C’est au cours de la Seconde Guerre mondiale que l’US Navy découvrit les bénéfices de disposer d’avions de reconnaissance tactique opérant depuis ses porte-avions. Elle pouvait ainsi s’affranchir totalement de l’US Army Air Force et de ses avions terrestres. Cela fut encore plus criant durant la guerre de Corée. C’est en effet à l’occasion de ce conflit qu’apparurent les deux premiers modèles de jets de reconnaissance embarquée : les Grumman F9F-2P Panther et McDonnell F2H-2P Banshee. Particularité notable ces avions issus de chasseurs avaient troqué leur armement pour des caméras et appareils photos, devenant par conséquent vulnérables à la chasse ennemie. En l’absence de mitrailleuse ou de canon la vitesse allait donc devoir protéger les avions de reconnaissance embarquée. C’est dans cette optique qu’apparut durant la seconde moitié des années 1950 l’étonnant Vought RF-8 Crusader lui-aussi dérivé d’un chasseur.
Sans même avoir recours à un appel d’offre l’US Department of Defense demanda en février 1957 à l’avionneur Vought le développement d’une version désarmée de reconnaissance tactique à partir de son chasseur F8U Crusader. L’US Navy avait un besoin urgent pour un tel avion, si bien que des crédits exceptionnels furent votés en ce sens. Une enveloppe de douze millions de dollars US (une somme assez colossale pour l’époque) fut allouée au projet.
Le constructeur reçut l’autorisation de saisir un chasseur déjà construit afin d’en faire son avion de présérie. Il s’agissait alors du trente-deuxième F8U-1 de série.
L’avion reçut la désignation de Vought V-392 dans la nomenclature du constructeur tandis que les militaires américains le connaissaient comme YF8U-1P. La lettre P indiquant la mission Photo. Le patronyme Crusader fut conservé, marquant ainsi la continuité avec le chasseur. Extérieurement il fallait s’approcher de l’avant de l’avion pour identifier sa mission de reconnaissance. Les quatre fameux canons de 20mm répartis deux par deux le long du fuselage avaient disparus tandis que des vitres abritant des appareils photos et des caméras avaient fait leur apparition. On retrouvait ainsi deux appareils K-22B de focale 610mm identiques à ceux équipant les North American RB-45C Tornado de l’US Air Force, ou encore deux KA-55 de 305mm encore inédits ainsi qu’un K-17 de 152mm datant de la guerre du Pacifique. Une caméra tous-temps lui fut jumelée. Pour le reste l’avion était strictement identique au chasseur.
Cet avion de présérie réalisa son premier vol le 20 juin 1957.
Moins d’un mois plus tard l’avion réalisait un vol record entre les mains du pilote d’essais (et futur astronaute et sénateur démocrate) John Glenn. Le 16 juillet 1957 son Vought F8U-1P Crusader boucla la traversée ouest-est des États-Unis entre Los Alamitos dans le sud de la Californie et Floyd Bennett Field près de New York en seulement 203 minutes et huit secondes. Il s’agissait alors du record sur cette distance.
Mais le Vought F8U-1P Crusader n’était pas seulement un avion de record, c’était une véritable plateforme de reconnaissance tactique pour les porte-avions américains. Son déploiement à bord débuta dès l’automne 1957. Un an auparavant un tel avion n’existait même pas dans la tête de ses concepteurs. Au total l’avionneur en construisit 144 exemplaires pour les besoins de l’US Navy.
Et les premières manœuvres aéronavales montrèrent la supériorité d’un tel avion sur la majorité de ses ennemis potentiels. Afin de simuler les Mikoyan-Gurevitch MiG-15 et MiG-17 soviétiques qu’il pourrait rencontré le Crusader de reconnaissance s’opposa à des North American F-86 Sabre de l’US Air Force. Évidemment il les surclassa totalement.
En septembre 1962 quand l’US Navy réaligna ses désignations sur celles de l’US Air Force les Vought F8U-1P devinrent des RF-8A. Quelques semaines plus tard le 23 octobre 1962 deux de ces avions de reconnaissance supersonique réalisèrent la première action militaire réelle d’un Crusader, toutes versions confondues. Ayant décollé de Floride les deux avions américains prirent le cap de l’île de Cuba où l’Union Soviétique avait quelques jours plus tôt fait débarquer des missiles balistiques ayant la capacité de frapper toute la côte est des États-Unis. On appela cet épisode sous le vocable de crise des missiles cubains.
Pour cette mission très particulière les deux RF-8A furent spécialement préparés. Certains de leurs appareils étant déposés au profit d’équipements plus pointus. Réalisant leur raid photo à très basse altitude ils ne furent jamais inquiété par la chasse cubaine et purent revenir sur le sol américain sans encombre. Leurs clichés furent étudiés par la CIA et le Pentagone, et permirent d’attester formellement de la présence et des modèles des armes ennemies.
Après ce vol cubain la plus part des Vought RF-8A Crusader vit son équipement modifié. Des appareils photos KA-51, KA-53, et KA-62 vinrent remplacer les K-17, K-22B, et la caméra tous-temps d’origine. Désormais le Crusader de reconnaissance ne filmerait plus rien, se contentant de prendre des photos à très haute résolution. Et il allait pouvoir s’en donner à cœur joie.
Car malgré l’apparition quelques mois plus tôt de l’imposant North American RA-5C Vigilant le Vought RF-8A Crusader demeurait le principal avion embarqué de reconnaissance tactique de l’US Navy et de l’US Marines Corps. Il le fut surtout durant la guerre du Vietnam durant laquelle ses pilotes durent souvent jouer des coudes pour échapper aux batteries de la DCA vietminh autant qu’aux chasseurs Mikoyan-Gurevitch MiG-19 bien plus redoutables que les vieux MiG-15 et MiG-17.
En 1968 il fut décidé de modifier soixante-treize RF-8A en rajeunissant leur cellule, leur réacteur, ou encore évidemment leur appareillage de reconnaissance. Des appareils photos de nouvelle génération KA-66 et KA-68 firent leur apparition sur celui que l’on appelait désormais RF-8G Crusader. L’avionique du bord fut aussi modifiée et la crosse d’appontage renforcée.
À partir de 1971 seuls les unités évoluant sur RF-8G Crusader pouvaient participer aux missions de combat en Asie du sud-est. Celles volant encore sur RF-8A furent contraintes de demeurer aux États-Unis. La fin de la guerre du Vietnam ne signifia pas la fin des opérations pour cet avion de reconnaissance.
En 1980 l’avion gagna même ses galons de vedette en apparaissant dans le blockbuster : «Nimitz, retour vers l’Enfer», ou «The Final Countdown» en anglais. C’est en effet un RF-8G Crusader qui est aperçu lors de la mission de reconnaissance photographique au-dessus de Pearl Harbor peu avant son attaque par les forces nippones. Bien entendu cet avion de reconnaissance fut largement éclipsé dans le film par le chasseur Grumman F-14 Tomcat.
Finalement le dernier Vought RF-8G Crusader quitta le service actif en 1986. Il servait en fait depuis 1983 uniquement au sein des escadrilles VMJ-4 et VFP-306, qui étaient alors respectivement des formations de réserve de l’US Marines Corps et de l’US Navy.
L’avion ne fut jamais exporté, même s’il fut proposé à la Marine Nationale qui lui préféra le Dassault Étendard IVP de facture locale. De nos jours plusieurs RF-8 Crusader sont préservés dans des musées américains, notamment au sein du National Air & Space Museum de Chantilly en Virginie ou encore du National Museum of Naval Aviation de Pensacola en Floride. Il demeure le premier avion supersonique de reconnaissance embarqué de l’histoire aéronautique.
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