C’est véritablement au cours de la Seconde Guerre mondiale que l’Amérique comprit l’avantage qu’elle pourrait tirer de l’emploi d’avions-cibles téléguidés à distance. Il s’agissait alors aussi bien de former les artilleurs de la DCA que les futurs pilotes de chasse et notamment ceux destinés aux missions nocturnes. Les drones pouvaient ainsi entraîner les opérateurs radars sans mettre en péril d’éventuels pilotes dans des avions servant de plastrons volant. Après-guerre la tradition perdura. Une des premières vraies réussites dans le domaine fut le Radioplane MQM-33 et sa version navale KD2R Shelducks construits par la suite par Northrop.
Pour cette famille de drones tout commença début 1946 quand l’US Navy réclama à la société Radioplane de travailler sur une adaptation de son drone-cible TDD-3. Cet engin avait fait des merveilles durant le conflit mais désormais la marine américaine voulait lui donner un successeur plus en phase avec les évolutions technologiques. Ce programme fut proposé à d’autres industriels, dans un souci de transparence.
C’est ainsi qu’y répondirent les avionneurs Curtiss et Globe. Chaque industriel se vit passer commander pour un prototype. Mais la tête des amiraux américains le choix était déjà fait, Radioplane avait déjà gagné.
Qu’à cela ne tienne un Curtiss XKD2C Skeet, un Globe XKD4G Quail, et un Radioplane XKD2R Shelducks furent assemblés et présentés au jury. Alors que le cahier des charges prévoyait un moteur à pistons peu gourmand en carburant et très rentable Curtiss avait fait le choix d’un pulsoréacteur envoyant de facto son XKD2C aux oubliettes. Assez étrangement les amiraux américains furent impressionnés par le drone de Globe dont ils commandèrent dix exemplaires de série. Dans le même temps cent cinquante Radioplane KD2R Shelducks étaient achetés par l’US Navy. Ils entrèrent en service en 1947.
Extérieurement le Radioplane KD2R Shelducks était une machine assez simple avec son fuselage et sa voilure haute en bois et contreplaqué. Pour la motorisation un McCulloch à quatre cylindres en ligne d’une puissance de 90 chevaux entraînait une hélice bipale. Manœuvrable, rapide, et bien proportionné le KD2R se révéla rapidement être un drone-cible attrayant pour les marins américains. Il pouvait être lancé via son chariot élévateur depuis une base, le plateau arrière d’un camion, ou encore la plage d’un navire de guerre.
Dès 1950 plus de mille de ces engins avaient été commandés. Cette même année d’ailleurs l’US Army passa commande de sa propre version désignée OQ-19 et destiné à la formation de ses propres personnels. En dehors des marquages d’affectation rien ne distinguait les deux drones. KD2R Shelducks et OQ-19 partageait le même système AN/ARW-79 de radioguidage. Les drones de la marine en plus emportait une petite balise permettant leur repérages par les radars côtiers.
En 1952 la société Radioplane déposa le bilan et fut rachetée par l’avionneur Northrop qui poursuivit l’aventure de ce drone. Cette même année l’US Air Force acheta trois cents OQ-19 qu’elle désigna MQM-36 et à qui elle attribua également le patronyme de Shelducks. Mais pour cette jeune arme américaine pas question de se servir des drones-cibles pour l’entraînement. Ils devaient servir au soutien des essais d’armement, et notamment de missiles air-air. Ils furent parmi les premières machines volantes descendus, en essais, par des missiles sol-air FIM-43 Redeye. Le mythique missile air-air AIM-9 Sidewinder et sa version terrestre MIM-72 Chaparral firent leurs premières armes sur MQM-36 Shelducks, tout comme les AIM-7 Sparrow.
En matière d’essais d’armement l’un des rares plantages d’utilisation par l’US Air Force de Northrop MQM-36 Shelducks fut le missile sol-air MIM-3 Nike Ajax. En huit tirs, entre 1952 et 1955, aucun ne put atteindre le drone-cible. Il était trop petit et trop lent pour lui. Cette arme avait démontré ses limites. Par contre tous les tirs d’essais du fameux MIM-23 Hawk réalisés entre 1958 et 1961 sur des MQM-36 firent coup au but. En 1961 les derniers Radioplane KDR Quail II encore en dotation furent retirés et remplacés par des KD2R.
En septembre 1962 quand le Pentagone décida de réaligner les désignations les Northrop K2DR de l’US Navy furent désignés MQM-36B tandis que les OQ-19 devinrent de leur côté des MQM-33. Pourquoi faire simple quand on peut compliquer les choses ?
En parallèle des États-Unis Northrop réussit là où Radioplane échoua : l’exportation de son drone cible. Plus de dix mille exemplaires furent fournis à dix-neuf pays alliés de l’Amérique parmi lesquels le Japon, les Pays-Bas, ou encore le Royaume-Uni.
En 1955 Northrop lança à la demande de l’US Army une version de reconnaissance photographique et de surveillance du champ de bataille. Désigné MQM-57 Falconer cet engin décollait systématiquement avec deux fusées d’appoint JATO du modèle M3 fixées de part et d’autres du fuselage. L’équipement de reconnaissance était variable. Il pouvait s’agir de deux appareils photos à haute vitesse d’obturation ou bien d’une double caméra télé.
L’avionneur en exporta quelques exemplaires, notamment au Royaume-Uni ou encore en Suède.
Le Northrop MQM-57 Falconer fut intensivement utilisé durant la guerre du Vietnam. Durant un temps les services de renseignement chinois crurent qu’il s’agissait de drones cibles destinés à leurrer la résistance vietnamienne avant de comprendre la nature réelle de cet engin. Dès lors il devint une cible prioritaire pour le Viet-Minh. On ignore combien de ces drones de reconnaissance tactique ont été réellement utilisés dans ce conflit.
Parfois le Falconer était désigné AN/USD-1 dans la nomenclature américaine.
En 1964 une version améliorée et dotée d’une turbine Allison T63 de chevaux fut testée. Elle ne dépassa pas le stade expérimental.
Si ces drones ne servent plus actuellement, à l’exception de quelques rares exemplaires aux États-Unis en soutien d’essais en vol, les Northrop MQM-36 Shelducks / MQM-57 Falconer ont marqué leur temps. Il s’agit de drones typiques de la guerre froide. On estime aujourd’hui qu’environ 73000 drones cibles et 1500 drones de reconnaissance furent construits jusqu’à la fin des années 1980. Beaucoup sont préservés dans plusieurs musées aéronautiques aux États-Unis et en Europe occidentale.
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