Pour la majorité des passionnés d’aviation militaire le nom de Flottille 16F est synonyme de reconnaissance tactique embarquée. C’est en effet la mission qu’elle remplit durant 35 ans de 1965 à 2000 inclus sur un seul et même modèle de jet : le Dassault Étendard IVP. Pourtant avant cela cette unité de la Marine Nationale fut une formation de chasse tout ce qu’il y avait de plus classique, à cela près qu’elle fut créée autour du premier avion à réaction destiné aux porte-avions français : le Sud-Est SE.201 Aquilon dérivé du De Havilland D.H.112 Venom britannique. Or comme d’autres appareils de la Marine Nationale les Aquilon de la Flottille 16F connurent les combats en Afrique du Nord.
C’est donc sur la Base d’Aviation Navale de Hyères Le Palivestre, non loin de Toulon, que la Flottille 16F fut créée officiellement le 3 janvier 1955. Sa dotation s’articulait alors autour de chasseurs Aquilon 202 biplaces côte à côte et Aquilon 203 monoplaces. La particularité de cet avion à réaction, premier du genre dans l’aéronavale française, résidait dans son excellent radar AN/APQ-95 pour les premiers et AN/APQ-94 pour les seconds. Ces équipements d’avionique acquis aux États-Unis permettaient aux Aquilon de mener des missions de chasse dite tous-temps. Entendez par là qu’ils pouvaient voler de jour comme de nuit.
Une caractéristique qui fit que très rapidement Paris décida de leur faire traversé la Méditerranée afin d’aller participer aux missions dites de «maintien de l’ordre» contre les populations civiles maghrébines. L’Aquilon entra dans la guerre d’Algérie en mars 1957 afin de remplacer les Armstrong-Whitworth Meteor NF Mk-11 de l’Armée de l’Air alors déployés dans la région.
À cette époque là la Flottille 16F restait officiellement basée à Hyères alors que le gros de ses avions et personnels était stationné sur la Base Aérienne 149 de Maison-Blanche dans la banlieue est d’Alger, alors chef-lieu de l’Algérie. Le rôle premier des chasseurs frappés du hameçon était la défense aérienne de l’Algérois et du Constantinois, les deux grandes régions côtières de la colonie française d’Afrique du Nord.
Depuis 1954 et le début des «évènements d’Algérie» Paris craignait grandement les actions de déstabilisation politique menées par Moscou au profit de la résistance algérienne. C’est pourquoi la défense aérienne du territoire avait été renforcée. Les quatre canons Hispano de calibre 20 millimètres et les huit roquettes à haute vélocité de 127 millimètres étaient jugés suffisamment dissuasifs pour empêcher tout aéronef soviétique de tenter de violer l’espace aérien français d’Algérie.
La réalité opérationnelle ne donna pas totalement tort aux amiraux et généraux français. À au moins trois reprises des patrouilles de chasse de la Flottille 16F ont reconnu avoir mis en fuite des avions inconnus ne portant ni immatriculation civile ni marquage de nationalité aux abords immédiats de l’Algérie. Les équipages de ces avions ne répondaient jamais aux appels radios ou alors dans un anglais ou un français extrêmement mauvais.
En août 1958 une patrouille de chasse menée par le Lieutenant de vaisseau Claude Hurel, alors pacha de la Flottille 16F, a abattu au-dessus des terres un avion inconnu ayant refusé à plusieurs reprises de s’identifier et de suivre les chasseurs. Une fois les débris de l’avion inspectés les services de renseignement militaire français en ont déduis qu’il s’agissait d’un Ilyushin Il-12 Coach ou d’un Ilyushin Il-14 Crate de facture soviétique. Un tel bimoteur à moteurs à pistons n’avait aucune chance face à des jets de chasse comme les Aquilon.
C’est la seule victoire aérienne créditée à la 16F de toute la guerre d’Algérie.
Le Lieutenant de vaisseau Claude Hurel était le fils de Maurice Hurel, un des plus grands génies de l’aviation française.
À la mi-1959 la Flottille 16F délaissa quelques temps l’Afrique du Nord. Les Dassault Mystère IVA de l’Armée de l’Air jugés plus adaptés à la défense aérienne des deux régions les y remplacèrent. Ils participèrent même aux premiers appontages et catapultage sur le porte-avions Clemenceau, devenant même en novembre 1960 aux côtés des Fouga CM.175 Zéphyr les premiers jets qualifiés dessus.
Deux mois plus tard, en janvier 1961, leur pacha, le Lieutenant de vaisseau Michel Borney, ramenait les hommes de la Flottille 16F en Afrique du Nord.
Désormais ils n’étaient cependant plus question de missions air-air. Les Aquilon 202 et Aquilon 203 allaient devoir assurer des missions d’appui tactique rapproché et d’attaque de précision. Là encore leur armement restait inchangé : canons de 20 millimètres et roquettes de 127 millimètres. Cette fois les chasseurs opéraient depuis la Base Aérienne 211 de Telergma située non loin de la Tunisie. Et c’est pour cette raison que les Aquilon de la Flottille 16F réalisèrent trois raids aériens dans le cadre de l’opération Bouledogue contre la ville de Bizerte. L’un d’eux visa notamment la gare de Sidi Ahmed où étaient réfugiés des civils désarmés, et notamment des femmes avec enfants. Au moins deux roquettes ont atteint des bâtiments abritant les victimes.
Plusieurs combattants tunisiens furent également massacrés par des tirs de canons-mitrailleurs. Avec un calibre de 20 millimètres cela ne laissait aucune chance à la résistance locale.
Jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie les Sud-Est SE.201 Aquilon de la Flottille 16F furent engagés pour des missions dites antiterroristes contre la résistance algérienne. Leurs roquettes de 127 millimètres en faisaient des avions d’attaque redoutables même si leur consommation en carburant était souvent jugée astronomique, bien plus que celle des Vought F4U/AU Corsair à moteurs à pistons également présents sur la Base Aérienne 211 de Telergma. Quelques jours après la signature des historiques accords d’Évian du 19 mars 1962 les Aquilon de la 16F regagnèrent Hyères. Ils ne revinrent jamais en Afrique du Nord.
Soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie qui a permis à ce pays d’accéder à une indépendance bien méritée l’action des hommes de la Flottille 16F nous semble lointaine.
Dans cette guerre où l’aviation a joué une place de premier plan les jets restaient finalement minoritaires.
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