Suite à la Première Guerre mondiale, les aviateurs tentent de démontrer l’utilité pacifique de l’avion en établissant de nouveaux records de distance, d’altitude ou de vitesse. En mai 1919, l’américain Albert Cushing Read et son équipage effectuent la première traversée de l’Atlantique à bord d’un hydravion Curtiss NC-4, ralliant Long Island, aux États-Unis, à Plymouth, en Grande-Bretagne, en vingt-trois jours avec escales au Massachusetts, en Nouvelle-Écosse, à Terre-Neuve, aux îles Acores, au Portugal et au nord de l’Espagne.
Cet accomplissement fut rapidement éclipsé par la première traversée sans escale de l’Atlantique par les britanniques John Alcock et Arthur Whitten Brown à bord d’un Vickers Vimy qui décolla de Terre-Neuve et se posa en Irlande le 15 juin 1919. L’américain Charles Lindbergh sera le premier à réussir un vol direct entre New-York et Paris en mai 1927, à bord du Spirit of St. Louis.
Quelques semaines auparavant, la disparition mystérieuse de l’Oiseau blanc avec ses deux pilotes, les français Charles Nungesser et François Coli, lors de la première tentative de traversée entre Paris et New York renforça la conviction que des vols de l’est vers l’ouest étaient alors impossibles à réussir en raison des vents contraires dominants. D’autres voudront néanmoins relever ce défi. Ce sera un équipage irlando-allemand qui réalisera pour la première fois cet exploit en avril 1928, lors du vol historique, mais aujourd’hui méconnu, du Junkers W-33 Bremen.
Paradoxalement, ce sera la détermination d’un noble de la Prusse-Orientale à la santé très fragile et conséquemment réformé par l’aviation allemande lors du premier conflit mondial, qui sera à l’origine de ce vol légendaire. Ayant survécu à de graves blessures sur le front ouest en 1914 lors de son service dans l’armée allemande, le baron Ehrenfried Günther Freiherr von Hünefeld deviendra représentant de l’entreprise maritime Norddeutscher Lloyd après la guerre.
Au début des années 1920, l’industrie aéronautique allemande souffrait des restrictions du Traité de Versailles. Cependant, de nombreuses associations industrielles avec des entreprises ayant pignon sur rue en Suisse, en Italie et en Amérique du Sud travaillaient au développement d’avions plus puissants éventuellement susceptibles d’emprunter les voies maritimes alors dominées par les paquebots. Hünefeld, qui suivait de près ces développements, réussit à convaincre son employeur de l’appuyer dans une aventure susceptible de raviver la fierté des allemands, tout en posant un geste de réconciliation avec un ancien ennemi, soit un premier vol transatlantique sans escale vers les États-Unis.
La santé de Hünefeld se dégradait cependant rapidement. En 1926, on lui avait déjà enlevé la moitié de l’estomac et il savait qu’il ne vivrait plus très longtemps, ce qui ne fit que renforcer sa détermination. Avec l’appui d’Hugo Junkers, deux avions monomoteurs Junkers W-33, subirent les modifications requises pour effectuer ce long vol au-dessus de l’Atlantique, soit l’installation de moteurs plus puissants et l’ajout de quatre réservoirs supplémentaires de carburant dans la carlingue de l’appareil.
Hünefeld fit également appel au pilote Hermann Köhl, chef des vols de nuits à la Deutsche Luft Hansa. En tant que spécialiste du vol aux instruments, le survol de l’Atlantique sans références visuelles l’intéressa particulièrement. Suite à une série d’essais concluants, les avions baptisés du nom des paquebots Bremen et Europa de la Norddeutscher Lloyd effectuent une première tentative en août 1927, mais font demi-tour à cause du mauvais temps. Suite à la disparition de l’Oiseau blanc et de cette première tentative avortée des Junkers, l’appui des employeurs de Köhl et de Hünefeld se volatilisa, refusant d’être associés à un projet aussi risqué avec un avion propulsé par un seul moteur et incapable d’effectuer un amerrissage en cas de problème.
Les préparatifs d’une deuxième tentative en 1928 vont donc s’effectuer dans la plus grand secret. Hünefeld, qui finance lui-même le projet, insiste pour être du voyage. Piloté par Arthur Spindler et Hermann Köhl, le Junkers W-33 Bremen atterrit en Irlande le 26 mars 1928. Dès l’annonce de la nouvelle, Köhl perd son poste à la Luft Hansa. Le départ vers l’Amérique sera retardé de plus de deux semaines dû aux conditions météo exécrables. Suite à une dispute avec Hünefeld, le co-pilote Arthur Spindler est remplacé par le major James C. Fitzmaurice, chef de l’aviation de l’État libre d’Irlande.
Tôt le 12 avril 1928, le Bremen quitte l’aéroport de Baldonnel Fields, près de Dublin, pour entreprendre un vol d’une durée prévue de 36 heures à destination de Mitchel Field sur le Long Island à New-York. À la tombée de la nuit, un couvert nuageux obscurcit les étoiles et une tempête se lève, forçant les pilotes à se fier uniquement aux instruments de vol. Poussé par des vents violents, le vol du Bremen dévie grandement vers le nord et lorsque Köhl s’en aperçoit le lendemain matin, il vire immédiatement vers le sud, survolant le territoire sauvage du Labrador. À court de carburant et n’ayant qu’une idée approximative de leur position, les pilotes voient enfin un premier signe de vie humaine sous la forme d’un phare sur une minuscule île où un étang glacé offre une surface propice à un atterrissage d’urgence. Sous le poids du Bremen, la glace fragilisée par le printemps cède et le choc brise le train d’atterrissage et courbe les pales de l’hélice, en plus de blesser Köhl au front. Les trois membres d’équipage du Bremen sont immédiatement secourus par le gardien du phare. Ils apprennent alors qu’ils ont complété leur vol transatlantique sur l’île Greenly au Québec, alors que des milliers de spectateurs attendent en vain l’arrivée du Bremen à New-York. C’est par l’entremise de la station télégraphique de Lourdes-de-Blanc-Sablon, un village de pêcheurs situé non loin, que l’Amérique apprendra l’arrivée du Bremen sur ses rives.
Dès lors une course débute pour savoir qui aura l’honneur, le premier, de porter secours à l’équipage du Bremen. Le gouvernement canadien fait appel à l’un de ses navires, le Montcalm, et aux pilotes de l’entreprise Canadian Transcontinental basés au lac Nairne dans la région de Charlevoix au Québec. L’affaire intéresse bientôt les radios et les journaux de toute l’Amérique qui y dépêchent un grand nombre de journalistes. Assurant la desserte aéropostale le long de la côte nord du golfe du Saint-Laurent grâce à des avions légers Fairchild FC-2W munis de skis, les pilotes de brousse de la Canadian Transcontinental sont tout désignés pour cette mission. Le premier à atteindre l’île Greenly sera le pilote Duke Schiller suivi de Roméo Vachon accompagné d’un mécanicien et de quelques journalistes. Constatant que le Bremen est trop endommagé pour être réparé afin de poursuivre son vol vers New-York, son équipage sera évacué par Schiller et Vachon.
Les pilotes seront accueillis en héros et l’équipage du Bremen honoré pendant des semaines au Canada et aux États-Unis. Le 28 avril 1928, l’équipage du Bremen aura droit au traditionnel ticker-tape parade à Manhattan. Le président des États-Unis fera même passer une loi spéciale par le Congrès américain afin de décerner à Köhl la Distinguished Flying Cross, la plus haute distinction réservée aux pilotes américains. Le 19 juin 1928, ce sera une foule enthousiaste qui accueille les héros à Bremen en Allemagne. Hermann Köhl est rapidement réintégré par la Luft Hansa. Le 18 septembre 1928 Hünefeld et le pilote suédois Karl Gunnar Lindner décollent de Berlin à bord du Junkers W-33 Europa afin d’entreprendre un raid autour du monde. Arrivés à Tokyo le 20 octobre, le raid est interrompu dû aux conditions météorologiques peu propices et à la santé déclinante de Hünefeld qui succomba en février 1929 des suites d’un cancer à l’âge de 36 ans.
Quant au Bremen, l’appareil démonté regagna l’Europe en bateau quelques mois après son vol historique et fut réparé aux ateliers Junkers à Dessau. Hünefeld tenta sans succès d’offrir le Bremen à divers musées allemands. Dépité, il en fit don au peuple américain. Exposé dans divers musées, il fut finalement acquis en 1938 par le Henry Ford Museum situé à Détroit au Michigan pour y être exposé jusqu’en 1996. Finalement rapatrié en Allemagne en 1997, le retour de cet avion légendaire fut marqué en 1998 par une cérémonie commémorant le 70ème anniversaire de son vol historique. Il est depuis exposé à l’aéroport de Brême où on peut dorénavant l’admirer. La paisible île Greenly fait aujourd’hui partie du Refuge d’oiseaux de la baie Brador où bien peu d’ornithologues se doutent du drôle d’oiseau métallique qui s’y était réfugié il y a déjà bien longtemps.
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