Omniprésents dans les cieux du monde entier depuis plusieurs années les avions de ligne biréacteurs ne surprennent plus personnes. Il s’appelle aujourd’hui principalement Airbus A320 et A330 ou encore Boeing 737 et 777. Ce sont sans doute les quatre modèles les plus célèbres en ce premier quart de vingt-et-unième siècle. Si aujourd’hui la Russie et l’Ukraine peinent à sortir de tels avions il n’en fut pas de même durant la guerre froide où l’URSS sut marquer son temps avec une lignée d’avions assez réussis à l’esthétique soignée et dont le premier avion fut le Tupolev Tu-104.
Au début des années 1950 l’aviation commerciale repose encore en très grande partie sur des avions à moteurs à pistons. Beaucoup sont issu de la Seconde Guerre mondiale à l’image forcément du Douglas C-47 Skytrain largement démilitarisé dès 1945 et versé aux compagnies aériennes du monde entier. Les vols longs-courriers sont alors la spécialité des grands quadrimoteurs Douglas DC-6 et Lockheed Constellation.
Pourtant ça et là des tentatives de modernisation ont lieu, avec comme pays phare dans ce domaine le Royaume-Uni. Son quadrimoteur à turbopropulseurs Vickers Viscount et surtout son quadriréacteur De Havilland Comet passent pour être parmi les avions les plus modernes du moment.
De l’autre côté du rideau de fer la situation est sensiblement la même. La compagnie étatique soviétique Aeroflot aligne encore majoritairement des Lisunov Li-2 issu de la guerre ainsi que des avions plus petits comme l’Antonov An-2 biplan. Pourtant les choses vont changer, non pas suite à un cahier des charges tout à fait officiel mais grâce à l’ingéniosité et au culot d’Andreï Tupolev.
Le célèbre concepteur d’avions profite en janvier 1953 d’une entrevue privée avec le dictateur Joseph Staline. Ce dernier est affaibli mais encore lucide. Tupolev lui propose de développer pour l’Aeroflot un avion de ligne biréacteur dérivé de son bombardier Tu-88 récemment commandé par les militaires soviétiques. Même si Staline ne comprend déjà plus les tenants et les aboutissants d’une telle entreprise il signe un protocole industriel, faisant confiance à Tupolev. Deux mois plus tard le sanguinaire dictateur décèdera d’une attaque cardiaque.
En fait Andreï Tupolev compte alors bien damner le pion des constructeurs occidentaux. Lui qui n’a pas réussi à faire voler le premier avion de ligne à réaction espère bien proposer au monde le premier à court et moyen rayon d’action. Surtout il connait les défauts du Comet britannique a décidé d’en tirer les enseignements.
Mais son bombardier doit être agrandi pour devenir un avion de ligne. Le diamètre du fuselage passe alors de 2.90 mètres à 3.40 mètres. Pour le reste l’avion devra conserver ce qui a fait que le Tu-88 soit commandé en série. La pressurisation demeure identique, Tupolev conserve les deux réacteurs Mikouline RD.3, ainsi que le fameux nez vitré trahissant ainsi les origines militaires de son avion commercial. Peu importe pour le vieil ingénieur soviétique l’importer est d’aller plus vite que ses concurrents de Boeing, Douglas, ou encore Lockheed. L’Union Soviétique doit alors sortir en premier son avion. Il ignore alors qu’aucun des avionneurs américains ne travaille sur une telle machine. Il aurait pu prendre son temps, mais non en lieu et place il oblige ses équipes à faire les trois huit. On travaille donc 24 heures sur 24 dans le bureau d’étude Tupolev.
À la mi-1954 l’avion est prêt. Enfin sur la planche à dessins il l’est. Car dans la réalité des faits le Tupolev Tu-104 comme il est désormais désigné n’avance qu’à petit pas. Surtout quelques semaines plus tard Andreï Tupolev apprend par les services du KGB que c’est de France que pourrait arriver la concurrence. La Société Nationale de Construction Aéronautique du Sud-Est aurait lancé le développement d’un avion très innovant pouvant faire de l’ombre au Tu-104. Les cadences de production du prototype sont revues à la hausse et deviennent alors infernales.
Finalement le 1er mai 1955, date de la fête nationale soviétique, l’avion est présenté dans son hangar à Nikita Khrouchtchev alors à la tête du pays. Le dirigeant soviétique se dit impressionner. Le premier vol est alors planifié pour la mi-juin.
Le 27 mai 1955 résonne alors un coup de tonnerre dans la tête des ingénieurs de Tupolev. En France le prototype de l’avion de ligne SNCASE SE.210 Caravelle vient de réaliser son premier vol. L’Union Soviétique et Andreï Tupolev ont perdu leur pari, ils ne feront pas voler le premier avion de ligne biréacteur au monde. Leur Tu-104 s’envole finalement le 17 juin 1955. Il est porteur de l’immatriculation civile CCCP-L5400. Le programme d’essais en vol se déroula sans difficulté durant tout le reste de l’année 1955.
L’année 1956 permit à Aeroflot et Tupolev de tester l’avion dans diverses conditions climatiques, du plus froid au plus chaud. C’est à ce moment là que l’avion fut affublé du nom de code de Camel dans la nomenclature de l’alliance Atlantique.
Le 22 mars 1956 les experts occidentaux ont pu l’admirer de près. En effet le prototype est venu se poser sur l’aéroport londonien de Heathrow avec à son bord une délégation d’officiels préparant le voyage d’état de Nikita Khrouchtchev. Quelques semaines plus tard l’avion est revenu à Londres accompagné de deux autres exemplaires afin de transporter le dirigeant soviétique et tous ses accompagnateurs. Il ne faisait aucun doute dans l’esprit des gens du KGB que les services occidentaux en profiteraient pour observer ce près ce Tupolev Tu-104. Ce qu’ils ont bien sûr fait !
Finalement les premiers exemplaires de série entrent en service actif au sein d’Aeroflot le 15 septembre 1956. D’abord cantonnés aux vols intérieurs et à quelques missions de prestige ils font leurs débuts sur les liaisons internationales quelques semaines plus tard en reliant Moscou à Prague. À Noël 1956 les biréacteurs de nouvelle génération sont aperçus sur les aéroports londoniens et parisiens. À ce moment là le Tu-104 est un avion d’exception qui n’accueille que cinquante passagers dans un luxe particulièrement ostentatoire avec sièges en cuirs, tablettes en acajou, et service de champagne à bord. De quoi oublier un temps qu’on se trouve à bord d’avions soviétiques.
L’année 1957 voit apparaitre les Tupolev Tu-104A et Tu-104B agrandis et permettant d’accueillir respectivement 70 et 100 passagers. On est alors encore loin du transport aérien de masse. Assez étrangement les compagnies aériennes étrangères ne se bousculent pas au portillon pour le commande. Seule CSA, la compagnie étatique tchécoslovaque en fait l’acquisition. Les autres transporteurs aériens des pays communistes le boudent.
Les militaires aussi s’intéressent à l’avion. Dix exemplaires sont commandés pour des missions de transport de hautes personnalités et codés 001 à 010. Des versions spécifiques destinés par exemple à l’entraînement des cosmonautes ou encore au transport de troupes sont construites souvent en très peu d’exemplaires. Ce dernier est désigné Tupolev Tu-107 et construit à un unique exemplaire. Destiné au parachutage de troupes aéroportées il dispose d’une rampe arrière très complexe. Finalement l’aviation militaire soviétique lui tourne le dos. L’OTAN aura pourtant eu le temps de lui attribué la désignation de Camel-B.
La version militaire la plus prolifique est le Tu-104Sh d’entraînement à la radionavigation destiné aux équipages de bombardiers. L’ironie veut que les Tu-104Sh permettent de former les équipages appelés à voler sur Tu-16, l’autre avion conçu à partir du prototype Tu-88. La boucle est donc bouclée.
Avion iconique des années 1950/1960 particulièrement réussi le Tupolev Tu-104 a pourtant connu quelques raté. Il a souffert d’un nombre important d’accidents en service commercial dont plusieurs furent des tragédies aériennes avec un nombre important de morts.
Retiré du service commercial au début des années 1980 quelques exemplaires militaires ont volé jusqu’au milieu de la même décennie. Le Tu-104 est connu pour avoir donné naissance à deux avions : le quadriréacteur commercial Tu-110 Cooker demeuré à l’état de prototype et le Tu-124 Cookpot construit lui en série.
De nos jours plusieurs Tupolev Tu-104 Camel sont préservés dans des musées aéronautiques principalement en Russie. L’avion a permis à Tupolev de devenir autre chose qu’un constructeur de bombardiers. Il reste le premier avion commercial à réaction construit en Union Soviétique. Et donc à ce titre il est historiquement très important.
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