La guerre électronique dans l’US Navy, partie 2 : l’aviation terrestre.

Ce contenu est une partie du dossier thématique : Histoire de l’aéronavale

C’est avec des hydravions à coque comme le Consolidated PY Commodore ou encore le Naval Aircraft Factory PN que l’US Navy gagna une de ses missions régaliennes : la patrouille maritime et océanique. Nous étions alors dans l’entre-deux-guerres. Au fur et à mesure des années qui passèrent ces machines laissèrent peu à peu la place à des appareils plus complexes qui à l’image des Consolidated PB2Y Coronado ou encore Martin PBM Mariner se révélèrent être des armes redoutables. La patrouille maritime américaine passa logiquement à la même époque à la dualité entre hydravions et avions terrestres avec l’apparition du Lockheed PV Harpoon. La fin de la Seconde Guerre mondiale montrait cet antagonisme entre des avions terrestres n’ayant pas encore le rayon d’action suffisant pour pleinement s’imposer et des hydravions qui semblaient avoir atteints leurs limites.

C’est à cette époque là que l’US Navy pensa à se doter d’une aviation de guerre électronique basée à terre, et destinée comme son équivalente embarquée, à brouiller les communications ennemies autant qu’à disposer de son propre outil de renseignement. L’aviation électronique terrestre de l’aéronavale américaine se découvrit aussi dès ses origines un rôle pédagogique : il fallait former les marins embarqués sur bâtiments à agir dans un environnement brouillé. Et très vite les ingénieurs américaines comprirent que les hydravions ne seraient pas adaptés à cette fonction.

Beechcraft SNB-3Q Kansan.

L’idée était alors de trouver quels avions seraient adaptés aux besoins terrestres de l’US Navy en 1946 face à une US Army Air Force vieillissante qui comptait bien conserver ses acquis. Ayant échoué à le navaliser l’avionneur Beechcraft proposa son Model 18 sous la forme d’un avion d’entraînement à la guerre électronique connu comme SNB-3Q Kansan. L’avion conservait l’aspect extérieur des machines d’entraînement à la navigation mais embarquait de primitifs équipements de brouillages radars et d’écoutes électroniques. Quatorze exemplaires en furent commandés et entrèrent en service en décembre de la même année. L’aspect didactique et pédagogique de la guerre électronique avait trouvé sa place les Beechcraft SNB-3Q Kansan allaient régner dessus durant quinze ans, simulant régulièrement des attaques contre les navires américains.

Restait que l’US Navy avait un besoin impérieux en plateformes de reconnaissance électronique et de brouillage actif, à des fins de guerre contre l’URSS. Et comme pour l’aviation embarquée avec l’AM-1Q Mauler c’est l’avionneur Martin qui sortit la solution comme on sort un lapin du chapeau d’un magicien. Début 1951 les dix-huit Martin P4M-1 Mercator de patrouille maritime encore état de vol furent renvoyés en usines et transformés en P4M-1Q. Cet avion avec ses imperfections, comme la conservation des canons de calibre 20 millimètres dans le nez et la queue, mais aussi avec ses réussites à l’image de son aménagement intérieur allait poser les bases de ce qui existe toujours en ce premier quart de 21e siècle.

Martin P4M-1Q Mercator.

À la même époque l’aéronavale américaine cherche à diversifier ses missions de reconnaissance électronique et de brouillage. Elle se lance donc dans un vaste chantier en réclamant à tous ses fournisseurs de lui proposer des idées. Ainsi Douglas par exemple proposa rien moins que trois modèles d’avions différents comme bases de travail : son R4D Skytrain pour les missions tactiques et ses R5D Skymaster et R6D Liftmaster pour celles plus stratégiques. Le premier seulement emporta les suffrages de l’US Navy qui fit l’acquisition de R4D-4Q/5Q/6Q Hawkeye. Les propositions autour des deux autres modèles furent rejetés. Martin subit le même sort avec son avion de ligne 4-0-4 qui ne séduisit pas les amiraux américains. Convair crut l’emporter quand cinq R4Y-2 Samaritan furent commandés comme R4Y-2Q mais finalement le contrat fut annulé après la livraison du premier d’entre eux. De ce fait l’avion n’entra jamais en service actif et fut versé à la même unité d’entraînement qui volait déjà sur Beechcraft SNB-3Q Kansan.

En fait outre Douglas et ses R4D-4Q/5Q/6Q Hawkeye c’est Lockheed qui avait alors enlevé les marchés au travers de deux avions très différents. Le premier était l’AWACS quadrimoteur WV-2 Warning Star et le second l’avion de patrouille maritime P2V-5F Neptune. Le premier fut construit à treize exemplaires sous la désignation WV-2Q et le second à vingt-quatre sous celle de P2V-5FE. Opérant depuis des bases aussi bien en Europe occidentale qu’au Japon ils permettaient à l’US Navy d’espionner l’Union Soviétique et le cas échéant de brouiller ses moyens de communications et de détection. À bien des égards ces années 1950 furent l’âge d’or de la guerre électronique terrestre américaine, celles de tous les possibles.

Lockheed WV-2Q Warning Star.

En 1959, contre toutes attentes, Grumman proposa une version d’écoute électronique de son amphibie UF-1 Albatross sous la désignation d’UF-1Q. L’idée de ses concepteurs était de proposer un appareil pouvant brouiller les communications des submersibles soviétiques en plongée peu profonde. Malgré un intéret certains le projet n’aboutit jamais. Au même moment Martin proposa une version de brouillage radar de son hydravion géant P6M-2 Seamaster sans que là encore cela ne soulève d’engouement. Décidément l’US Navy ne croyait pas dans les hydravions de guerre électronique.

Septembre 1962 vit les désignations de l’US Navy s’aligner sur celles de l’US Air Force. Les avions de guerre électronique terrestre n’y firent pas exception. Ainsi le seul et unique Convair R4Y-2Q devint EC-131G Samaritan tandis que les Douglas R4D-5Q/6Q furent renommés EC-47H/J Hawkeye. Les Lockheed P2V-5FE et WV-2Q changèrent respectivement en EP-2E Neptune et EC-121M Warning Star. À l’époque les Beechcraft SNB-3Q Kansan et Douglas R4D-3Q Hawkeye avaient déjà été déclarés obsolètes.

Outre l’unique Convair EC-131G Samaritan la formation continue des équipages de l’US Navy était confié au seul Lockheed EP-2H Neptune. Cet avion avait été spécialement produit fin 1962 à partir d’un P-2H de patrouille maritime désarmé et doté d’un système de télémétrie devant permettre de mieux cibler les radars des bâtiments de guerre. Son emploi ne fut jamais considéré comme une grande réussite, contrairement à l’EC-131G qui menait correctement sa carrière. C’est d’ailleurs à cette époque là, en 1965, que le Fleet Electronic Warfare Support Group fut mis en place. Il devait à la fois former les pilotes et équipages d’avions terrestres de guerre électronique mais aussi se doter de moyens capables de participer à des exercices avec les navires de surfaces de l’OTAN.

En ce même milieu des années 1960 apparurent les premiers Lockheed EP-3A et EP-3B Aries qui commencèrent à remplacer les plus vieux des Lockheed EP-2E Neptune. Deux d’entre eux furent d’ailleurs versés immédiatement à l’US Army qui s’en servit comme avions de transformation opérationnelle dans le cadre du programme du Lockheed RP-2E Crazy Cat.
En terme autant d’équipements que de rayon d’action les Lockheed EP-3A/B Aries représentaient un véritable bond en avant pour l’US Navy. Désormais elle pouvait faire voler ses avions plus de douze heures d’affilés et alterner missions de surveillance électronique et vols de brouillages. En 1973 ils remplacèrent même les Lockheed EC-121M Warning Star désormais jugés obsolètes car trop lents. Pour autant EP-2E Neptune et EC-121M Warning Star avaient su rendre de fiers services à l’Amérique dans sa guerre au Vietnam, en brouillant les radars ennemis lors de missions aéronavales.

Lockheed EP-3E Aries.

En fait les années 1970 allaient voir rapidement l’effacement de tous les avions terrestres de guerre électronique de première ligne au profit des seuls Lockheed EP-3A/B Aries puis de leur évolution l’EP-3E Aries II. Au sein du Fleet Electronic Warfare Support Group il en fut de la même manière mais autour du Boeing EB-47E Silver King dont trois exemplaires avaient été acquis et étaient utilisés pour des missions d’entraînement. La haute vitesse de croisière de cet avion dérivé du bombardier stratégique B-47 Stratojet en faisait une plateforme appréciée lors des exercices et simulations d’attaque. Pour ses équipages aussi l’avion donnait pleine satisfaction. En 1977 un des trois avions fut cédé à une unité de soutien aux essais en vol et seuls les deux autres demeurèrent en service encore deux ans. À bout de souffle et dévorés par la rouille, due notamment aux embruns, ils étaient devenus dangereux pour leurs pilotes. Le FEWSG dut trouver en urgence une solution. Et en cette année 1979 c’est le Douglas DC-6 qui refit surface. Refusé 25 ans plus tôt sous la forme du R6D un exemplaire fut acheté et modifié rapidement avec des équipements issus justement des EB-47E Silver King. Il entra en service à Noël de la même année comme Douglas EC-118B Liftmaster. Pour autant l’avion n’était alors qu’un pis-aller.

Boeing EB-47E Silver King.

Car dans le même temps McDonnell-Douglas modifiait spécialement un avion de ligne Douglas DC-8 afin d’en faire l’EC-24A, qui allait devenir l’avion vedette du Fleet Electronic Warfare Support Group. De 1986 à 1998 il allait sillonner les cieux du monde entier pour former à la guerre électronique l’aéronavale américaine mais aussi les marines alliées. En 1989 un Boeing KC-135A Stratotanker modifié fut ajouté au FEWSG sous la forme du NKC-135A. N’étant plus capable de ravitailler quoi que ce soit en vol il pouvait néanmoins parfaitement simuler n’importe quel avion de reconnaissance de facture russe. Il demeura en service jusqu’à la dissolution de l’unité en mai 2002.

McDonnell-Douglas EC-24A.

Pour autant les Lockheed EP-3E Aries III continuaient sur la lancée des Aries et Aries II. Ils renseignaient l’Amérique partout où cela était nécessaire et brouillaient ce qui devait l’être.
Et c’est lors d’une de ces missions que Washington DC connut une de ses plus graves crises diplomatiques des 50 dernières années. Le 1er avril 2001 un EP-3E en mission en mer de Chine méridionale fut intercepté par la chasse chinoise. Un Shenyang J-8 Finback entra en collision avec lui et fut perdu tandis que l’équipage de l’US Navy réussit à poser son quadrimoteur sur le sol chinois, sur l’île de Hainan. Les vingt-quatre militaires américains furent capturés et détenus pour espionnage. Finalement ils furent libérés quelques semaines plus tard. La Chine avait mis la main sur l’équipement de surveillance électronique et de brouillage de l’aéronavale des États-Unis.

Boeing NKC-135A.

Dès lors l’US Navy commença à réfléchir à l’après Lockheed EP-3E Aries. Après avoir un temps envisager d’exploiter des Boeing P-8A Poseidon spécialement adaptés elle choisit de se tourner vers les avions sans pilote et plus particulièrement le Northrop Grumman RQ-4 Global Hawk. La version spéciale MQ-4C Triton fit son apparition. Pouvant tenir les airs 30 heures d’affilée son autonomie est bien supérieure à tout ce que l’Amérique put avoir comme avion piloté.

Northrop Grumman MQ-4C Triton.

L’année prochaine sera donc décisive pour la guerre électronique terrestre au sein de l’US Navy. L’EP-3E Aries laissera définitivement la place au MQ-4C Triton. L’humain sortira de l’équation, ou tout le moins du cockpit et de la carlingue. Mais ce n’est pas là la fin de cette histoire, juste un nouveau chapitre qui s’ouvre pour elle.
N’oubliez pas que ce mini-dossier comporte un chapitre 1 traitant de l’aviation embarquée de guerre électronique.

NDLR : Les Boeing E-6A Mercury et Lockheed EC-130Q TACAMO ne sont pas traités dans le présent mini-dossier car n’entrant pas dans la stricte catégorie des avions de guerre électronique. Ce sont en réalité plus des relais de communications.


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Image de Arnaud
Arnaud
Passionné d'aviation tant civile que militaire depuis ma plus tendre enfance, j'essaye sans arrêt de me confronter à de nouveaux défis afin d'accroitre mes connaissances dans ce domaine. Grand amateur de coups de gueules, de bonnes bouffes, et de soirées entre amis.
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