Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, chaque dirigeant du monde sait que la maîtrise de la détection radar est nécessaire pour l’obtention de la victoire sur le champs de bataille. Durant les conflits de décolonisation menées notamment par la France dans les années 1950 et 1960 cette certitude grandit, et atteignit finalement son paroxysme avec l’engagement américain en Asie du Sud-Est où furent massivement engagé les avions de détection radar, ceux que l’on commençait à appeler des AWACS. C’est au lendemain de la guerre du Vietnam qu’il devint évident pour de nombreuses forces qu’elles devaient développer leurs propres moyens dans ce domaine. En France l’Aviation Légère de l’Armée de Terre ne faisait pas exception.
En 1976, l’obscur service d’étude et de fabrication des transmissions (ou SEFT) fut chargé par l’état-major de l’Armée de Terre de développer conjointement avec Aérospatiale et Thomson-CSF une plateforme de détection aéroportée autours d’un hélicoptère d’assaut. Les premières ébauches commencèrent dès la fin de la décennie autours du SA-321 Super Frelon. Cependant les généraux français voyaient d’un mauvais œil cet hélicoptère bien trop connoté marine pour eux. Ils proposèrent plutôt qu’on réfléchisse à une version dérivée du SA-330 Puma.
En juillet 1986, aux trois partenaires fut adjoint un quatrième sous la forme de la direction des constructions aéronautiques, dépendant directement du ministère de la défense nationale, donc du pouvoir politique. Il faut dire que la France vivait alors sous un régime de cohabitation, les informations qui circulaient entre d’un côté l’Élysée et de l’autre Matignon et l’ensemble des ministères étaient largement filtrées, notamment dans le domaine du renseignement. Il était alors notoire que le Président de la République François Mitterrand était particulièrement attentif à ce que les militaires français puissent jouir d’une certaine autonomie dans ce domaine mais aussi dans celui de la détection aéroportée tandis que son Premier Ministre de l’époque, Jacques Chirac, n’hésitait pas à se raccrocher à ses alliés de l’OTAN.
Quand en 1988 Chirac fut « chassé » de Matignon par voix électorale, Mitterrand put repartir en quête d’un accroissement des moyens français de renseignement. Au programme initial, il adjoint une seconde version, destinée cette fois à l’écoute électronique et à l’interception des émissions radars. Désormais les deux programmes furent officiellement baptisés Orchidée pour le premier et Élisa pour le second. En fait le surnom d’Orchidée traînait déjà dans les couloirs du ministère de la défense depuis 1986. Le nom d’Orchidée était un acronyme pour « Observatoire Radar Cohérent Héliporté d’Investigation« . Élisa quand à elle signifiait « ELINT Système d’Acquisition« . Tous deux étaient donc basés sur le Puma.
Pour Élisa, il s’agissait d’utiliser un appareil du CEAM, le Puma n°1595 qui servait déjà depuis 1985 à divers essais de guerre électronique et d’espionnage aérien. L’appareil reçut la désignation de Puma HET (pour Hélicoptère ELINT Technologique) et fut repeint aux couleurs de l’ALAT. Pour des yeux profanes l’appareil ne se distinguait des hélicoptères d’assaut que par son antenne circulaire rétractable placé sous l’intrados de fuselage, et par les six antennes qui le hérissaient. Elles lui permettaient d’intercepter toutes communications radios sur un spectre électromagnétique allant de 0.82 GHz à 15.00 GHz. En outre les données interceptées étaient enregistrées sur bandes magnétiques, puis à partir de 1990 sur CD.
Dans le même temps, les travaux d’Orchidée allaient bon train. Le Puma n°1052 fut prélevé sur les stocks de l’ALAT pour servir de prototype. On lui greffa le radar ESB à ouverture synthétique. Il fut pensé pour pivoter à 90° de haut en bas entre les phases au sol et le vol, permettant ainsi son rangement complet. Il pouvait couvrir une zone circulaire d’environ 70km de diamètre, et intercepter tous types d’appareils volants, y compris ceux évoluant à très basse altitude. C’est dans cette configuration que le Puma Orchidée réalisa son premier vol en juin 1990.
L’actualité de l’année allait précipiter les deux programmes. Le 2 août 1990 les armées irakiennes aux ordres du dictateur Saddam Hussein envahissaient le petit émirat souverain du Koweït. Ce dernier était alors un des principaux pourvoyeur en pétrole au monde, et donc un allié économique des Américains, Britanniques, et Français qui ne tardèrent pas à envoyer soldats et matériels dans la région. La guerre du Golfe venait de débuter. Bon nombres d’avions et d’hélicoptères militaires du monde entier furent envoyés en Arabie-Saoudite afin de participer à l’opération Bouclier du Désert, puis quelques semaines plus tard à Tempête du Désert. Les Puma Élisa et Orchidée ne firent pas exception et furent intégrés à la division Daguet, l’élément français dans la région.
Si le premier n’assura que quelques rares vols, couronnés d’aucun succès, il en fut tout autrement d’Orchidée. Celui-ci réalisa au total vingt-quatre missions de conduites d’opérations au-dessus du désert irakien, et notamment dix de nuit. L’hélicoptère radar français avait pour mission de rechercher les colonnes de blindés de la garde républicaine irakienne. Ils ont ainsi permis d’ouvrir la voie aux Gazelle HOT françaises mais aussi aux AH-64A Apache de l’US Army. En effet, leur radar ne portaient pas assez loin pour identifier clairement les véhicules ennemis. Le Puma Orchidée opérait systématiquement sous la protection rapprochée de deux Gazelle canons.
Malgré ses excellents résultats dans le désert irakien le programme Orchidée fut abandonné en novembre 1991 faute de crédits suffisants. Cependant ni l’ALAT ni le pouvoir en place n’avait dit leur dernier mot.
Il faut remarquer que parallèlement l’hélicoptériste Eurocopter avait repris des travaux similaires mais en se basant sur un AS-532UL Cougar. Le radar ESB de l’Orchidée avait été abandonné et remplacé par son successeur, le Target fonctionnant avec l’effet Doppler et, toujours conçu et usiné par Thomson-CSF. Avec l’aide du Centre d’Essais en Vol le nouvel appareil fut officiellement relancé en 1993 sous la désignation d’Horizon. Là encore il s’agissait d’un acronyme, signifiant « Hélicoptère d’Observation Radar et d’Investigation sur ZONe« . Par rapport à son prédécesseur il disposait d’un rayon de détection accru, à hauteur de cent kilomètre de diamètres, pouvant opérer entre 4000 et 5000 mètres d’altitude, contre seulement 1800 à 2500 pour le Puma Orchidée.
Le Cougar Horizon avait été clairement pensé ab-initio non pas comme un prototype mais bel et bien comme un appareil opérationnel. Ainsi des boulons explosifs avaient été disposés autour du système d’accroche du radar Target, pouvant ainsi le cas échéant l’éjecter si l’hélicoptère était amené à se poser en catastrophe. Une idée finalement assez simple qui n’avait jamais traversé l’esprit des ingénieurs sur le Puma Orchidée.
En tirant les enseignements de la guerre du Golfe les ingénieurs de l’armement comprirent aussi qu’il fallait protéger l’appareil. Ainsi un détecteur d’alerte radar et missiles couplé à des lanceurs IR et EM fut monté, ainsi que des plaques de blindages sous le plancher des pilotes.
Cette fois l’appareil fut officiellement commandé en série à quatre exemplaires en 1996 dont le premier entra en service opérationnel deux ans plus tard. Ces hélicoptères furent baptisés du nom des trois mousquetaires qui comme chacun le sait étaient quatre : Athos, Porthos, Aramis, et D’artagnan. Ils furent accepté au service par l’escadrille d’hélicoptères d’observation radar (ou EHOR) du 1er Régiment d’Hélicoptère de Combat (1er RHC) basé à Phalsbourg en Moselle.
Les Cougar Horizon furent engagés dans des opérations au Kosovo, au Gabon, au Tchad, et selon certaines sources difficilement vérifiables en Afghanistan dans la traque des terroristes d’Al-Qaïda et des combattants talibans. En outre ils ont été utilisés dans plusieurs exercices et manœuvres internationaux, tant au profit des forces européennes que de l’OTAN. Fin 2008, les quatre Cougar Horizon ont été retirés du service et placé sous cocons isolants sur la Base Aérienne 279 de Châteaudun. Toutefois, il semblerait que celui désigné « D’Artagnan » (n°2430) soit exposé au musée de l’ALAT de Dax.
Il est original de remarquer que c’est sous l’administration Chirac que les quatre hélicoptères ont été commandé, lui même qui s’était montré si hostile à l’Orchidée lorsqu’il était Premier Ministre. Il faut dire qu’entre temps il avait atteint le sommet de l’état, et sa vue d’ensemble de la problématique de l’acquisition du renseignement radar avait changé.
Début 2014, l’ex-Puma Orchidée volaient toujours dans l’Aviation Légère de l’Armée de Terre, en tant qu’appareil d’entraînement avancé à l’EAALAT tandis que l’ex-Puma Élisa avait rejoint l’Escadrille Hélicoptère 1.67 au sein de l’Armée de l’Air pour des missions de servitude et de sauvetage.
Ainsi se termine un des épisodes les plus méconnus de l’aventure de l’hélicoptère militaire en France. Un programme en trois volets, qui coûta selon certaines estimations la bagatelle de 18 milliards d’euros aux contribuables français sur une période presque trente ans. Bien entendu aucun appareil de ce genre n’a jamais été exporté. De là à dire qu’il s’agissait d’un caprice de star de la part de l’ALAT il n’y a qu’un pas…
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