Alors que l’issue de la Seconde guerre mondiale est encore incertaine, la Grande-Bretagne amorce une réflexion sur l’avenir de son industrie aéronautique d’après-guerre. Le gouvernement britannique ayant orienté les efforts de ses avionneurs vers la conception et la production d’avions militaires, plutôt que civils, le Royaume-Uni dépend des avions de transport produits en Amérique. Face à ce choix, il devenait évident que le marché civil d’après-guerre serait donc dominé par des avions américains et que l’industrie aéronautique britannique serait en bien mauvaise posture.
Mis sur pied en décembre 1942, le Comité Brabazon – du nom de son président Lord John Moore-Brabazon – reçut le mandat d’anticiper le marché des avions civils au sein de l’empire britannique et plus largement du Commonwealth. L’un des besoins prioritaires identifiés fut un nouvel avion de ligne court et moyen-courrier en mesure de remplacer le légendaire Douglas DC-3 (C-47 Skytrain en version militaire). En 1944, le ministère britannique des Approvisionnements invite les avionneurs à soumettre leurs propositions à cette fin. Plusieurs entreprises répondent à l’appel, mais l’entreprise Vickers propose un concept révolutionnaire, soit un avion turbopropulsé. Sceptique, mais tout de même intéressé, le Comité Brabazon décide de scinder le projet en deux: un avion dit de Type IIA, utiliserait des moteurs à pistons, tandis que le Type IIB serait doté de turbopropulseurs. La filière plus conventionnelle donna naissance au bimoteur Airspeed AS.57 Ambassador.
Vickers remporta l’appel d’offres pour la production du Type IIB qui se présentait sous forme d’un appareil de 32 places, motorisé par quatre Rolls-Royce Dart pour une vitesse de croisière prévue de 450 km/h, soit au-delà de 100 km/h plus rapide que le DC-3. Commandés en mars 1946, la fabrication de deux prototypes débuta aussitôt. Initialement nommé Viceroy, l’avion fut rebaptisé Viscount en raison de la déclaration d’indépendance de l’Inde en 1947 et la disparition de la fonction de Vice-roi des Indes. Le gouvernement britannique exigea qu’un des prototypes soit motorisé avec des turbopropulseurs Armstrong Siddeley Mamba. Face aux retards de développement du moteur Mamba, le second prototype, dit de Type 663, fut plutôt doté de deux Rolls-Royce RB.44 Tay afin de servir de banc d’essai pour ces nouveaux turboréacteurs.
L’autre prototype, de Type 630, motorisée avec des Rolls-Royce Dart R.Da Mk 501, effectua son premier vol le 16 juillet 1948, aux mains du célèbre pilote d’essais Joseph « Mutt » Summers. Pleinement certifié le 27 juillet 1950, le premier Vickers Viscount immatriculé G-AHRF fut livré dès le lendemain au transporteur British European Airways (BEA). Ce Viscount effectua le tout premier vol commercial d’un avion turbopropulsé le 29 juillet 1950, au départ de Northolt en Angleterre vers Le Bourget à Paris, avec 14 passagers à bord. Pendant un mois, l’avion effectua des vols réguliers entre Londres, Paris et Édinbourg en Écosse. Malgré les qualités indéniables de l’avion, sa vitesse de croisière encore insuffisante, sa capacité d’emport limitée et son manque de puissance général, rendaient les coûts d’exploitation trop élevés pour un service commercial rentable. Déjà conscientes de ces limites, les autorités britanniques avaient déjà commandé une version allongée et dotée de moteurs plus puissants dès 1949.
Les concepteurs chez Vickers-Armstrong présentèrent ainsi un nouvel appareil, dénommé Type 700, motorisé avec des R.Da.3 Dart 505, doté de 48 à 53 places et permettant une vitesse de croisière de 520 km/h. Le nouveau prototype vola pour la première fois le 28 août 1950. En octobre 1953, le Viscount 700 immatriculé G-AMAV remporta de façon éclatante une course aérienne entre Londres et Christchurch en Nouvelle-Zélande, soit une distance de 20 000 kilomètres. Le Viscount devança de plus de neuf heures son plus proche rival, un Douglas DC-6A du transporteur néerlandais KLM. Bientôt les commandes commencèrent à affluer et, afin de répondre à la demande, la cadence de production en 1957 atteignait un appareil aux trois jours. Le Viscount 700 fut initialement doté de moteurs R.Da.3 Dart 505, puis des Dart 506 et 510 toujours plus puissants et économes en carburant. Particulièrement apprécié par les passagers pour son silence, sa rapidité et l’absence de vibrations, il était également doté d’hublots de grande taille pour mieux apprécier le paysage. Le confort des passagers était encore accru grâce à sa cabine pressurisée permettant de voler à des altitudes moins sujettes aux turbulences.
Omniprésents dans les cieux européens pendant nombre d’années, les appareils Viscount volèrent notamment aux couleurs d’Air France, de la Lufthansa, d’Alitalia, de KLM et de BOAC. Trans-Canada Air Lines (TCA) fut le premier transporteur nord-américain à se doter d’appareils Viscount. Hésitant entre l’avant-gardiste Avro Canada C-102 Jetliner et le plus traditionnel Convair CV-240, TCA écouta finalement ses pilotes enthousiasmés suite à des vols d’essais aux commandes du Viscount. Avec la promesse de Vickers d’apporter toute modification requise à l’avion afin de tenir compte des particularités canadiennes, TCA commanda un premier lot d’appareils Viscount 700 dont le premier fut livré en 1954. En 1958, TCA comptait une flotte de 51 appareils Viscount. Fort appréciés, ces avions furent en opération durant une vingtaine d’années, jusqu’à ce que Air Canada (nouveau nom de TCA) les remplace par des biréacteurs McDonnell Douglas DC-9. L’engouement créé par la mise en service des VIscount canadiens incita quelques transporteurs américains à faire de même. Capital Airlines, Continental Airlines et Northeast Airlines acquirent également des flottes conséquentes de l’avion britannique. La dernière évolution notable de l’appareil fut le Super Viscount 810, allongé de 1,2 m pour porter la capacité à 71 places. Les six derniers Viscount quittèrent la chaîne d’assemblage en 1964 pour le compte de l’Administration de l’aviation civile de Chine (CAAC).
Reconvertis en version cargo, nombre d’avions Viscount connaîtront une seconde carrière chez ces compagnies, aussi qu’au sein de transporteurs secondaires. Le dernier vol commercial d’un Viscount eu lieu le 18 avril 1996 sous les couleurs de British World Airlines, soit près d’un demi-siècle après le premier vol du prototype.
Comme anticipé par le Comité Brabazon, les principales armées de l’air des pays du Commonwealth adoptèrent également le Viscount pour remplacer une partie de leur flotte de vieux C-47 Dakota : Australie, Inde, Pakistan et Afrique du Sud. Seule exception notable, le Canada opta plutôt pour le bimoteur Canadair CL-66, une version turbopropulsée du Convair CV-440 fabriquée localement. Parmi les autres utilisateurs militaires du Viscount, notons aussi le Brésil, la Turquie et la Chine communiste qui récupéra les appareils civils initialement vendus au transporteur CAAC. Étonnamment, la Royal Air Force ne fit pas usage d’avions Viscount, les quelques rares appareils acquis étant confinés à l’Empire Test Pilots School et au Royal Aircraft Establishment.
L’une des plus grandes réussites commerciales pour un avion de ligne britannique d’après-guerre avec près de 450 exemplaires produits, le pari du Comité Brabazon à l’égard de cette classe d’appareil fut relevé avec brio. Une grande partie des succès du Viscount tient aux excellents turbopropulseurs Rolls-Royce Dart qui équiperont également nombre d’avions qui suivront, tels le Fokker F27 Friendship, le Hawker Siddeley HS-748, le Convair CV-600/640 et même l’avion français embarqué Breguet Br.1050 Alizé. Fort du succès de son Viscount, Vickers développa le Vanguard, un avion de ligne turbo-propulsé de plus grande capacité. Bien que très réussi techniquement, le Vanguard dépassa à peine la quarantaine d’exemplaires vendus.
Il faudra attendre les années 1980 pour voir le retour en force d’avions de ligne turbo-propulsés. Un peu à l’image du Viscount, les turbopropulseurs de nouvelle génération Pratt & Whitney Canada PW100 développés pour le nouveau bimoteur De Havilland Canada Dash 8 constitueront une combinaison gagnante. Encore aujourd’hui, le Dash 8 canadien et l’ATR européen, dominent ce marché que l’on croyait pourtant disparu après l’éphémère succès du Viscount.
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