Dans la série «aéroports insolites», permettez-moi d’ajouter celui de Whitehorse dans le nord canadien. Lors d’un récent séjour d’affaires dans la capitale du Yukon, je me suis intéressé à l’histoire de cet aéroport juché sur un plateau surplombant la ville blottie sur les rives du fleuve Yukon. Pour la plupart, le Yukon évoque la nature sauvage et la ruée vers l’or du Klondike si bien décrites par le romancier Jack London dont on retrouve un buste au centre-ville de Whitehorse. La découverte de nombreuses pépites d’or le long de la rivière Klondike, un affluent du fleuve Yukon, fit sensation lorsque que d’impressionnantes cargaisons du précieux métal arrivèrent aux ports de Seattle et de San Francisco en 1897. Malgré le climat souvent extrême de cette région nordique fort difficile d’accès, cela provoqua une véritable ruée vers l’or. Bientôt des milliers d’aventuriers convergèrent vers les ports de Skagway et de Dyea dans le sud-est de l’Alaska, avant de franchir à pied la chaîne côtière de montagnes par les cols White et Chilkoot en direction de Whitehorse.
Ainsi nommé par des prospecteurs impressionnés par les fougueux rapides du fleuve Yukon évoquant la crinière d’un cheval blanc, ce lieu de pêche et de rassemblement estival pour les autochtones devint du jour au lendemain un important centre d’approvisionnement du Klondike situé plus en aval. Les radeaux firent rapidement place à d’impressionnants bateaux à vapeur sillonnant le fleuve. Un de ces derniers «River Boats» ayant navigué jusqu’en 1955, le SS Klondike, est aujourd’hui une attraction touristique à Whitehorse. Reliant le port de Skagway en Alaska, le White Pass and Yukon Railway fut inauguré dès le 29 juillet 1900, mais la ruée vers l’or était déjà pratiquement terminée et nombre de communautés ayant poussé comme des champignons, devinrent graduellement des villes fantômes. Whitehorse échappa à ce sort en demeurant la plaque tournante du transport ferroviaire et fluvial au Yukon offrant un débouché pour les gisements d’or, d’argent et de cuivre. L’avènement de l’aviation à Whitehorse attendra toutefois jusqu’en 1920.
Sous l’impulsion du célèbre William « Billy » Mitchell, aujourd’hui considéré comme le père de l’armée de l’air américaine, un premier grand raid aérien devant relier New-York et Nome dans le nord de l’Alaska fut planifié après-guerre. Choisi comme une des escales de ravitaillement, une piste rudimentaire fut aménagée sur le plateau surplombant Whitehorse. La mission de ce premier vol transcontinental vers l’Alaska fut confiée au Black Wolf Squadron de l’US Army. Décollant de Long Island le 15 juillet 1920, quatre biplans De Havilland DH-4 arborant la fameuse tête de loup atterrirent à Whitehorse le 16 août 1920 et atteignirent Nome huit jours plus tard. L’apparition des premiers avions dans le ciel de Whitehorse fit sensation, mais ce ne sera qu’en 1927 que les premières liaisons commerciales et services aéropostaux seront établis par l’entreprise Yukon Airways and Exploration Company. Le premier avion utilisé à cette fin fut un monoplan Ryan B-1 baptisé Queen of the Yukon. La même année, un avion analogue fit sensation à Paris, suite à la traversée de l’Atlantique effectuée par Charles Lindbergh.
Agrandi à quelques reprises, l’aérodrome de Whitehorse devint graduellement la plaque tournante du trafic aérien dans le Nord-Ouest et, en 1937, desservait notamment les entreprises United Air Transport, Northern Airways, British Yukon Aviation, Canadian Airways et Pacific Alaska Airways, en plus de l’Aviation royale canadienne (RCAF) et de l’USAAF qui y faisait transiter ses avions vers l’Alaska. Pendant un temps, la British Yukon Aviation opéra les plus gros avions de ligne au Canada, soit des Curtiss T-32 Condor de 18 sièges. Aussi, le gouvernement du Canada s’intéressa au développement d’un « Great Circle Route » vers la Chine en transitant par le Yukon, l’Alaska et la Sibérie. Ainsi, un vol entre Chicago et Hong Kong transitant par le Nord-Ouest serait 4 500 kilomètres plus court que les liaisons San Francisco-Honolulu-Manille-Chine alors effectuées par les Clippers volants de la PanAm. Ainsi, à compter de 1935, des aérodromes de relais furent aménagés à Grande Prairie en Alberta, à Fort St. John et Fort Nelson dans le nord de la Colombie-Britannique ainsi qu’à Watson Lake au Yukon. En 1940, des liaisons régulières vers Whitehorse débutèrent sur des avions ligne révolutionnaires, soit des Douglas DC-3 aux couleurs l’entreprise Canadian Pacific Air Lines. Aujourd’hui on peut admirer une immense girouette à l’entrée de l’aéroport de Whitehorse sous la forme d’un vieux DC-3 rappelant cette belle époque. Toutefois, le rêve du « Nothwest Great Circle Route » attendra dû au conflit sino-japonais, puis l’entrée en guerre du Canada contre le Japon en 1941.
Le chapelet d’aérodromes du Nord-Ouest canadien va toutefois se révéler un atout précieux lors de la Seconde Guerre mondiale car mis à profit pour l’établissement du Northwest Staging Route (NWSR) vers l’Alaska-Siberian Air Road (ALSIB). Sous contrôle de l’Aviation royale canadienne (RCAF) à compter de 1941, et partagé avec l’USAAF, l’aéroport de Whitehorse deviendra la plaque tournante de cette vaste opération de livraison d’avions de guerre vers l’Union Soviétique, tout aussi importante que sera le Ferry Command de l’Atlantique pour le front de l’Ouest. Au plus fort des opérations en 1943, une moyenne de 450 appareils par mois transitent par Whitehorse. Arborant souvent déjà l’étoile soviétique, bombardiers légers Douglas A-20 Havoc et North American B-25 Mitchell, avions d’attaque au sol Bell P-39 Airacobra et P-63 Kingcobra ainsi qu’avions de transport Douglas C-47 Skytrain seront les plus nombreux parmi les 8 000 appareils qui seront ainsi livrés aux soviétiques par la voie des airs.
Aussi, les États-Unis décident également de construire rapidement une route pour relier l’Alaska au reste de leur pays. Longue de 2 200 kilomètres, elle fut réalisée entre mars et novembre 1942 dans des conditions parfois épouvantables par des dizaines de milliers d’ouvriers militaires et civils. Situé pratiquement à mi-chemin du parcours, Whitehorse avec son aéroport et sa liaison ferroviaire vers le port en eau profonde de Skagway devint le centre névralgique de ce vaste chantier. Un oléoduc longeant le White Pass and Yukon Railway fut d’ailleurs construit à la hâte afin d’alimenter en carburant l’aéroport ainsi que la route. Même après la capitulation du Japon, l’importance stratégique de l’aéroport de Whitehorse demeura avec l’émergence de la guerre froide avec l’URSS. L’Aviation royale canadienne conserva d’ailleurs le contrôle de l’aéroport jusqu’en 1968, tout en y permettant des liaisons commerciales civiles.
Après-guerre, les Lockheed 18 Lodestar, Douglas DC-3, DC-4, et DC-6 civils desservant Whitehorse feront graduellement place aux turbopropulseurs Convair 240 et 580, puis aux Boeing 737 à compter du début des années 1970. Connu sous le nom d’Aéroport international Erik Nielsen depuis 2008, il est aujourd’hui administré par le Gouvernement du Yukon. Natif de la Saskatchewan, le jeune Erik s’enrôla dans l’Aviation royale canadienne dès ses 18 ans. Héros de guerre, il survécut miraculeusement à 56 missions de bombardement sur Avro Lancaster au-dessus de l’Europe, dont 23 comme homme d’équipage et 33 à titre de pilote. Ayant complété ses études en droit après-guerre, il s’installe à Whitehorse en 1952. Avocat et pilote à ses heures, il sera élu pour une première fois en 1957 au Parlement fédéral. Durant ses 30 années de vie politique durant laquelle il occupera divers postes, dont celui de vice-premier ministre, il sera un ardent promoteur du nord canadien et du développement de l’aéroport de Whitehorse. Surnommé Yukon Erik, il affectionnait particulièrement piloter son propre avion afin de visiter ses électeurs dispersées du Yukon.
Grâce à Yukon Erik, Whitehorse dispose aujourd’hui d’un aéroport moderne et fort respectable pour une petite ville. Whitehorse compte en effet moins de 28 000 habitants, dont 3 500 francophones. Tout de même bien desservie par les grands transporteurs nationaux que sont Westjet et Air Canada, elle est également le siège de l’entreprise Air North tout aussi active dans le transport de passagers que du cargo avec sa flotte de Boeing 737 et de turbopropulseurs Hawker Siddeley HS-748. On peut également y apercevoir à l’occasion des appareils de l’Aviation royale canadienne ainsi que les bombardiers d’eau qui en font leur base principale d’opération.
Le vol Vancouver/Whitehorse qui survole en grande partie les montagnes Rocheuses offre des panoramas grandioses. Évidemment, Whitehorse est aussi le paradis des amateurs d’avions de brousse qui utilisent non seulement l’aéroport, mais aussi la petite hydrobase du lac Schwatka située tout près de la ville et que je n’ai pu m’empêcher de visiter.
Bien que la légende raconte qu’au pays du Klondike on a qu’à se pencher pour ramasser des pépites d’or, personnellement j’en ai trouvé aucune. J’ai toutefois découvert une contrée fascinante et de l’or liquide sous forme de la «Yukon Gold », une bonne bière brassée localement, dégustée sous le soleil de minuit !
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