Depuis la fin des années 1960 les États-Unis mènent une véritable guerre contre le trafic de stupéfiants. Prenant d’abord la forme de ce que l’on a appelé la French Connection qui partait de Turquie pour rejoindre l’Amérique du nord via le port français de Marseille comme plaque tournante elle s’est peu à peu muée en traque des narcotrafiquants sud-américains. Ces derniers exportaient dès les années 1980 des tonnes de cocaïne directement sur le territoire américain. Devant la vague de décès et les milliards de dollars générés illégalement le gouvernement fédéral décida de riposter. Et l’un des outils créé dans ce sens fut un étonnant avion bimoteur de reconnaissance et de surveillance destiné à la pourchasse de ces marchands de mort : le Schweizer RU-38 Twin Condor.
Au cours de l’année 1992 l’US Coast Guard demanda à l’avionneur Schweizer de travailler à un avion de reconnaissance capable de surveiller les eaux du golfe du Mexique durant plusieurs heures en étant quasi indétectable. Il s’agissait alors de trouver un successeur à ses motoplaneurs de surveillance RG-8 Condor en service alors depuis quelques années et qui commençaient à montrer leurs limites. Mais les gardes-côtes américains se heurtèrent à un mur politique. En effet il leur était alors impossible de demander la création d’un tel avion pour la seule mission de lutte anti-drogue, cela reviendrait à annoncer publiquement que les forces armées américaines menaient alors des missions contre le trafic de stupéfiants. Ce qu’officiellement elles n’étaient pas censées faire, et ce même si en temps de paix l’US Coast Guard n’est pas une force armée mais une administration rattachée au ministère américaine de la sécurité intérieure. Même pour les Américains son cas demeure nébuleux.
Il fallait donc aux coasties pouvoir lui trouver de nouvelles missions pour justifier de son utilité. Le nouvel avion fut donc officiellement commandé en 1993 comme plateforme de surveillance des zones de pêches, de suivi des pollutions maritimes, de lutte contre les trafics de drogue et contre l’immigration clandestine. Il est à remarquer que les deux premières missions revenaient alors principalement aux Dassault HU-25B Guardian de facture française. Mais peu importe la guerre contre les narcotrafiquants impliquait la conception d’un tel avion, ils serait donc conçu.
En fait le Pentagone avait déjà commandé à l’avionneur de travailler officieusement dessus dès novembre 1992. Et l’avion fut discrètement dévoilé sous la désignation-constructeur de Schweizer SA 2-38A en avril 1996. Extérieurement il n’avait plus grand-chose à voir avec son prédécesseur.
C’était un monoplan à aile basse cantilever de construction mixte en métal et matériaux composites. Il possédait un train d’atterrissage tricycle non-escamotable. Son architecture de type bipoutre push-pull, c’est à dire disposant de deux moteurs l’un actionnant une hélice propulsive et l’autre une hélice tractive, le rendait assez singulier. Ces deux moteurs étaient des Teledyne Continental GIO-550A à six cylindres en ligne développant chacun 350 chevaux.
Il n’était pas sans rappeler l’avion d’observation Cessna O-2 Skymaster. Son poste de pilotage biplace côte à côte disposait alors d’une avionique de pointe, et avait même été pensé pour pouvoir voler sous jumelles à vision nocturne, le rendant quasi indétectable de nuit. Il ne ressemblait alors à rien qui existait.
L’avionique du Schweizer SA 2-38A était très inhabituelle pour un avion de l’US Coast Guard. Une caméra à bas niveau de visibilité était couplée à un FLIR type AN/AAQ-15. Celui-ci avait été spécialement conçu par Martin Marietta à partir du système AN/AAQ-13 LANTIRN qui équipait alors les chasseurs-bombardiers McDonnell-Douglas F-15E Strike Eagle.
Enfin l’avion possédait un radar multifonction de cartographie maritime AN/APN-215, là aussi pensé spécifiquement pour lui.
En fait ce Schweizer SA 2-38A avait réalisé son premier vol quelques mois auparavant, en mai 1995, sous l’immatriculation civile N61428. Aux vues de l’aspect sensible de l’avion il avait été décidé par le gouvernement fédéral américain que l’US Coast Guard déléguerait les essais en vol à une équipe mixte menée par des ingénieurs du constructeur et mettant en œuvres des pilotes d’essais de l’US Air Force. Il faut dire que cette dernière s’intéressait de près à cette machine, qu’elle voyait alors comme une possible future plateforme de surveillance nocturne pour certaines zones où elle n’était pas officiellement engagée. Même la CIA ne cacha pas son intérêt pour le SA 2-38A qu’elle considérait alors comme un avion parfait pour être déployé en renfort de ses avions-espions Lockheed U-2S.
Les essais en vol furent donc confié au 445th Flight Test Squadron de l’US Air Force, à partir des installations californiennes d’Edwards AFB. Et ceux-ci conclurent que si l’avion répondait parfaitement aux attentes de l’US Coast Guard pour ses missions maritimes il ne serait pas d’une très grande utilité pour l’US Air Force et la CIA. En fait ces deux dernières entités avaient déjà les yeux rivés sur un autre type d’aéronefs : les avions sans pilote. Et plus particulièrement le nouveau General Atomics RQ-1A Predator alors en développement.
C’est le 7th Coast Guard District implanté à Miami en Floride qui réceptionna en mars 1997 les deux avions qui avaient entre temps reçu la désignation officielle de Schweizer RU-38A Twin Condor. Ils furent affectés à CGAS Miami où se concentrait déjà la flotte d’avions anti-drogues Dassault HU-25C Night Stalker. Les bipoutres push-pull allaient devoir les assister dans leurs missions.
Et dès mai 1997 les premiers vols opérationnels débutèrent. Pour des raisons purement administratives les deux RU-38A Twin Condor devaient donc assurer des missions de surveillance des zones de pêche, l’une des missions principales alors des Lockheed HC-130H Hercules. En fait sous couverts de tels vols les équipages de l’US Coast Guard, qui volaient (fait suffisamment particulier pour être souligné !!!) sous livrée basse visibilité, assuraient surtout des traques d’embarcations légères transportant des migrants clandestins depuis l’Amérique Centrale. L’année suivante un des deux avions fut modernisé, et par la même occasion obliger de retourner à Edwards AFB au sein du 445th Flight Test Squadron. Les coasties de Floride n’alignaient plus qu’un seul bimoteur.
Dans le même temps Schweizer développa une version plus musclée : le RU-38B. Si l’avionique demeurait strictement la même c’est au niveau de la motorisation que cela changeait. Les moteurs à pistons furent déposés au profit de deux turbopropulseurs Rolls Royce Allison 250-B17F d’une puissance nominale de 450 chevaux. Ils permettaient donc un gain de cent chevaux au total. Des winglets furent installés en bout d’ailes. Mais revers de la médaille le RU-38B était globalement plus bruyant que le RU-38A, un comble pour un avion de surveillance devant être le plus discret possible. Malgré cela, et un peu sur pression du Pentagone, l’US Coast Guard fut obligée de prendre en compte l’avion de présérie.
En août 1999 elle retrouva donc sa pleine possession de deux RU-38A Twin Condor auxquels s’ajoutait désormais l’unique RU-38B. Si les deux premiers continuaient de traquer le plus discrètement possible les trafics de drogue et les flux d’immigrants clandestins le troisième assurait lui des missions au profit de la pêche en zone du golfe du Mexique. En fait les RU-38A volaient surtout de nuit quand le RU-38B assuraient des missions diurnes.
Malgré plus dizaines de vols, souvent aux limites des espaces aériens colombiens et vénézuéliens les trois avions ne demeurèrent en service au sein de l’US Coast Guard que jusqu’en novembre 2001. À cette époque le Pentagone s’était trouvé un nouvel ennemi bien plus médiatique que la drogue : le terrorisme djihadiste. Les attaques du 11 septembre venaient de frapper la côte est des États-Unis.
Mais surtout le Schweizer RU-38 Twin Condor était un avion assez onéreux à mettre en œuvre. Fragile il nécessitait beaucoup d’heures de maintenance par rapport aux heures de vols. Le ratio était de 70 heures en ateliers par heure dans le ciel. Ce qui le rendait bien moins efficace au final que les HU-25C Night Stalker.
En avril 2004 un contrat est pourtant signé entre le ministère américain de la justice et Schweizer pour la fourniture de deux RU-38B à ses services. Le premier entre en service très vite, dès le mois de juillet. Et pour cause il s’agit de l’ancien troisième avion de l’US Coast Guard retiré du service un peu plus de deux ans et demi plus tôt. Le second, un ancien RU-38A est modifié en atelier et entre en service en octobre 2005. Pour les agents fédéraux américains ces deux avions permettent de mener jusqu’en 2013 de fréquentes missions de lutte contre les trafics de stupéfiants mais également contre les risques terroristes ou encore de surveillance discrète d’individus recherchés. Ces avions sont parfois aperçus sur des aérodromes assez loin du territoire américain.
Début 2014 leur retrait du service est annoncé mais ils sont de nouveaux vu sur un terrain d’aviation appartenant au gouvernement fédéral américain en 2017. C’est donc le plus grand flou qui existe autour de ces deux avions.
Machine originale le Schweizer RU-38 Twin Condor est encore très souvent perçu aux États-Unis comme un caprice très onéreux de la part de l’US Coast Guard. Il faut cependant remarquer que son flop aura permis aux coasties d’affiner leurs besoins en matière de surveillance maritime, ce qui a donné naissance à l’Airbus Defense & Space HC-144A Ocean Sentry. Ce bipoutre push-pull ne peut donc pas être considéré comme une réussite, ni tout à fait comme un total plantage. Reste qu’il a tout de même une drôle d’allure qui le rend intéressant.
En savoir plus sur avionslegendaires.net
Subscribe to get the latest posts sent to your email.