander à Terre-Neuve comme tremplin vers Prestwick en Écosse. Canadiens et Américains cherchent toutefois de meilleurs emplacements pour l’implantation d’aérodromes permettant aux avions de combat à plus court court rayon d’action de voyager par les airs jusqu’en Grande-Bretagne. Cette nouvelle route aura pour nom Crimson Route et les étapes choisies seront : Goose Bay au Labrador, Fort Chimo (Kuujjuaq) au Québec, Frobisher Bay (Iqaluit) dans le Nunavut, de même que trois sites au Groenland (Narsarsuaq, Angmagssalik et Sondre Stromfjord (Kangerlussuaq). Inauguré en 1943, le nom de code de l’aérodrome de Frobisher Bay est Crystal II. Dès 1944, les U-Boote ne présentent plus une grande menace dans l’Atlantique Nord et la présence militaire à Frobisher Bay sera conséquemment réduite pour le reste du conflit. L’USAF demeura tout de même le principal utilisateur. On pouvait y lire sur une pancarte «Welcome to USAF Northeast Air Command Frobisher Bay. A naked girl behind every tree». Un accueil bien ironique pour cet aéroport situé en pleine toundra.
Avec l’avènement de la guerre froide, la signature de l’entente canado/américaine mettant sur pied le NORAD sera le début d’une seconde vie pour cet aéroport. Doté de l’une des plus longues pistes pouvant accueillir des avions de transport lourd, ainsi que des bombardiers stratégiques en cas de besoin, la Frobisher Air Force Base devint une véritable ruche lors de la construction des stations radar de la ligne DEW alignées au nord du cercle arctique. Le matériel transporté par bateau jusque dans la baie de Frobisher est par la suite transporté par la voie des airs vers les chantiers autrement inaccessibles. Au plus fort de la construction de la ligne DEW, l’aéroport enregistrait jusqu’à 300 vols par jour.
Aussi, en 1956, le canada autorise les Américains d’y baser en permanence des avions ravitailleurs Boeing KC-97 Stratofreighter pouvant supporter le déploiement rapide de bombardiers nucléaires Boeing B-47 Stratojet vers l’Europe en cas de besoin. L’USAF ferma ses dernières installations à Frobisher Bay en 1963 avec l’avènement des bombardiers Boeing B-52 Stratofortress à plus long rayon d’action. L’aérodrome militaire fut par la suite converti en aéroport civil.
En 1987, la ville s’étant implantée autour de l’aéroport prit le nom Iqaluit qui signifie «endroit poissonneux» en inuktitut. Iqaluit devenait la capitale du nouveau territoire canadien du Nunavut en 1999 et une plaque tournante du trafic aérien dans l’arctique avec les sociétés First Air et Canadian North qui offrent des vols directs depuis Montréal et Ottawa. En saison, on peut également y prendre un vol en direction du Groenland à bord d’un Dash 8 d’Air Greenland. Bien que de vocation surtout civile, l’aéroport sert aussi de base opérationnelle avancée pour les chasseurs CF-188 Hornet ainsi que les avions de patrouille maritime CP-140 Aurora de l’Aviation royale canadienne.
Parmi les visiteurs inhabituels, en plein cœur de l’hiver arctique, on compte des prototypes d’avions subissant des essais par grand froid. Ainsi, la première visite de l’Airbus A380 en Amérique du Nord s’effectua en février 2006 à Iqaluit. Au fil des ans, Iqaluit est devenu un centre d’essais incontournable pour la certification de nouveaux aéronefs.
Mais revenons à mes premières impressions lorsque, après plusieurs heures de vol à bord d’un 737-200 Combi, je sors de l’appareil. Parti de Montréal en tenue d’été, puisqu’en plein mois de juillet, je suis surpris par la neige qui tombe. Le paysage quasi désertique de la toundra, les petits icebergs qui flottent au loin dans la baie et la signalisation routière en anglais, français et inuktitut ajoutent au dépaysement. D’ailleurs, la population locale est en grande partie constituée d’Inuits (jadis nommés Eskimos). Durant mon séjour j’ai eu le privilège d’aller pêcher l’Omble chevalier (Arctic Char) dans la baie avec un guide inuit, une expérience inoubliable. Mais gare à la marée qui, avec 15 mètres d’amplitude, compte parmi les plus hautes au monde. L’abondance et surtout la taille des moustiques étonnent également, on pourrait croire qu’ils sont décelables sur l’écran radar de l’aéroport ! Pour ceux en quête d’un dépaysement total et d’un aéroport au bout du monde, Iqaluit est la destination toute désignée. Depuis 2017, une nouvelle aérogare accueille les passagers habituels et ceux à la recherche de dépaysement.
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