L’arc méditerranéen est actuellement une des zones de la planète où la guerre contre les feux d’espaces naturels est la plus visible. Parmi les pays qui mènent cette lutte sans merci l’Espagne tient une place à part. En effet en son sein les avions bombardiers d’eau dépendent des forces militaires, et plus particulièrement de l’Ejercito del Aire y del Espacio, et non d’administrations civiles comme c’est le cas en France ou en Italie. Pourtant quand on y regarde de plus près les missions sont les mêmes et le matériel identique. Gros plan donc sur ce Grupo 43 stationné sur la base aérienne de Torrejón de Ardoz en plein centre du pays.
C’est au cours de la seconde moitié des années 1960 que l’Espagne découvrit les travaux en France de la Protection Civile autour du Consolidated PBY Catalina. Des exemplaires amphibies du célèbre hydravion américain de la Seconde Guerre mondiale y étaient employés afin d’apporter une assistance aérienne aux sapeurs-pompiers luttant contre les feux de broussailles et de forêts autant dans le sud-est que dans le sud-ouest du pays. Des observateurs espagnols appartenant au ministerio de Agricultura y Pesca furent très intéressés par cette technique. En 1967 ils décidèrent de l’adapter à leurs besoins. Seulement voilà le seul et unique Catalina espagnol, un OA-10A saisi à l’US Army Air Force après un amerrissage d’urgence réalisé durant la guerre, n’était plus en état de vol. Il fallait donc trouver une autre solution.
Les décideurs du ministerio de Agricultura y Pesca pensèrent un temps racheter un lot de tels amphibies de seconde main auprès d’entreprises américaines. Sauf que l’administration franquiste n’était alors pas vraiment dans les petits papiers de l’US Department of State, en tous cas pas assez pour espérer obtenir de tels amphibies à un bon prix. À cette époque là le Dornier Do 24 commençait à quitter le service actif dans l’Ejercito del Aire où il était employé comme appareil de recherches et de sauvetages en mer. Seul hic avec ce trimoteur d’origine allemande c’était un pur hydravion. Le transformer à la fois en amphibie et en bombardier d’eau aurait représenté une charge industrielle bien trop lourde pour le constructeur espagnol Casa chargé par Madrid du programme. Là encore l’Espagne était dans l’impasse. Et là encore c’est de France qu’est parvenu la solution. En effet la Protection Civile avait signé un accord avec le constructeur canadien Canadair autour d’un tout nouvel appareil de lutte anti-incendies : le CL-215.
Le ministerio de Agricultura y Pesca se rapprocha alors de ce constructeur jusque là surtout connu pour ses productions sous licence locale d’avions militaires américains et britanniques. En 1969 il acheta trois Canadair CL-215. L’Espagne allait enfin posséder ses propres avions bombardiers d’eau. Petit souci cependant aucun pilotes du ministerio de Agricultura y Pesca ne savait prendre les commandes d’un amphibie bimoteur. Décision fut prise que la charge de mettre en œuvre les CL-215 reviendrait à l’Ejercito del Aire. D’anciens pilotes de Dornier Do 24 partirent donc pour le Canada afin de se transformer sur cette nouvelle machine bien plus moderne. Le premier exemplaire fut accepté au service le 8 février 1971, date de la création du Grupo 43. En Espagne on pensa un temps rentabiliser les trois CL-215 en les utilisant également pour des missions de recherches et de sauvetages en mer, notamment pendant l’hiver. Cependant les difficultés liées à la dépose des réservoirs d’eau firent rapidement abandonner cette idée. Les Canadair CL-215 espagnols étaient appelés à n’être que des bombardiers d’eau. Leur désignation devient alors UD.13 dans la nomenclature de l’Ejercito del Aire.
Durant l’été 1971 les équipages furent mixtes, avec des Canadiens et des Espagnols à bord des postes de pilotage. Et c’est le 9 juillet de cette année là, cinq mois après leur arrivée, que les Canadair CL-215 du Grupo 43 furent engagés pour la première fois. Si les largages d’eau furent de vraies réussite il y eut cependant trois blessés à cette occasion. Il s’agissait de pompiers au sol qui n’avaient pas compris qu’il ne fallait pas rester sous la zone de bombardement des avions. Fort heureusement ils s’en sortirent surtout avec des bleus. L’Ejercito del Aire défrichait littéralement ce domaine de vol en Espagne. L’été suivant les personnels canadiens avaient disparu des cockpits, laissant leurs collègues espagnols seuls aux manettes. En 1974 il devint évident que trois avions de ce type étaient insuffisants. Une commande fut passée pour deux exemplaires supplémentaires qui entrèrent en service juste à temps pour l’été 1975. Désormais cinq CL-215 volaient sous la cocarde rouge et jaune. Et le moins qu’on puisse dire c’est que leurs équipages ne chômaient pas. Canadair avait même fait des réussites espagnoles et françaises un argument de vente pour ses avions. Après un été 1976 dantesque et un été 1977 plus humide le Grupo 43 atteignit les 10 000 heures de vol sur CL-215 au début de l’été 1978.
Désormais chaque été les Canadair CL-215 espagnols étaient engagés… des deux côtés des Pyrénées. Un accord entre Madrid et Paris le permettait. Les années 1980 furent donc pour le Grupo 43 synonymes de coopérations internationales. Ses équipages s’exerçaient avec leurs homologues français mais aussi italiens. Ce fut aussi l’occasion des premiers renforts intercontinentaux, vers le Maroc. Pour autant les moteurs à pistons des CL-215 commençaient à montrer des signes de fatigues. Aussi l’Ejercito del Aire demanda à Canadair et Casa de travailler ensemble à la remotorisation des CL-215 avec des turbopropulseurs. Les vénérables Pratt & Whitney R-2800-83AM à 18 cylindres en étoile laissèrent de ce fait la place à des Pratt & Whitney Canada PW123AF. D’UD.13 ils devinrent UD.13T dans la nomenclature militaire.
Les années 1990 furent très similaires aux années 1980 pour le Grupo 43 de l’Ejercito del Aire. De nouveaux partenariats se dessinèrent avec la Grèce ou le voisin portugais. L’Algérie lui ouvrit aussi son espace aérien. L’année 1993 fut marquée par l’apparition d’une première femme pilote de CL-215T. Si la nouvelle motorisation donnait pleine satisfaction c’était cette fois les cellules qui fatiguaient. Aussi quand en décembre 1993 vola pour la première fois le Bombardier CL-415 beaucoup crurent alors qu’il allait rapidement voler sous les marquages espagnols. Il faudra en fait attendre le milieu de la décennie suivante pour que les premiers UD.14 n’apparaissent. En 2006 le CL-415 vole enfin en Espagne. Et cette fois pas question pour le Grupo 43 d’accueillir des équipages hispano-canadiens. Ses femmes et ses hommes connaissent leur métier et savent désapprendre ce qu’ils ont appris. En décembre 2013 il vole avec sa pleine dotation en CL-215T et CL-415, soit dix-huit avions. Et désormais ses équipages apprennent un nouveau mot issu du réchauffement climatique : mégafeu ! Ils ne tarderont pas à faire comprendre aux opinions publiques européennes que ces incendies XXL se moquent des frontières territoriales. Plus que jamais le Grupo 43 est interdépendant de ses alliances avec la France et le Portugal.
En 2024 avec une flotte ramenée à dix CL-215T et quatre CL-415 l’Ejercito del Aire y del Espacio fait le choix du futur et de la sécurité en achetant sept exemplaires du tout nouveau De Havilland Aircraft of Canada DHC-515 Firefighter. Le Grupo 43 va enfin entrer de plein pied dans le 21e siècle et dans la guerre contre le dérèglement climatique.
Unité d’élite de la lutte anti-feux en Europe le Grupo 43 a aussi connu ses drames. Quinze membres d’équipage ont péri en service commandé entre septembre 1976 et mars 2003. Aujourd’hui le CL-215 codé 4301 est une des pièces maîtresses des collections extérieures du Museo del Aire de Madrid.
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