Il y a dans l’histoire de l’aviation quelques avionneurs et hélicoptéristes qui se traînent, avec raison ou pas, des images de marques déplorables. C’est souvent en raison de plantages et de ratages ne dépassant pas le stade du prototype réalisés à répétitions. C’est aussi, plus rarement, parce que leurs productions en série n’ont pas laissé un souvenir impérissable voire ont toujours été considérées comme médiocres. L’un des exemples les plus criants est la société Seversky aux États-Unis. Parmi ses créations particulièrement décriées en leur temps figure le Model 2PA, lequel donna le chasseur biplace A8V Dick utilisé par la marine impériale japonaise et l’avion d’entraînement AT-12 Guardsman qui vola pour le compte de l’US Army Air Corps puis de l’US Army Air Force.
C’est sur fonds propres que l’ingénieur Alexander Kartveli réussit à convaincre son employeur Alexander de Seversky de développer une version biplace de son chasseur léger P-35. Son idée était que les guerres à venir allaient marquer l’avènement du bombardement aérien, et donc des chasseurs d’escorte. Pour lui ceux ci ne pouvaient être que des biplaces en tandem lourdement armés. Dans la théorie Kartveli avait tout bon sauf que les avionneurs concurrents ne voyaient pas cela du même œil. Pour eux les chasseurs d’escorte allaient surtout être des avions à long rayon d’action donc des bimoteurs. Surtout les avionneurs spécialisés dans le bombardier travaillaient alors sur des avions rapides.
Malgré cela début 1934 Alexander de Seversky signa un chèque à son ingénieur en chef afin qu’il lance le programme alors connu comme SEV-2XP, bientôt changé en Model 2PA. Présenté officiellement quelques mois plus tard à l’US Army Air Corps il ne suscita aucun intérêt de la part des généraux américains. Les équipes de Seversky eurent alors l’idée d’attendre que le prototype soit terminé. Cela eut lieu en juin 1935.
Extérieurement le Seversky Model 2PA ne pouvait nier sa parenté avec le P-35. Monoplan à aile basse cantilever assemblé en métal et disposant d’un poste de pilotage biplace en tandem il possédait un train d’atterrissage classique semi-retractable. Il était animé par un Wright R-1820-G7 Cyclone à neuf cylindres en étoile d’une puissance de 1000 chevaux entraînant une hélice bipale en métal. Son armement était particulièrement conséquent pour l’époque avec deux mitrailleuses fixes de calibre 12.7 millimètres et une mobile de calibre 7.7 millimètres installée en poste de tir arrière. En configuration de chasseur-bombardier il accueillait deux bombes de 113 kilogrammes chacune ou quatre de 55.
C’est le 15 août 1935 que le prototype réalisa son premier vol.
Dès lors les équipes de Seversky mirent en alerte tous leurs réseaux afin de tenter de trouver des clients potentiels à l’étranger pour ce Model 2PA. Des touches eurent lieu en URSS autour d’une possible production sous licence par Polikarpov mais finalement le contrat échoua, bien plus pour des raisons diplomatiques que purement techniques. Lors d’essais comparés le Model 2PA réussit même à plusieurs reprises à battre des Polikarpov I-16, alors considérés comme les meilleurs chasseurs soviétiques. Les deux exemplaires prêtés furent finalement vendus à l’URSS pour un dollar symbolique chacun.
Dans le même temps l’avion fut présenté un peu partout dans le monde : en Amérique du Sud, en Asie, et en Europe. Les principales touches eurent lieu avec la Belgique, la France, le Japon, et la Suède. En Belgique l’avion fut opposé au monoplace Brewster B-339 Buffalo également américain, lequel se révéla supérieur au Model 2PA. En France il n’eut pas plus de succès les Curtiss P-36 Hawk américains et Koolhoven FK.58 néerlandais se révélant bien supérieurs à lui. Au Japon et en Suède par contre l’avion emporta le marché au cours de l’année 1939. Dans le premier cas c’est la version d’escorte, sans capacité de lancement de bombes qui fut retenue, et dans le second la version de chasse bombardement.
La marine impériale nippone fut la première à dégainer le contrat pour vingt avions destinés à opérer depuis le sol dans un premier temps, et ensuite à partir de porte-avions. La navalisation n’étant pas une spécialité de Seversky les avions étaient prévus pour être modifiés au Japon, dans les usines de l’arsenal de Yokosuka. Les avions en question furent désignés A8V et livrés entre juin et octobre 1939. Ils furent immédiatement engagés au combat, dans des missions contre l’aviation chinoise. Malheureusement pour eux les pilotes japonais se rendirent très vite compte que ce Seversky A8V n’avait rien de l’avion qu’ils avaient espéré. Son rayon d’action ne lui permettait pas d’accompagner les bombardiers Mitsubishi G3M. Rapidement ils furent relégués à des missions de défense aérienne sur sites, notamment autours d’arsenaux. Ils étaient encore en service quand le Japon frappa l’Amérique à Pearl Harbor le 7 décembre 1941.
D’ailleurs le Seversky A8V fut le premier avion non japonais à recevoir une désignation officielle auprès des Alliés. Il avait été baptisé Dick. Pour autant il fut retiré du service quelques mois plus tard, en avril 1942. Sur les vingt avions commandés et reçus seuls onze étaient encore en état de vol, les autres ayant été perdus par accidents, par fait de défense anti-aérienne, ou par la faute de la chasse chinoise. Tous les exemplaires survivants furent envoyés à la ferraille.
En Suède c’est la Flygvapnet qui acheta un lot de cinquante-deux Model 2PA à la fin de l’année 1939. Désignés localement B9 il étaient prévus pour assurer des missions de chasse lourde et d’appui aérien rapproché. Malheureusement pour la Suède seuls deux exemplaires furent livrés alors même que la totalité des avions avait été produite. En fait la Suède figurait sur la liste des pays européens placés sous embargo en juin 1940 par l’administration fédérale américaine. Une manière comme une autre selon elle d’éviter que des matériels de guerre ne tombent entre les mains de l’Allemagne nazie ou de l’Italie fasciste qui se trouvaient également sur cette liste. La neutralité suédoise fut mise en avant par Stockholm mais cela ne changea rien.
Au début de l’année 1941 il fut décidé que les cinquante B9 destinés à la Suède serait renvoyés en usines et transformés en avions d’entraînement avancé pour le compte de l’US Army Air Corps. Une des deux mitrailleuses de calibre 12.7 millimètres ainsi que la mobile de calibre 7.7 millimètres furent alors déposée tandis que l’autre était conservée tout comme la charge de bombes. Elle fut même portée à 550 kilogrammes. Le poste de pilotage fut revu de manière à accueillir un instructeur en place arrière et un système de doubles commandes. Ces avions furent acceptés au service comme AT-12 Guardsman.
Contre toutes attentes cet avion d’entraînement avancé non désiré et issu d’un chasseur passablement raté se révéla être un très bon appareil. Pas assez cependant pour que l’US Army Air Force en commande des exemplaires supplémentaires une fois les États-Unis entrés en guerre. Il faut dire que Seversky avait changé de raison sociale, devant Republic, et que désormais l’avionneur se concentrait sur l’usinage de son chasseur-bombardier P-47 Thunderbolt. D’ailleurs le lance-bombes de celui-ci fut testé sur le Model 2PA propre au constructeur. Les AT-12 Guardsman furent utilisés surtout pour l’entraînement au bombardement des pilotes de chasseurs bombardiers. Il fut même proposé à la Royal Air Force dans le cadre de la loi de prêt-bail. Elle le refusa.
Victime d’une usure prématurée du train d’atterrissage la totalité de la flotte de Seversky AT-12 Guardsman fut retirée du service en octobre 1944. C’est le North American AT-6C Texan qui assura leur remplacement jusqu’à la fin des hostilités. La majorité des AT-12 demeura pourtant dans les rangs de l’USAAF jusqu’en décembre 1945, dans un rôle de plastron sol pour la formation des mécaniciens et des armuriers.
Même si l’AT-12 Guardsman est globalement considéré comme un avion passable voire efficace, bien plus que le BT-8 du même avionneur, le Model 2PA reste un beau plantage de la part de Seversky. De nos jours un avion d’entraînement avancé est préservé, en état de vol, aux États-Unis par le Planes of Fame Air Museum de Chino.
Il convient bien sûr de ne pas confondre le Seversky AT-12 Guardsman avec le Kaiser-Fleetwings BT-12 Sophomore qui date de la même époque et qui lui aussi a été peu médiatisé.
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