Cette première moitié de 21e siècle est celle du renseignement aéroporté. Outil essentiel à la prise de décision des instances politiques des pays autant que des états-majors il se doit d’être le plus précis possible. La France ne fait pas exception à cette règle. C’est l’Armée de l’Air et de l’Espace qui chez nous assure cet éventail de missions dont les ROEM et ROIM figurent parmi les sources les plus importantes. Il s’agit respectivement du renseignement d’origine électromagnétique et du renseignement d’origine image. Depuis le printemps 2022 ce sont les ALSR Vador développés par la société Sabena Technics assisté de Thales qui remplissent ces fonctions.
Le retrait du service en 2004 du Sarigue NG, un avion de ligne Douglas DC-8 d’origine américaine profondément modifié en France, laissa notre pays sans plateforme majeure d’espionnage aéroporté. Le renseignement aéroporté reposait désormais exclusivement sur les Transall C.160G Gabriel de l’Escadron Électronique 1/54 Dunkerque. Seulement voilà ces avions ont vieilli assez rapidement et leurs équipements sont devenus obsolètes, surtout avec le retour d’une menace forte à l’est de l’Europe, dans l’ex Union Soviétique. Leur remplacement est décidé au début des années 2010. L’Armée de l’Air se met alors en quête d’une première plateforme permettant d’assurer de telles missions au plus près de la menace. Il semble essentiel aux décideurs institutionnels et militaires français que cela se fasse autour d’un avion compact.
On pense dans un premier temps au Reims F406 Caravan II mais cette option est rapidement rejetée pour diverses raisons dont des contingences de rayon d’action. Finalement la DGA et ses deux principaux partenaires, le maître d’œuvre Sabena Technics et l’équipementier Thales, jettent leur dévolu sur le Beechcraft Super King Air 350 américain. Afin de ne pas alourdir les procédures administratives avec les autorités fédérales des États-Unis le contrat pour trois exemplaires, d’abord deux puis un troisième ensuite, sont passés sur le marché civil. C’est une fois arrivés en Europe que ces bimoteurs turbopropulsés d’affaire seront modifiés en avions de surveillance et de reconnaissance.
Au sein de la puissante Direction Générale de l’Armement le programme est désigné ALSR, pour Avion Léger de Surveillance et de Reconnaissance. Cet avion doit permettre d’utiliser le moins possible de technologie militaire d’origine américaine. Pourtant la société Teledyne fournit les FLIR et caméras électro-optiques. Les équipements de mission, notamment pour l’interception des données électromagnétiques proviennent de chez Thales. L’aménagement intérieur de l’ALSR prévoit l’accueil de cinq membres d’équipage : pilote, copilote, et ses trois opérateurs de renseignement. La majorité des équipements de l’avion sont cependant classés secrets défense
Tout juste sait-on que c’est dans le courant de l’année 2019 que le premier exemplaire a réalisé son vol initial sous cette configuration.
Les deux avions sont livrés en juillet et décembre 2020. Ils sont pris en compte par l’Escadron Électronique 1/54 Dunkerque qui assure le qualification IOC, pour Initial Operational Capability, les faisant voler aux côtés des C.160G Gabriel. Les Sabena Technics ALSR reçoivent alors le nom de baptême de Vador, contraction de Vecteur Aéroporté de Désignation, d’Observation et de Reconnaissance. Une IOC qui ne va pas se passer sous les meilleurs auspices. En effet en octobre 2021 il est décidé de déposer les équipements électro-optiques fournis par l’entreprise américaine Teledyne car inaptes aux missions. C’est un autre groupe américain, L3Harris qui va fournir ses MX-20 déjà présents sur les hélicoptères Eurocopter EC-725 Caracal également également de l’Armée de l’Air et de l’Espace. Finalement une fois la capacité FOC, pour Full Operational Capability, atteinte en mars 2022 les deux avions quittent la Normandie et la Base Aérienne 105 d’Évreux où est stationné l’EE 1/54 Dunkerque pour la Charente et la Base Aérienne 709 de Cognac.
Car désormais c’est la 33e Escadre de Surveillance, de Reconnaissance et d’Attaque qui les met en œuvre au sein de son Escadron de Reconnaissance 4/33 Périgord. Les Sabena Technics ALSR Vador sont les seuls aéronefs pilotés de l’Escadre, les autres machines volantes étaient des drones MALE General Atomics MQ-9 Reaper. Pas le temps de souffler pour les équipages français car quelques jours auparavant le dictateur russe Vladimir Poutine a ordonné à ses troupes d’envahir et de tenter d’annexer l’Ukraine souveraine. Les bimoteurs turbopropulsés français ont donc du pain sur la planche. Ils doivent observer la situation et rendre compte aux autorités civiles ainsi qu’à la DGSE et à la DRM, respectivement Direction Générale de la Sécurité Extérieure et Direction du Renseignement Militaire. Les cieux de la Mer Noire et de la Baltique deviennent alors leur terrain de chasse favori, bien plus que le Sahel ou la corne de l’Afrique.
C’est véritablement le 14 juillet 2024 lors du défilé aérien de la fête nationale, exceptionnellement délocalisé au-dessus de l’avenue Foch pour cause de JO d’Été, que les Français découvrent ce petit bimoteur blanc d’allure si particulière. Quelques mois plus tard l’un d’entre eux permettra de repérer formellement la batterie de DCA russe qui venait juste d’illuminer un avion de patrouille maritime Dassault-Breguet ATL-2 Atlantique de la Marine Nationale. L’ALSR Vador évoluait en Mer Baltique à quelques dizaines de kilomètres des frontières russes.
Au total huit exemplaires de l’avion doivent être commandés. Pour autant certains décideurs voudraient voir la commande réduite et se limiter aux trois initiaux, moyennant le recours à une ou plusieurs entreprises privés. C’est ce qu’on appelle les contractors. Ces cinq avions doivent entrés en service entre 2027 et 2030. Ils opèreront aux côtés des futurs Dassault Aviation Archange, basés sur le jet d’affaire très haut de gamme Falcon 8X. Sur un ton plus léger il faut savoir que la livrée blanche des Sabena Technics ALSR Vador fait souvent sourire quand on sait que leur patronyme est celui en français du fameux personnage de Darth Vader, chevalier Jedi et seigneur Sith de la saga Star Wars tout de noir vêtu et casqué.
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