Si aujourd’hui ils sont partout, sous les formes et les tailles, aussi bien dans le domaine de la défense que dans celui du travail aérien ou encore du loisir le drone fut pourtant pendant longtemps un outil exclusivement réservé aux militaires. Son rôle premier étant de ne pas exposer inutilement un éventuel pilote on lui confia quelques-une des missions les plus dangereuses. Parmi celles-ci figure le rôle de cible volante, longtemps associé à des avions déclassés comme le Bell RP-63 Pinball durant et au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Depuis un demi-siècle maintenant la marine américaine a chargé une seule et même lignée de drones pour cette mission ingrate : les Northrop BQM-74 Chukar.
À la fin de l’année 1962 l’US Navy émet un cahier des charges relatif à un nouveau drone cible destiné à remplacer les Ryan BQM-34 Firebee utilisés à cette époque. Elle en profite pour planifier la fin de service de la poignée de Northrop AQM-35 supersonique qu’elle possède et qui n’a jamais réussi à démontrer ses capacités. Ce dernier était en fait trop difficile à abattre car trop fin et rapide pour les artilleurs de la DCA américaine.
Assez étrangement seuls trois avionneurs se mettent sur les rangs : Lockheed, Northrop, et Ryan. Tous trois sont en fait à cette époque les spécialistes américains de l’avion sans pilote. Et tous trois proposent des modèles de drones assez similaires. Après quelques mois d’hésitation c’est le programme du Northrop NV-105 qui est sélectionné et un prototype est commandé sous la désignation de XMQM-74.
Extérieurement le Northrop NV-105 se présente sous la forme d’un drone cible assez conventionnel avec sa voilure haute en léger delta, son petit turboréacteur Williams WR24-6 installé sous le fuselage et son absence de train d’atterrissage. En effet il doit être aidé au décollage via une rampe incliné spécialement conçue pour lui. Après sa mission s’il n’a pas été détruit le drone XMQM-74 devra déployer un petit parachute et se laisser retomber dans l’océan où il sera ultérieurement récupéré par des marins américains.
A l’instar des autres engins sans pilote de ce genre ce prototype est déjà peint en orange, une livrée de haute visibilité.
C’est dans cette configuration qu’il réalise son premier vol à l’été 1964.
Cependant les essais en vol vont rapidement démontré une certaine instabilité à basse altitude et à faible vitesse. Les ingénieurs de chez Northrop et leurs collègues de l’US Navy en viennent alors à décider de revoir en profondeur la voilure du drone et l’année suivante vole le NV-105A. Doté d’une voilure classique il se comporte bien mieux en vol.
Une commande est alors officiellement passée pour un premier lot de deux cent cinquante Northrop MQM-74A Chukar.
Ces drones cibles entrent en service au printemps 1968. Et rapidement ils créent des envies auprès de plusieurs marines et forces aériennes alliées des États-Unis. Si bien que des MQM-74A sont commandés par l’Italie et le Royaume Uni tandis que Northrop développe deux sous-version améliorées MQM-74B et MQM-74C spécialement pensées pour ces nouveaux clients. Finalement seule la seconde sera acceptée et entrera en service dès l’année 1970 sous le patronyme de Chukar II. Des exemplaires sont livrés à l’Allemagne de l’Ouest, l’Arabie-Saoudite, l’Espagne, la Grèce, l’Iran, l’Italie, le Japon, et les Pays-Bas.
En France la Marine Nationale teste l’engin en 1971 sans pour autant donner suite aux essais. Nonobstant les six drones américains ne seront jamais rendus et voleront chez nous jusqu’au début des années 1980.
Mais déjà au tournant des années 1970 le retour d’expérience de la guerre du Vietnam se fait sentir et l’aéronavale américaine veut elle aussi sa part du gâteau. Une version spécialement destinée à l’entraînement des pilotes de chasse américain est alors mise en chantier. Désignée BQM-74C cette version dispose d’un autodirecteur plus évolué mais aussi d’une capacité totalement nouvelle : être larguée en plein vol depuis un avion-porteur. Plusieurs machines sont testés mais finalement le plus simple demeure encore le Lockheed DC-130A Hercules qui assure également le radio-guidage de ces avions sans pilote.
Dans la foulée Northrop développe le BQM-74E quasi supersonique, après l’échec de son XBQM-74D bisonique. Intégrant les caractéristiques générales du BQM-74C le BQM-74E vole aux alentours de 1000km/h et permet de mieux former les pilotes et artilleurs.
À partir des années 1980 le Northrop BQM-74E Chukar III va devenir même la norme dans l’US Navy au point que plusieurs marines de l’OTAN vont faire retrofiter leurs drones à ce standard.
La guerre du Golfe en 1990-1991 va permettre à ces drones cibles de connaitre le baptême du feu. À l’instar des Ryan AQM-34Q de l’US Air Force ils sont utilisés dans les premières heures de l’engagement internationale contre les forces du dictateur Saddam Hussein afin de saturer ses radars anti-aériens et mieux leurrer sa chasse. Ainsi les BQM-74E permettent aux avions d’attaque furtifs Lockheed F-117A Night Hawk de passer à l’attaquer en toute quiétude. Plusieurs dizaines de BQM-74E seront alors tirés par les marins américains tandis que la propagande irakienne les fera passer pour des missiles de croisière abattus pendant l’attaque.
Une fois le Koweït libéré et le cours du pétrole revenu à un semblant de normalité les Northrop BQM-74E Chukar purent revenir à leur train-train habituel : se faire tirer dessus et être récupérés en pleine mer par hélicoptères.
Aux vues des formidables capacités du drone l’US Navy demanda en 2002 à Northrop-Grumman d’en développer une nouvelle version : le BQM-74F Chukar IV. Plus rapide, disposant d’une autonomie accrue et d’un nouveau système de téléguidage cet engin est entré en service en 2006 sans pour autant remplacer son grand frère.
À la fin du printemps 2018 le BQM-74F Chukar IV figurait toujours dans le catalogue de Northrop-Grumman et il se murmurait alors que le Pentagone pourrait commander une nouvelle génération de cet engin sans pilote ultra efficace.
Qu’il soit lancé depuis la rampe d’un navire de guerre ou des airs sous les ailes d’un avion porteur le BQM-74 est sans nul doute le plus efficace des drones cibles américains. Sa production totale avoisine les 10 000 exemplaires. Il faut savoir que l’Iran a travaillé dans les années 1990 sur une version de reconnaissance qui serait encore d’actualité de nos jours.
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