Dans l’histoire de l’aviation les aéronefs expérimentaux tiennent une place à part. En premier lieu parce qu’ils sont protéiformes. Les plus célèbres sont évidemment les avions de records ou de «premières fois» comme le Bell X-1 américain ou le Sud-Ouest SO.6000 Triton français. Dans le même genre les démonstrateurs technologiques restent des machines expérimentales très médiatisées à l’image par exemple du Hawker-Siddeley P.1127 Kestrel britannique ou encore du Sukhoi T-4 Sotka soviétique. Il serait intellectuellement malhonnête d’oublier les appareils ratés, ceux qui ont soit perdu une compétition soit qui n’ont jamais réussi à convaincre un quelconque marché. Là encore les exemples sont légions à l’image du Dassault Aviation Super Mirage 4000 français ou du Kaiser-Fleetwings XBTK américain.
Enfin il existe un type d’appareils expérimentaux souvent oubliés : les bancs d’essais volants. Ils ont eu pour mission de valider un concept sans pour autant aller aussi loin qu’un démonstrateur technologique voire qu’un prototype. L’un des exemples les plus fameux nous vient de Grande Bretagne : le monoréacteur Short SB.5.
Au cours de la première moitié des années 1950 la Royal Air Force voulut absolument conserver sa place prépondérante en Europe occidentale alors même que l’Armée de l’Air était désormais totalement revenue à un standard international de haut niveau. Elle devait donc trouver un chasseur de haut niveau dont le développement fut confié à l’entreprise English Electric sous la désignation temporaire P.1. Pourtant les premières ébauches de l’appareil laissait entrevoir des difficultés quant à l’emploi d’une aile en flèche très accentuée et d’un empennage uniquement horizontal. English Electric refusant catégoriquement de développer un banc d’essais afin de valider son concept le gouvernement britannique décida d’agir sans son consentement. C’est dans ce sens que l’Air Ministry émit l’Operational Requirement 100 relatif à un avion expérimental dédié uniquement aux essais en vol à basse et très basse vitesses.
C’est l’avionneur Short qui se vit confier la partie technique de l’OR.100. Pour lui il s’agissait donc de démontrer que le futur chasseur P.1 serait apte à décoller mais surtout à atterrir sans le moindre souci. Le banc d’essais volant reçut alors la désignation de SB.5 dans la nomenclature du constructeur.
English Electric lui confia les plans et côtes relatifs à la conception de l’aile. Il impliquait un avion à géométrie variable, une technologie encore balbutiante outre-Manche.
En fait le Short SB.5 était un faux avion à géométrie variable. Son incidence de voilure n’était pas modifiée en vol mais uniquement au sol par une équipe de techniciens. Celle-ci variait de 50° à 60°, et ensuite à 69°.
N’étant pas dédié à autre chose que des essais à basse vitesse le prototype ne faisait que ressembler à un chasseur. Il était loin d’en avoir les capacités. En premier lieu il n’était pas intégralement construit en métal puisqu’une partie de la voilure était en contreplaqué. Ensuite s’il possédait bien un train d’atterrissage tricycle celui-ci était fixe. Un mécanisme de rétractation fut jugé inutile étant donné que le SB.5 n’avait pas l’autorisation de dépasser la vitesse de 350 nœuds, soit environ 650 kilomètres heures. Pour le reste l’avion possédait un surprenant empennage en T dont la partie horizontale était de forme triangulaire.
C’est dans cette configuration que le premier vol de l’avion expérimental intervint le 2 décembre 1952.
C’est à l’été 1953 que les premiers essais de changement d’incidence de voilure furent réalisés. Deux ans plus tard les ingénieurs du Royal Aircraft Establishment et les équipes de Short arrivèrent à la même constatation : l’empennage delta en T était totalement inutile. Il fut remplacé par un empennage verticale disposant d’une mini-voilure delta à sa base. Les essais en vol se poursuivirent afin d’étudier la meilleur incidence possible pour l’English Electric P.1 dont le développement se poursuivait en parallèle de celui du SB.5.
Finalement les essais démontrèrent que la meilleure incidence était celle à 69°, étant la plus stable à basse et très basse vitesse. Début 1960 le RAE mit fin au programme de l’OR.100 promettant le SB.5 à la casse.
C’était compter sans l’Empire Test Pilot School qui récupéra l’appareil à l’été de la même année. Après l’avoir doté d’un siège éjectable Martin-Baker l’école confia le Short SB.5 à ses élèves pilotes d’essais afin qu’ils apprennent à voler sur des avions à réaction capables d’évoluer lentement à basse vitesse. Intégralement repeint en bleu roi il y servit jusqu’à la fin de l’année 1969. Il fut alors livré au RAF Museum de Cosford où il est toujours préservé de nos jours.
Avion mal connu du grand public, y compris en Grande Bretagne, le Short SB.5 est symbolique d’une époque où l’informatique ne permettait pas d’élaborer des calculs physiques complexes et où les avions d’essais étaient encore nécessaires. Sans lui jamais le légendaire chasseur BAC Lightning n’aurait vu le jour. C’est en effet sous ce nom que le P.1 fut construit en série.
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