L’apparition d’une force aérienne dans le paysage international n’est jamais quelque chose d’anodin. Mais peu de jeunes forces aériennes, entendez par « jeunes » qui soit née après la Seconde Guerre mondiale, ont eu une expansion aussi rapide que Heyl Ha’Avir, l’aviation militaire de l’état d’Israël. En effet, c’est de nos jours une des forces aériennes majeures au Proche-Orient.
Pour bien comprendre l’importance de la création de Heyl Ha’Avir il faut revenir au 29 novembre 1947. Ce jour-là à New York l’Organisation des Nations Unies décide de voter la résolution 181 visant au partage de la Palestine en trois entités distinctes : un état juif, un état arabe (et non musulman), et enfin la ville « sainte » de Jérusalem placé sous le contrôle d’une administration internationale appelée UNSCOP. Dès lors l’état d’Israël est sur les rails.
La date de naissance réelle cependant de ce pays est le 14 mai 1948. Ce jour-là Israël devient une réalité. Et avec elle ses forces armées, appelées Tsahal. Les Israéliens décident alors de former trois entités différentes : air, terre, et mer.
La branche aérienne prend le nom de Heyl Ha’Avir (ce qui en bon français se traduit par armée des airs et de l’espace) et devient semi-indépendante. Car si elle conserve la décision quant à l’achat de ses matériels et à la formation de ses personnels, les choix tactiques et stratégiques demeurent la chasse-gardée des généraux de la composante terrestre. Des officiers qui pour la plus part ont été formés dans les rangs américains, britanniques, et français.
On aurait alors pu croire que les premiers mois de Heyl Ha’Avir allaient se faire sans aucun aéronef. Ce serait mal connaitre la situation militaire et politique dans la région depuis le milieu de l’entre-deux-guerres.
En 1920 plusieurs officiers britanniques de confession juive montent en secret une organisation paramilitaire ultra-violente appelée Haganah qui a pour but de maintenir une forme de statu quo entre les populations arabes et juives de Palestine, au moyen de coups de force et même parfois d’assassinats. Avec la montée de l’antisémitisme en Europe Haganah s’arme petit à petit encore plus lourdement jusqu’à obtenir un statut quasi officiel dès 1936 dans la région. Et avec lui la possibilité d’acquérir des avions. Nait ainsi Sherut Avir.
Même si officielle ses avions volent avec une immatriculation civile et ne sont limités qu’à des opérations de transport, de liaisons, et d’évacuation sanitaire, ils vont mener quelques missions plus offensives allant même jusqu’à des bombardements léger, au moyen de grenades à main, de cocktail Molotov, voire de bombes légères.
Le 14 mai 1948 Sherut Avir est dissoute, ses membres et une partie de ses avions encore en état de vol sont immédiatement versés à Heyl Ha’Avir formant ainsi sa structure basique. D’autres avions sont démilitarisés et revendus sur le marché civil, permettant ainsi de créer l’embryon d’une aviation civile israélienne. A cette date les avions versés à Heyl Ha’Avir ne sont qu’une poignée, mais ils sont symboliques de la détermination des Israéliens à s’armer au plus vite pour contenir la menace de ses voisins arabes qui n’ont toujours pas « digéré » la création d’un état hébreu à leurs frontières.
Voici les avions livrés par Sherut Avir à Heyl Ha’Avir en avril-mai 1948 :
- Un Auster J1 Autocrat, destiné à des missions d’observation diurne et d’appui aérien rapproché.
- Un Beechcraft Model 35 Bonanza, destiné à des missions de liaison, d’entraînement intermédiaire, et d’appui aérien rapproché.
- Trois De Havilland DH-82 Tiger Moth, destinés à des missions d’entraînement primaire et intermédiaire, et de liaison.
- Deux De Havilland DH-89A Dragon Rapide, destinés à des missions de transport, d’évacuation sanitaire, et de bombardement léger.
- Trois Douglas C-47 Skytrain, destinés à des missions de transport, d’évacuation sanitaire, et de bombardement léger.
- Un Douglas DC-3, destiné à des missions de transport et de soutien aux hautes personnalités.
- Un Fairchild UC-61F Forwarder, destiné à des missions de reconnaissance, d’attaque légère, et d’évacuation sanitaire.
- Un Lockheed Lodestar, destiné à des missions de transport et d’évacuation sanitaire.
- Un Miles M.65 Gemini, destiné à des missions de liaison.
- Dix-sept Noordyun Norseman, destinés à des missions de liaison, d’évacuation sanitaire, de reconnaissance et de bombardement léger.
- Trois Piper PA-11 Cub, destinés à des missions de liaisons et d’observation diurne.
- Un Republic RC-3 Seabee, destiné à des missions de reconnaissance, et de liaison.
- Deux RWD type 8, destinés à des missions d’entraînement primaire.
- Deux RWD type 13, destinés à des missions d’entraînement primaire et de liaison.
- Un RWD type 15, destiné à des missions de transport léger, d’évacuation sanitaire, et de liaison.
- Deux Taylorcaft L-2 destinés à des missions de liaison, d’entraînement primaire, et d’observation diurne.
Il est à noter que certains de ces avions n’ont pas porté bien longtemps la célèbre cocarde dite Étoile de David. Le Beechcraft Bonanza, qui était l’acquisition la plus récente de Sherut Avir, puisque acheté en avril 1946, fut détruit lors d’un bombardement de l’aviation et de la marine égyptiennes le 4 juin 1948. Deux Norseman et l’UC-61F Forwarder firent également les frais des obus du puissant voisin.
Cette attaque allait définitivement sceller le sort de Heyl Ha’Avir. Israël se savait dorénavant menacée par ses voisins, elle allait devoir riposter, et pour cela en avoir les moyens. Dès lors des émissaires furent envoyés dans la plus part des pays occidentaux, ceux-là même qui avaient aidé au vote de la résolution 181. Dans un premier temps l’état hébreu n’avait pas les moyens d’acheter des avions neufs, il allait devoir se contenter de machines de secondes mains, souvent des avions issus de la Seconde Guerre mondiale.
Entre 1948 et 1950 Heyl Ha’Avir acheta tous azimuts des avions à même de combler ses carences. Bien entendu des avions de transport, avec toujours plus de Douglas C-47 Skytrain rachetés aux États-Unis et en France, mais aussi des Curtiss C-46 Commando, Douglas C-54D Skymaster, et même un Lockheed Constellation, ex-C-69 de l’USAAF. Des avions d’entraînement étaient également nécessaires, dans tous les domaines de la formation des pilotes. Une demi-douzaine d’Avro Anson fut rachetée auprès de la RAF pour la formation des pilotes de multimoteurs et des navigateurs. Dix-huit bimoteurs Airspeed Consul furent également acquis dans ce sens, mais aussi comme avions de liaisons rapides.
Mais ce fut surtout avec le North American T-6 Texan acheté à une centaine d’exemplaires (dont vingt-cinq en provenance de France) que vint la modernité. Non seulement le célèbre monomoteur permettait une formation basique et intermédiaire mais en plus il représentait une plateforme d’attaque légère et de reconnaissance plus que crédible.
Mais il fallait des avions d’armes. Ironie du sort, Israël avait été fond après les crimes nazis et le premier chasseur de l’état hébreu était d’origine allemande : l’Avia S-199 tchécoslovaque. Commandé à vingt exemplaires il forma l’épine dorsale de la défense aérienne israélienne entre 1948 et 1950.
Un autre avion fit son apparition à cette époque dans l’arsenal israélien, le légendaire Boeing B-17G Fortress. Trois forteresses volantes furent livrées par les Américains. Une célèbre légende raconte qu’ils auraient même bombardé le Caire lors de leur vol de convoyage depuis le territoire américain. Cette version est plus que contestable, notamment depuis le témoignage apporté dans les années 1980 par un ancien pilote d’un de ces bombardiers qui rappelle que l’avion volait sans bombe.
D’autres avions militaires furent acquis à cette époque, notamment des appareils de reconnaissance maritime et de lutte anti-sous-marine Consolidated PBY Catalina et Lockheed Hudson Mk-III.
Début 1949 Heyl Ha’Avir vit arriver ses premiers North American P-51D Mustang, des avions acquis depuis plusieurs mois aux États-Unis mais coincés en douanes pour des raisons bassement administratives. L’année suivante la Suède livra vingt-cinq avions similaires fraîchement retirés du service. La France livra cinq Mustang au standard F-6, à savoir des avions désarmés de reconnaissance tactique.
Dans le même temps la Royal Air Force accepta de revendre cinquante de ses Supermarine Spitfire Mk-IX et vingt-six LF Mk-XVI. Ces chasseurs permirent de soutenir l’action des S-199.
Fin 1951 Israël disposait enfin d’une aviation de chasse à même de repousser la majorité des avions en dotation dans les aviations voisines. Outre ses trois B-17G, sa force offensive reposait alors principalement sur des bimoteurs Bristol Beaufighter Mk-X et De Havilland Mosquito FB Mk-VI.
Au rayon des curiosités alors en dotation dans Heyl Ha’Avir à cette période figure un rarissime bimoteur Douglas DC-5 utilisé comme avion de transport de hautes personnalités, deux amphibies Grumman J4F-2 Widgeon acquis pour des missions de sauvetage en mer et de liaison, un De Havilland Canada DHC-1 Chipmunk acheté neuf mais refusé comme avion d’entraînement primaire au profit du Fokker S-11 et utilisé pendant près de trente ans comme avion d’épandage agricole sous cocarde militaire. On peut encore citer les très rares deux Miles M.57 Aerovan, étranges bimoteurs de transport léger, ou encore les deux Nord N.1203 Norécrin offerts par un riche viticulteur français et utilisés de 1949 à 1960 comme avions de liaisons et d’évacuation sanitaire.
L’un des cas les plus intéressants demeurent certainement les cinq Temco TE-1A d’entraînement à l’appontage. Lors de leur acquisition en 1953 l’état hébreu négociait secrètement avec l’US Navy la livraison d’un de ses anciens porte-avions de classe Essex datant de la Seconde Guerre mondiale. Malgré des avancées diplomatiques importantes jamais le contrat ne se fit et les cinq avions demeurèrent en service comme avion d’entraînement terrestre, mais avec une crosse d’appontage. Cette dernière avait été rajouté par le constructeur à l’express demande israélienne.
L’année 1954 est importante pour Heyl Ha’Avir. Elle a vu l’apparition des premiers jets de combat à réaction. Onze Gloster Meteor F Mk-8 et quatre T Mk-7 d’entraînement font leur apparition dans l’arsenal hébreu. Ils seront suivis quelques semaines plus tard par six Meteor NF Mk-13 de chasse nocturne. Israël vient d’entrer dans la cour des grands.
L’année suivante l’aviation israélienne obtient les premiers exemplaires de ses Dassault Ouragan, un jet de combat de nouvelle génération, acquis neufs, et capable de damer le pion aux avions à réaction conçus avant 1945. Avec l’avion clodoaldien Heyl Ha’Avir compte bien reprendre l’avantage sur ses voisins, et notamment l’Égypte.
Dès lors Français et Israéliens vont écrire leur histoire militaire à quatre mains. Enfin pour quelques années seulement. Les contrats s’enchaînent. Après l’Ouragan, viennent les chasseurs Mystère IV-A et Super Mystère B2, le chasseur-bombardier SO-4050 Vautour, l’avion d’entraînement Fouga Magister, le bimoteur de transport Noratlas. Les années 1954 à 1956 sont le fleurissement des relations entre Paris et Tel-Aviv.
À cette époque les généraux qui dirigent la force aérienne israélienne commencent à s’intéresser de près aux hélicoptères. Les guerres d’Indochine et de Corée sont passées par là. L’engagement français en Algérie ne laisse personne indifférent. En 1955 quatre Sikorsky S-55 sont commandés mais un seul sera finalement livré. Après le premier essai d’un pilote israélien l’hélicoptère américain ne convainc pas. En fait les Israéliens observent depuis longtemps ce qui se fait en France, et l’étrange prototype Sud-Est SE-3130.
Peu après son premier vol en France, Heyl Ha’Avir en commande quinze exemplaires. Nous sommes alors en août 1956, Israël vient de passer sa première grosse commande d’hélicoptères, sûrement pas sa dernière.
Le 29 octobre 1956 Heyl Ha’Avir déclenche l’opération Kadesh, pendant israélien de l’opération franco-britannique Mousquetaire visant à empêcher le pouvoir égyptien de mettre la main sur le trafic maritime du canal de Suez. Cette aventure tournera court neuf jours plus quand Américains et Soviétiques siffleront la fin de la récréation pour les trois belligérants. Au Caire le président Nasser a gagné tandis qu’à Tel-Aviv les généraux israéliens ont démontré toute la puissance de leur aviation.
Désormais Heyl Ha’Avir entre dans une nouvelle phase de sa maturité.
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