Durant près d’un demi-siècle la Royal Air Force fit reposer le gros de ses missions de reconnaissance maritime sur les seuls hydravions à coque. Des machines de plus en plus complexes au fur et à mesure que le temps passait. Des appareils qui également permirent d’imposer aux colonies britanniques les vues de Londres sur leur avenir. De toutes les constructeurs de ce pays celui qui demeure pour beaucoup le spécialiste de ces machines est Short, installé à Belfast en Ulster. Et l’une de ses machines phares fut le surprenant et particulièrement peu élégant S.19 Singapore.
Avant l’apparition des Specifications de l’Air Ministry il y avait les Specifications propres à la RAF. Elles existèrent de 1918 à 1920 inclus. La Type XXX représentait une première tentative de remplacement des Felixstowe F.5 en dotation depuis la Première Guerre mondiale. Deux avionneurs y répondirent avec chacun un modèle d’hydravion à coque : Short et Vickers. Malgré l’échec du cahier des charges et l’abandon de ce Type XXX le N.3 Cromarty fut une réalité pour les ateliers nord-irlandais de Short puisqu’il vola en avril 1921.
Le prototype de cet hydravion se présentait sous la forme d’un biplan d’envergure inégale construit en bois et toile animé par deux moteurs à douze cylindres en V Rolls-Royce Condor IA d’une puissance nominale de 650 chevaux. Outre ses 900 kilogrammes de bombes et de charges de profondeurs il disposait n armement externe d’un canon COW de calibre 37 millimètres dans le nez et d’une mitrailleuse Lewis de 7.7 millimètres dans un poste de tir dorsal. Le Short N.3 Cromarty n’apportait en effet rien à la RAF vis-à-vis du F.5 de très grande qualité. On crut alors l’appareil définitivement enterré.
Trois ans seulement après le vol inaugural du N.3 Cromarty l’Air Ministry revint à la charge avec la Specification 13/24 relative à un hydravion patrouilleur devant là encore succéder au Felixstowe F.5. Le moins qu’on puisse dire c’est que la Royal Air Force avait de la suite dans les idées. Ça tombe bien alors que Short avait du répondant. Les ingénieurs de l’entreprise eurent l’idée de ressortir les plans du Cromarty et d’en dériver une machine beaucoup plus moderne et totalement construite en métal : le S.5 Singapore. En fait il conservait la quasi totalité de l’aspect extérieur du Cromarty mais en métal, y compris ses moteurs. Seul le canon COW de nez disparut au profit d’une mitrailleuse Lewis plus légère et identique à celle en position dorsale. Il vola en août 1926 et perdit la compétition face au Blackburn RB-1 Iris. Au lieu d’être détruit ce prototype fut désarmé et racheté par l’aviateur et homme d’affaire Alan Cobham qui l’employa pour des vols de cartographie en Afrique.
Sur fonds propres les frères Short eurent alors l’idée de reprendre les plans de l’hydravion et d’en dériver une version quadrimoteur. Désigné S.12 Singapore Mk-II il disposait donc de quatre Rolls-Royce Condor IIIA d’une puissance nominale de 650 chevaux montés en mode push-pull et actionnant hélices tractives et propulsives. Purement destiné à des essais en vol cet hydravion ne fut jamais armé, même s’il possédait les emplacements pour postes de tir. Il réalisé ses essais en vol à partir de mars 1930. Et même s’il ne déboucha pas immédiatement sur une commande en série il commença à éveiller l’intérêt de la Royal Air Force.
Des pourparlers s’engagèrent alors entre le constructeur et l’Air Ministry autour d’une version améliorée de ce Short S.12 Singapore Mk-II doté d’améliorations notables comme par exemple un poste de pilotage fermé ou encore un armement défensif revu et renforcé. La fiabilité du Rolls-Royce Condor étant alors remise en question par les autorités britanniques il fut question d’un hydravion animé par des Rolls-Royce Kestrel tout en conservant la configuration push-pull. Une fois les contours dessinés l’Air Ministry émit en janvier 1933 la Specification 3/33 relative à un hydravion patrouilleur. Ayant compris la manœuvre aucun constructeur ne s’opposa à Short et trente-sept exemplaires de l’appareil furent commandés en tant que S.19 Singapore Mk-III. Le premier vol du prototype intervint en juillet 1934 tandis que les premiers exemplaires de série entrèrent en service en mars 1935et le dernier en juin 1937.
Au sein de la Royal Air Force les Short Singapore Mk-III étaient officiellement tous basés à Pembroke Dock, le nid des hydravions de patrouille britannique. Sauf que ce port gallois n’était bien souvent qu’une pure adresse administrative pour eux. La majorité des exemplaires fut envoyée dans l’immensité de l’empire colonial britannique. On en trouvait alors à Ceylan, en Égypte, en Irak, et bien entendu à Singapour. Il est à noter cependant que la seule unité officiellement non basée à Pembroke Dock était le N°240 Squadron stationné à Calshot dans le sud de l’Angleterre. Ayant remplacé les English Electric Kingston ses Singapore Mk-III remplissaient des missions de surveillance de la Manche.
Quand en septembre 1939 la Seconde Guerre mondiale éclata dix-neuf Short Singapore Mk-III furent conservés en service tandis que les autres laissaient la place à des Short Sunderland Mk-I bien plus modernes. Les appareils continuèrent leurs patrouilles entre l’Océan Indien et le Proche-Orient. En février 1942 le Japon envahit Singapour. Cependant quatre hydravions appartenant au N°205 Squadron eurent le temps de fuir et de rejoindre l’Australie. Si celle ci n’avait aucun intérêt pour ce modèle d’hydravion déjà vieillissant il n’en fut pas de même de la Royal New Zealand Air Force qui les réquisitionna et les affecta à son N°5 Squadron. Après le vote par les États-Unis de la loi de Prêt-Bail la totalité des Singapore Mk-III encore en dotation dans les rangs de la RAF fut remplacée par des Consolidated Catalina Mk-IB/Mk-IIA. Le dernier quitta le service actif en juillet 1942.
Avec sa voilure type biplan d’envergure inégale et son empennage triple dérive le Short S.19 Singapore Mk-III ne ressemble pas exactement à ce qu’on peut penser à propos des hydravions patrouilleurs de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant sa robustesse et sa rusticité en firent un appareil apprécié de ses équipages. Il aura tout de même fallu près d’une décennie et demi pour le mettre au point, ce qui à l’époque était très long ! Aucun n’est parvenu jusqu’à nous.
En savoir plus sur avionslegendaires.net
Subscribe to get the latest posts sent to your email.