Actuellement, en fait depuis le quatrième quart du vingtième siècle, l’US Navy n’aligne qu’un seul et unique type de porte-avions : les CVN. Sous ce terme se cachent les bâtiments à propulsion nucléaire de classes Nimitz et Gerald R. Ford, ceux là même qui sillonnent les mers et portent aux quatre coins du globe la puissance militaire et diplomatique des États-Unis. Pourtant en ce premier quart de vingt-et-unième siècle est apparu un nouveau concept très prometteur à mi-chemin des porte-avions légers et des porte-avions d’escorte qui existèrent durant la Seconde Guerre mondiale et les premières années de la guerre froide : le Lightning Carrier.
L’urgence de la guerre du Pacifique et de la bataille de l’Atlantique poussèrent l’US Department of War à élaborer quatre classes de porte-avions très efficaces : les Long Island et Casablanca dans la catégorie des CVL et les Independance et Saipan dans celle des CVE.
CVL désignait les porte-avions légers et CVE les porte-avions d’escortes.
Dans les deux cas il s’agissait pourtant de bâtiments assez similaires, leurs missions différaient en fait. Le concept restait le même, à savoir disposer de porte-avions plus légers, plus manœuvrant, et donc plus faciles d’emploi que les gros bâtiments habituels. Ils furent particulièrement utiles durant la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée puis tombèrent en désuétude avec l’apparition des bâtiments de guerre amphibie des classes Iwo Jima et Tarawa qui mélangeaient hélicoptères et avions d’attaque Hawker-Siddeley AV-8A Harrier. L’apparition par la suite de son évolution américanisée McDonnell-Douglas AV-8B Harrier II et la généralisation des navires de classe Wasp, encore omniprésents aujourd’hui, termina de ringardiser les CVE et CVL. Enfin c’est ce qu’on croyait.
Car dans le plus grand secret les stratèges de l’US Navy et de l’US Marines Corps élaborèrent à partir de 2020 un tout nouveau concept : le Lightning Carrier. Celui-ci s’appuie sur l’USS Tripoli, un bâtiment de guerre amphibie de nouvelle génération puisque deuxième de la classe America.
En fait il résultait de plusieurs constats différents.
Le premier était que les porte-avions nucléaires aussi puissants et impressionnants soient t-ils sont de grosses machines lourdes à mettre en œuvre, et ce dans tous les sens du terme. En outre avec une Amérique qui hésite de plus en plus à engager le feu leur capacité à servir d’arme diplomatique se trouve désormais réduite. L’expérience sous la présidence Trump des déploiements au large de la république islamique d’Iran en a été une démonstration flagrante : malgré une puissance de feu incontestable jamais le Pentagone n’a pu contraindre Téhéran.
Le deuxième est que désormais les conflits sont de plus en plus localisés géographiquement avec trois points chauds principaux : le Proche/Moyen-Orient, la Mer de Chine Méridionale, et la zone Baltique/Barents. Un quatrième s’y est ajouté récemment, durant l’expérimentation du concept d’ailleurs : l’Ukraine.
Le troisième concerne l’avion de combat multi-rôle Lockheed-Martin F-35B Lightning II qui bien que conçu pour remplacer les McDonnell-Douglas AV-8B Harrier II n’a rien d’un appareil d’attaque ayant une capacité secondaire d’interception légère comme celui-ci. C’est bel et bien un chasseur pouvant aussi bien mener des missions air-air que air-sol tout en conservant la capacité de décoller quasiment à la verticale, en fait en escalier.
Ces trois points cumulés à la flexibilité d’emploi des navires de classe America a forcément donné naissance au concept de Lightning Carrier. Et le tout nouveau USS Tripoli était le navire rêvé pour le porter. Restait désormais à élaborer le meilleur embarquement possible pour passer d’un bâtiment de guerre amphibie à un porte-avions léger du 21e siècle.
Douze, quinze, vingt, vingt-quatre Lockheed-Martin F-35B Lightning II ? Seule l’expérimentation sur le terrain allait le démontrer.
Sachant qu’en temps normal un bâtiment de classe Wasp ou America n’emporte que six F-35B Lightning II l’embarquement du double voire du triple de ces avions allaient forcément devoir faire réduire la voilure sur d’autres types de machines. Les premiers à en pâtir ne furent pas les plus évidents. On aurait d’abord pensé aux plus gros mais il n’en fut rien. Le Pentagone estima qu’un Lightning Carrier n’avait pas besoin de Bell AH-1Z Viper et UH-1Y Venom. Quand aux douze Bell Boeing MV-22B Osprey et aux quatre Sikorsky CH-53E Super Stallion ils allaient être ramené à deux appareils chacun. Surtout deux autres modèles d’appareils allaient faire leur apparition à savoir le Sikorsky MH-60R Seahawk de combat maritime et de lutte anti-sous-marine et le MH-60S Knighthawk de soutien opérationnel et d’appui aérien tactique. La physionomie même de l’aviation embarquée était chamboulée.
Et durant tout le mois de mars 2022 ainsi que la première moitié du mois d’avril l’équipage de l’USS Tripoli est donc passé en mode Lightning Carrier. L’expérimentation dans le Pacifique nord a établi que le nombre idéal de F-35B Lightning II employé en mission habituel s’échelonne entre seize et vingt avions. Cependant en cas de crise majeure il peut être élevé à vingt-quatre si la situation l’exige et pour un temps donné assez court.
Surtout les premiers enseignements démontrent que dans le cadre de ce concept les MV-22B Osprey et CH-53E Super Stallion sont redondants. L’US Navy pourrait donc se passer de deux d’entre eux, plutôt les seconds. En fait les MV-22B sont employés à bord du Lightning Carrier dans le même rôle que leur petit frère CMV-22B, à savoir comme Carrier Onboard Delivery.
Alors bien sûr un tel porte-avions léger ne remplacera jamais un navire de classe Nimitz ou Gerald R. Ford, il n’en a ni le tonnage ni les missions et encore moins la polyvalence. Le Pentagone est bien conscient qu’ils n’emporte pas le moindre AWACS embarqué ni même d’avion ayant une réelle capacité de lutte contre les systèmes de DCA ennemis. Pour palier au premier il doit demeurer dans le périmètre des radars surface-air de son destroyer d’accompagnement et pour le second s’appuyer sur les capacités d’emport et de tirs des F-35B Lightning II en bombes à guidage laser et/ou GPS. C’est donc forcément limité.
À quoi alors pourra bien servir à l’avenir ce Lightning Carrier ? En fait à s’opposer à ceux que le Pentagone désigne depuis quelques années comme Mid-Class Foe. Entendez par là des pays ennemis n’ayant la puissance de feu et de riposte ni de la Chine ni de la Russie. C’est donc bien dans une logique de guerre froide revenue que le Pentagone s’inscrit désormais. L’USS Tripoli pourrait donc être engagé face à des pays comme la Corée du nord, l’Iran, ou encore la Syrie. De par sa capacité à apporter entre seize et vingt chasseurs multi-rôles au plus près d’une zone de conflit il pourra aussi appuyer une évacuation de populations civiles américaines et alliées sur le modèle de l’île de la Grenade ou de la Côte d’Ivoire. Enfin il pourra s’inscrire plus largement dans un programme international de sécurisation d’une région donnée du globe au milieu d’autres navires et d’avions d’autres pays alliés comme l’Allemagne, la France, ou la Grande Bretagne.
Vous l’aurez donc compris le concept du Lightning Carrier n’est ni l’alpha ni l’oméga des opérations aéronavales contemporaines, juste un joli complément à celles-ci. C’est aussi une manière comme une autre pour l’Amérique d’économiser ses porte-avions et de trouver une alternative diplomatique. Il doit en outre être encore peaufiner, pour éventuellement un jour embarquer un ou plusieurs drones tels le tout nouveau Northrop Grumman MQ-8C Fire Scout II. En tous cas l’aviation embarquée évolue encore et toujours, elle n’est pas figée.
Pour la petite histoire un autre USS Tripoli a existé comme porte-avions, le CVE-64 qui participa à la bataille de l’Atlantique puis à la guerre de Corée.
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