Le massif des Ardennes est une chaîne de moyenne montagne qui délimite principalement les frontières belges, françaises, et luxembourgeoises, et (dans une moindre mesure) allemandes. De tous temps, il semble avoir joué le rôle de rempart naturel, puisque dès les invasions romaines du 1er siècle avant Jésus-Christ ce massif est décris comme difficilement franchissable. Ce qui durera jusqu’à la première moitié du vingtième siècle et l’invasion de la Belgique et de la France par les forces allemandes. Assez étrangement c’est dans cette même région de l’Europe que va se jouer le sort de l’armée allemande, capable de tenir tête aux forces alliées. Et c’est dans ce décor, à la fin du mois de décembre 1944, que la ville de Liège va devenir la première agglomération de l’Histoire frappée par un raid aérien mené par des bombardiers propulsés par des réacteurs, des Arado Ar 234B de la Luftwaffe.
À quelques jours des célébrations de Noël 1944 les Ardennes sont totalement recouvertes de neige, la température est passée en dessous de zéro et les armées allemandes et alliées s’embourbent de plus en plus dans des combats entre fantassins et forces blindées. Les aviations américaines, britanniques, canadiennes, et françaises dominent alors les cieux et la majorité des terrains d’aviation dévolus au formations allemandes sont hors d’état.
Les seuls avions de la Luftwaffe à se hasarder au-dessus des Ardennes sont alors des chasseurs Messerschmitt Bf 109K, la version alors la plus évoluée du chasseur monomoteur, et Me 262. Des bombardiers nocturnes Junkers Ju 88 assurent des missions de harcèlement contre les forces alliées, mais jamais en journée. Il faut dire que les chasseurs anglo-américains comme les Hawker Typhoon, North American P-51 Mustang, et Republic P-47 Thunderbolt ont su acquérir la maîtrise du ciel dès le 16 décembre. À ce moment là d’ailleurs la principale menace allemande pour les populations civiles et les forces de libération prennent la forme de missiles de croisière V1 et surtout les terribles et impossibles à intercepter V2.
C’est pourtant une toute autre menace qui se prépare à tomber sur la Belgique en cette veille de Noël 1944. En Allemagne, sur un terrain sommairement préparé, dix bombardiers biréacteurs Arado Ar 234B se préparent à prendre les airs aux alentours de 16 heures. Pour les pilotes allemands de ces avions le confiance est totale, puisqu’ils les croient à l’abri de la chasse alliée. Chaque avion emporte entre 600 et 800kg de bombes incendiaires.
Leur objectif est la ligne ferroviaire qui relie Liège à Namur et permet depuis septembre 1944 de ravitailler les forces américaines aussi bien en armement qu’en vivres et en produits de tous les jours. Jusqu’au dernier moment, c’est à dire une heure avant que les pilotes du KG 76 (pour Kampfgeschwader 76) ne rejoignent leurs cockpit, personne ne sait laquelle des deux villes sera la cible. Finalement l’état-major de la Luftwaffe choisit Liège.
C’est sous la protection d’une dizaine de Messerschmitt Me 262 que les dix Arado Ar 234 décollent et prennent la direction des Ardennes. Rapidement repérés par les radars de défense aérienne de la Royal Air Force ils sont pris pour un tir massif de V1, raison pour laquelle les Typhoon du 439th Squadron sont mis en alerte. Arrivés sur l’objectif les pilotes de la Royal Canadian Air Force ne peuvent que comprendre l’erreur des radaristes britanniques mais c’est déjà trop tard. Les Me 262 font leur œuvre et s’occupent de leurs monomoteurs. Par chance aucun ne sera descendu… en tous cas par la chasse allemande. Car au retour de mission le Flight sergeant Wright est abattu par un pilote américain ayant confondu son avion avec un Focke-Wulf Fw-190 ennemi. Il décède le lendemain, jour de Noël, dans un hôpital militaire de la région.
Les équipages des Ar 234B du KG 76 peuvent tranquillement poursuivre leur route, et au-dessus de Liège ils ouvrent leurs soutes. L’une des principales cibles est alors la petite gare de Sclessin, à trois kilomètres à l’ouest du centre-ville liégeois. Cette installation ferroviaire est en effet à cette époque utilisée par les Américains pour le déchargement des produits nécessaires à ses services de santé. C’est donc toute la chaîne de soin et de secours que les Allemands veulent attaquer. Cependant la DCA américaine y est très présente. En outre ses servant ne sont nullement impressionnés par ces bombardiers d’un nouveau type, ils tirent tout de même dessus !
D’autres Ar 234 ciblent des positions plus centrales, notamment dans le nord de la ville. Parmi celles-ci figurent un dépôt de carburant très lourdement défendu par les artilleurs anti-aériens américains. Sous leur pression les équipages allemands ratent leur cible et frappent finalement un pré… tuant des dizaines de vaches.
Malgré des résultats plus que discutables le raid aérien est considéré comme un succès total. Pour la première fois en effet depuis des mois tous les bombardiers engagés sont rentrés à leurs bases, y compris les chasseurs d’accompagnement (la Luftwaffe méconnait fortement en fait le très anglo-saxon concept de chasseurs d’escorte) Me 262.
Un exploit pas uniquement pour les Allemands mais aussi pour les Alliés.
Si dans le camp allié on essaye de minimiser au maximum ce premier raid aérien des Arado Ar 234B, prouvant au passage que les biréacteurs sont bel et bien opérationnels, il en va tout autrement à Berlin. Les journaux et la radio du Troisième Reich s’en font largement l’écho. Il faut dire qu’il arrive à point nommé pour la propagande nazie.
Pourtant tout ne va pas se passer comme prévu par Joseph Goebbels et ses équipes. Les Berlinois n’ont plus assez d’argent pour acheter les journaux, ceux-ci valant chaque jour un peu plus cher, et beaucoup ne croient déjà plus ce que disent les journalistes à la radio.
Le bilan humain de ce premier raid n’a jamais clairement établi mais on estime que cinquante à quatre-vingt civils belges et une trentaine de militaires alliés ont été tués. Un bilan lourd humainement mais finalement assez dérisoire aux regards de ce que la propagande nazie en espérait. Pour la petite histoire la ligne ferroviaire Liège-Namur n’a été que légèrement impactée, le trafic reprenant dès le 28 décembre.
Deux jours après ce premier raid Namur et Bastogne sont à leurs tours frappées par les Ar 234B allemands. Le monde est désormais entré dans une nouvelle phase de la guerre aérienne, celle où les bombardiers aussi peuvent voler vite et haut.
Si aujourd’hui ce raid aérien peut paraître anecdotique il n’en demeure pas moins la première frappe de l’Histoire à faire appel à des bombardiers à réaction. Et ça ce n’est pas rien pour l’histoire aéronautique. Une technique que les aviations américaines et soviétiques notamment perfectionneront (malheureusement) très rapidement dans les années suivantes.
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