Dans l’aéronautique peu de concepts sont aussi étroitement liés à un nom que les ailes volantes et Jack Northrop. L’ingénieur américain a voué une bonne partie de sa carrière, et de sa société, aux études et au développement de ces avions hors du commun, quitte souvent à ne décrocher aucun contrat. Mais surtout, il a permis de défricher totalement le domaine de vol de ces aéronefs si particuliers. Voici donc le propos de ce sujet, revenir sur une passion qui fut toute sa vie.
L’esquisse : le Model 1 de l’Avion Cie
Si Jack Northrop est devenu concepteur d’avions à vingt-et-un ans, aux côtés des frères Loughead, ce n’est que plus dix ans plus tard qu’il commença à travailler vraiment sur une aile volante. En effet, en 1928, il fonda, avec l’aide d’un financier, la société Avion Company. Northrop était décidé à développer et produire ses propres avions. Sa première, et unique, création fut l’Avion Model 1. Même s’il ne s’agissait pas encore à proprement parler d’une aile volante, elle en prenait bien le chemin, avec son fuselage totalement noyé dans la voilure. Cependant le Model 1 disposait de deux poutres reliées un empennage double dérive.
L’Avion Model 1 vola pour la première fois en septembre 1929. Pour des raisons de facilité de pilotage il fut décidé de modifier sa propulsion. Initialement doté d’un moteur Menasco Cirrus Mk-III d’une puissance de 70 chevaux à hélice propulsive, il fut finalement transformé de manière à recevoir un Menasco Pirate de 90 chevaux doté lui d’une hélice tractive, plus classique. Relativement léger, à peine 764 kilogrammes à charge, et assez lent, 175 km/h de vitesse maximum, l’Avion Model 1 ne fut jamais construit en série. Ses essais furent stoppées en septembre 1930, après le dépôt de bilan d’Avion Company. Ainsi se terminait la première incursion de Jack Northrop dans le domaine des ailes volantes.
La curiosité s’éveille avec d’autres tentatives ponctuelles
Par la suite il s’attela, pour son compte ou pour celui de Douglas à développer des avions nettement plus classiques. En 1937 toutefois, il proposa à l’US Army Air Corps un avant-projet pour un bombardier moyen rapide type aile volante dotée de deux moteurs propulsifs. Désigné Northrop Type 9 cet avion ne dépassa pas l’état de la maquette de soufflerie. Très en avance sur son temps, il n’intéressa pas les militaires américains.
Mais déjà Jack Northrop pensait à un autre avion, le Northrop N-1, un prototype d’aile volante destiné à valider le concept d’un bombardier à long rayon d’action capable de frapper l’Europe au départ de la côte est des États-Unis. Imaginé là encore avec des moteurs propulsifs le nouvel avion fut suivi d’une maquette de validation, désignée N-1M. Celle-ci nettement plus petite, monoplace, bimoteur, vola pour la première fois en juillet 1940. Il s’agissait de la première véritable aile volante au monde. Rapidement son existence fut connue et en 1943 les responsables militaires américains demandèrent son transfert dans l’US Army Air Force. Il faut dire que les aviateurs commençaient à se passionner pour ces avions étranges mais pour le moins intéressant.
Le premier prototype militaire
A la même époque Northrop travaillait sur le N-2, un prototype d’interception rapide, faisant lui aussi appel à une architecture de type aile volante. Affrontant des projets de Curtiss et de Vultee, le N-2 fut désigné XP-56 Black Bullet dans la nomenclature militaire américaine. Il devait être armé de deux canons de 20mm et de quatre mitrailleuses de 12.7mm. Destiné à abattre les chasseurs allemands de nouvelle génération comme le Dornier Do 335 et les avions à réaction, il fut finalement abandonné une fois la paix revenue. L’avènement du jet avait sonné le glas du Northrop XP-56.
L’oeuvre magistrale connue du grand public
Cependant Jack Northrop travaillait déjà sur l’un des projets de sa vie, le Northrop N-9, qui allait conduire aux fabuleux XB-35 et YB-49. Il s’agissait pour lui de concevoir une aile volante suffisamment attractive pour qu’elle décide les responsables militaires américains à franchir le pas et à se dévoiler en faveur de ces avions. Northrop y mit toutes ses tripes, tout son temps, toutes ses connaissances. Le résultat prit la forme d’un bombardier qui s’il ne dépassa pas le stade du prototype réussit le tour de force d’enflammer l’inconscient collectif. Même Hollywood était désormais piqué au vif par les ailes volantes. Ainsi le film « La guerre des mondes » utilisa en 1953 le YB-49 pour bombarder les méchants petits hommes verts qui envahissaient la Terre. Sans résultat, il faut bien le reconnaître. Mais le pli était pris, le monde connaissait dorénavant les ailes volantes. Même si ni le XB-35 ni le YB-49 ne furent construits en série, ils permirent d’asseoir la réputation de ces avions.
Toujours plus de projets audacieux, constamment boudés
Toujours à la fin de la Seconde Guerre mondiale Jack Northrop travaillait sur un projet hyper ambitieux de chasseur aile volante à réaction. Initialement connu sous la désignation de N-12 celui ci devait pouvoir attaquer les vagues de bombardiers ennemis au plus près. D’abord assemblés à l’état de deux planeurs (MX234 et MX334) tractés par un Douglas C-47, il donnèrent naissance à un jet assez rapidement. En effet le second prototype fut doté d’un petit moteur fusée d’une poussée de 90 kg. Cependant après trois vols d’essais le N-12 fut arrêté. Cependant il donna naissance à une version largement améliorée, le N-14. Il fut baptisé MX365 pour ses essais. Cette fois ci il s’agissait directement d’un avion à réaction. Il fut essayé par l’US Army Air Force sous la désignation de Northrop XP-79. Bien que très en avance technologiquement l’avion ne suscita pas un réel intérêt de la part des militaires. Une fois encore Jack Northrop avait fait chou blanc.
Ne s’avouant jamais vaincu, en 1948 il proposa à la toute jeune US Air Force un avant-projet de bombardier rapide de reconnaissance. Désigné N-31 il s’agissait d’une aile volante doté de six réacteurs et capable d’emporter un peu plus de neuf tonnes de bombes. Le N-31 visait clairement les premières opérations de la guerre froide. Cependant les militaires américains trouvèrent que l’avion était un tantinet trop évolué, donc onéreux. L’USAF de la fin des années 1940 était en pleine restructuration et cure d’amincissement. Northrop révisa sa copie, sous la forme du N-31A doté de quatre turbopropulseurs à hélices propulsives. Mais là encore il n’attira pas les commandes militaires, et ne dépassa pas le stade de la planche à dessins.
Dans la foulée du N-31A l’avionneur proposa une autre aile volante, le N-34, destiné à servir comme bombardier à long rayon d’action à propulsion nucléaire. Cependant là encore l’avion ne dépassa pas les portes du bureau d’études.
Soutien à la conquête spatiale
Pendant un temps les équipes de Northrop semblèrent avoir abandonné le concept des ailes volantes. Cependant dans la foulée de Martin, les équipes de Northrop travaillèrent sur les machines volantes à fuselages porteurs, les fameux lifting bodies, qui furent employés pour préparer les futurs vols spatiaux habités en navettes. Northrop appliqua certaines règles des ailes volantes, notamment sur le Northrop HL-10 datant de 1966. Malgré tout les informations sur ces appareils sont demeurées très longtemps totalement inaccessibles, du fait du secret entourant aux États-Unis la conquête spatiale. Même ci ces engins n’étaient ni vraiment des avions ni vraiment des ailes volantes les travaux de Northrop furent orientés par ce concept. Au final, les lifting bodies servirent une dizaine d’années pour les essais en vol.
En 1975, le concept de l’aile volante revint sur le devant de la scène avec le XST. Il s’agissait d’un avant-projet de chasseur d’attaque furtif destiné à l’US Air Force. Cependant l’avion ne dépassa pas le stade de la planche à dessins, les militaires américains lui préférant le Lockheed Have Blue, prototype du futur F-117 Nighthawk.
Enfin la consécration avec le B-2
Mais pour Northrop cet échec illustrait parfaitement l’expression français « reculer pour mieux sauter ». En effet, peu après le XST ses équipes travaillèrent sur le programme ATB sensé fournir un bombardier de nouvelle génération. Les ingénieurs de Northrop proposaient alors un appareil furtif, une aile volante à quatre réacteurs. Le prototype vola en 1989, et dans le plus grand secret l’US Air Force passa commande de celui qui allait devenir un de ses avions les plus secrets, mais paradoxalement un de ses plus représentatifs, le B-2A Spirit.
Il faut cependant savoir que les équipes de Northrop n’ont pas appliqué le principe des ailes volantes sur les seuls avions pilotés. Des programmes de drones furent également menés sous cette forme bien particulière, avec généralement une issue décevante. Pourtant la plupart était réussie.
L’aventure des drones dès 1944
En 1944, l’US Air Force testa le drone de bombardement Northrop JB-1 Power Bomb. Il s’agissait d’une aile volante à réaction pouvant emporter une bombe de 900 kilogrammes. Des essais furent menés mais sans résultat, si bien que le JB-1 en resta au stade de prototype. Il fut alors décidé de modifié le principe afin de donner naissance au JB-10, une version dotée d’un pulsoréacteur de 408 kilogrammes de poussée. Là encore la Power Bomb n’atteignit jamais la production en série.
Il est à noter qu’en 2003 lorsque le drone expérimental Northrop-Grumman X-47 fit son apparition, beaucoup remarquèrent que l’appareil reprenait bien l’architecture générale des ailes volantes. Cependant il ne s’agit pas réellement d’un tel appareil.
L’ironie de l’Histoire aura voulu que la première aile volante Northrop déclarée ensuite opérationnelle ne réalise son vol inaugural que huit années après la mort de Jack Northrop. Celui-ci n’aura donc jamais vu son rêve se réaliser. Aujourd’hui si chacun sait ce qu’est une aile volante, c’est en grande partie grâce à ce visionnaire.
Photos (c) US Air Force et San Diego Air & Space Museum.
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