Le développement des radars durant la Seconde Guerre mondiale amena les industriels de l’aéronautique à réfléchir durant la guerre froide à comment en embarquer de puissants à bord d’avions ? La détection aéroportée était en train de naître, et avec elle ses plus fameux représentants : les AWACS. Plus encore que n’importe quel autre moyen de surveillance ils représentent un gage de modernité pour une force aérienne, de par leur coût de développement souvent très élevé autant que celui d’acquisition tout aussi important. Ainsi de nombreux pays se lancèrent entre les années 1950 et 1970 dans l’étude de telles machines. En Chine les balbutiements vinrent avec un avion très étonnant : le Xian KJ-1.
En 1952 les services de renseignement soviétiques avertirent leurs alliés, et donc alors encore la Chine, que l’US Air Force et l’US Navy travaillaient conjointement à un programme de détection aéroportée à partir du bombardier stratégique Boeing B-29 Superfortress. En fait depuis l’année précédente les Américains avaient modifié de la sorte trois de ces avions en les dotant d’un radar AN/APS-20 issu de celui équipant alors le General Motors TBM-3W Avenger embarqué sur porte-avions. Leur désignation de NB-29A aurait dû mettre la puce à l’oreille des espions du KGB : il ne s’agissait nullement d’avions destinés à être opérationnels. Ils devaient juste valider l’emploi d’un tel équipement sur un avion quadrimoteur. Factuellement ils servaient au développement des Lockheed WV Warning Star de l’aéronavale américaine, et rien d’autre.
Pourtant à l’est le mal était fait, beaucoup pensaient alors que le B-29 était adapté à une telle mission. Les essais américains avaient démontré le contraire, la carlingue du quadrimoteur étant trop étroite pour permettre l’installation efficace d’opérateurs de contrôle aérien. Les Soviétiques arrivèrent d’ailleurs très rapidement à la même conclusion avec leurs Tupolev Tu-4 Bull jugés bien trop étroit et utilisé comme les NB-29 dans le cadre de soutien au développement, ici du Tu-126 Moss.
Côté chinois ce ne fut pas aussi simple. Le régime de Pékin avait besoin d’exister sur la scène international et un AWACS pouvait largement l’y aider, d’autant qu’en cette fin des années 1950 des rumeurs existaient quant au viol de l’espace aérien souverain par des avions espions de l’US Air Force. Au début de la décennie suivante les relations sino-soviétiques étaient tellement dégradées que l’idée même que Moscou vende à Pékin un lot de Tu-126 était jugée totalement fantaisiste. Si elle voulait un AWACS la Chine allait devoir se le construire elle-même. C’était alors plus facile à dire qu’à faire.
Et contre toute attente alors même qu’Américains aussi bien que Soviétiques avaient démontré que c’était une mauvaise idée les Chinois décidèrent de porter en 1968 leur choix sur le B-29. Ou plutôt dans leur cas sur sa version soviétique. Douze Tu-4 Bull avaient en effet été absorbés par l’aviation chinoise entre 1953 et 1960, dix étant même offerts à l’époque. Deux furent donc payés seulement. Des avions que la Chine eut toujours le plus grand mal à savoir quoi en faire. L’un d’eux fut donc prélevé sur les stocks et renvoyé dans les ateliers de l’avionneur Xian. À l’époque tous avaient déjà été remotorisés avec des turbopropulseurs Ivchenko AI-20M d’origine soviétique, ceux-là même qui animaient l’avion de ligne Ilyushin Il-18 Coot.
L’avion fut totalement déposé de zéro dans les ateliers chinois et doté d’un radar Type 843 d’un diamètre de sept mètres pour un mètre vingt d’épaisseur. Le rotodôme était assemblé en fibre de verre, matériaux alors jugé ultramoderne y compris à l’ouest. Tout l’armement fut déposé afin d’alléger au maximum l’avion tandis que son système de radar de bombardement fut également ôté. Il créait des interférences avec le Type 843.
C’est sous la désignation officielle de Xian KJ-1 que l’avion débuta en décembre 1969 ses premiers essais de roulage. Très vite les services de renseignement britanniques l’identifièrent. L’OTAN refusa de son côté de lui allouer un nom de code estimant l’appareil purement dédié à des essais en vue d’une future utilisation du radar Type 843 sur un modèle d’avion plus adapté. À cette époque l’alliance Atlantique ne codifiait pas les machines qu’elle considérait comme des prototypes chinois. Finalement c’est en juin 1971 que le KJ-1 réalisa son premier vol. Entre février 1972 et août 1974 la campagne d’essais fut suspendue. L’AWACS vibrait de partout et les ingénieurs chinois durent revoir leur copie. Des stabilisateurs horizontaux firent leur apparition au niveau de l’empennage tandis que le support du rotodome était renforcé. Les essais reprirent à la rentrée 1974.
À cette époque les services de renseignement occidentaux pensaient que le KJ-1 préfigurait un futur AWACS basé sur le Shaanxi Y-8 Cub-C dont le développement avançait bien. Évidemment ils avaient tort. Car dans l’esprit des généraux chinois le KJ-1 était appelé à entrer en service opérationnel. La société Xian envisageait même de copier le Tu-4 Bull afin d’avoir des avions neufs à transformer pour la détection aéroportée.
En mai 1976 un radar de détection de surface Type 926 fait son apparition sur le Xian KJ-1. L’idée est alors révolutionnaire : contrôler aussi bien les cieux que la surface des flots. La mise en œuvre est cependant catastrophique. Dès que le nouveau radar se met en fonction le rotodome s’arrête et se met à surchauffer. Fin 1976 les autorités chinoises décident donc de mettre fin à l’expérimentation maritime du KJ-1. Pour autant le radar Type 926 est bricolé pour de la surveillance terrestre, à condition bien sûr que le Type 843 soit éteint.
En 1979 le programme de développement de cet AWACS est finalement abandonné, le KJ-1 restera unique en son genre. Il ne part pourtant pas encore à la retraite.
Comme les autres Tupolev Tu-4 Bull chinois encore en dotation, et utilisés pour de la patrouille côtière, l’unique Xian KJ-1 sert jusqu’en 1988. L’avion est évidemment à l’époque totalement obsolète. En fait il l’était déjà dès sa conception. Dans les années 1970 quand le régime maoïste révéla son existence il affirma que la portée radar de l’avion était de 1200 kilomètres par beau temps et de 900 kilomètres sous couverture nuageuse. Des données qui l’auraient placé à un niveau supérieur du Boeing E-3A Sentry, alors le nec plus ultra des AWACS dans le monde. En fait une publication taïwanaise réalisée avec l’aide d’ingénieurs transfuges ramena en 1991 les chiffres à la dure réalité. Le radar à rotodome Type 926 ne voyait pas à plus de 250 kilomètres par ciel dégagé et pas à plus de 150 kilomètres par mauvais temps. Pis encore le radar Type 926 ne pouvait pas détecter de navire à plus de 50 kilomètres et ne repérait pas les plus petites embarcations tandis qu’en mode terrestre il ne voyait pas au-delà de 60 kilomètres. C’était un échec cuisant !
Pour autant le Xian KJ-1 demeure un avion essentiel dans l’histoire aéronautique chinoise. Prototype certes mais ayant connu une carrière opérationnel au sein des forces aériennes chinoises il est aujourd’hui préservé au sein du musée aéronautique Datangshan ouvert l’année après son retrait du service.
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