Pour beaucoup de passionnés d’aviation le bureau d’études Mikoyan-Gurevitch demeure le grand constructeur d’avions de chasse soviétique durant la guerre froide. Et c’est vrai que son impact sur cette époque est énorme, d’autant que beaucoup de ses projets débouchèrent sur des avions construits en série, parfois en très grand nombre. Néanmoins comme la majorité des autres avionneurs Mikoyan-Gurevitch développa également des avions demeurant à l’état de prototype. L’un des plus célèbres est un étonnant jet d’abord biréacteur puis monoréacteur : le Ye-152.
Pour cette machine tout commença au début du printemps 1958 quand l’état-major soviétique passa commande pour deux avions différents : un appareil de recherches sur l’aérodynamique et un intercepteur à grande vitesse. Les deux machines devaient relever du même programme et il fut décidé de leur donner les désignations respectives Ye-150 et Ye-152. Pour le bureau d’études il s’agissait d’une revanche après deux échecs coup sur coup : le SM-12 et le I-75 respectivement dérivés des chasseurs à succès MiG-19 et MiG-21.
L’équipe en charge du développement du Ye-152 fut d’ailleurs celle qui avait conçu le Ye-4 considéré comme le véritable prototype du MiG-21. D’où une ressemblance flagrante entre les deux machines. L’avant-projet du nouvel avion concernait notamment un propulseur totalement nouveau, le réacteur Tumansky R-15-300 d’une poussée à sec de 6840kg et avec post-combustion de 10150kg. À cette époque ce réacteur était celui destiné au drone stratégique Tupolev Tu-123 alors aussi en développement.
Néanmoins les équipes du motoriste connurent des retards dans la mise au point du R-15-300. De ce fait il fut décidé de doter le Mikoyan-Gurevitch Ye-152 de deux réacteurs Tumansky R-11F-300 dérivés de ceux équipant alors le bombardier léger Yakovlev Yak-28. Ainsi les ingénieurs soviétiques avaient le temps de mettre au point le R-15-300. C’est donc en configuration biréacteur que l’avion commença sa vie opérationnelle.
Extérieurement le Mikoyan-Gurevitch Ye-152 se présentait sous la forme d’un monoplan à aile basse en delta. Doté d’un train d’atterrissage tricycle et d’un cockpit monoplace haut placé il reprenait vraiment les codes architecturaux du MiG-21. Ce prototype était intégralement construit en métal. Prévu pour emporter entre deux et quatre missiles air-air courte-moyenne portée K-9 (ou AA-4 Awl pour l’OTAN) il disposait d’un radar nouvelle génération Uragan 5B installé dans le cône de nez. C’est dans cette configuration, mais sans armement, que le premier vol de l’avion intervint le 10 juillet 1959. Pour la petite histoire l’avion de recherches Ye-150 ne vola qu’un an plus tard, en juillet 1960.
Pour une raison de commodité les ingénieurs de Mikoyan-Gurevitch lui attribuèrent la désignation de Ye-152A afin de ne pas le confondre avec la version monoréacteur qui devait être ultérieurement construite, une fois les travaux du motoriste terminés ! La campagne d’essais de ce biréacteur s’étala sur cinquante-cinq vols dont au moins deux débouchant sur des tirs de missiles K-9. Il permit de préparer au mieux à l’arrivée de l’avion en configuration biréacteur !
Ce nouvel avion fut désigné Mikoyan-Gurevitch Ye-152P. Quelques différences existaient en fait avec le Ye-152A, hormis bien sûr les deux R-11F-300 remplacés par l’unique R-15-300. La quille ventrale sous l’empennage fut redessinée tandis que la voilure delta était elle aussi revue et corrigée. Les extrémités de voilures furent tronquées. De son côté la verrière du cockpit fut affinée afin de permettre les vols à grande vitesse. Pour le reste l’avion conservait la même avionique, à l’image du radar Uragan 5B. C’est ainsi que vola le Ye-152P le 16 mai 1961.
Quelques semaines plus tard un avion-espion américain identifia le Mikoyan-Gurevitch Ye-152P comme étant un nouveau chasseur en développement. L’OTAN le gratifia donc d’un de ses célèbres noms de code. Pour les Occidentaux il devint Flipper. Pour bon nombres de généraux américains il s’agissait d’une menace claire contre les bombardiers et avions de reconnaissance de l’US Air Force.
Un second prototype du Ye-152P fut assemblé en tant que Ye-166. Il s’agissait d’un avion destiné à valider certains concepts de grande vitesses issus du programme Ye-150. Mais le Ye-166 avait aussi une vocation de propagande. Les Soviétiques savaient que leur avion était connu des Américains et de leurs alliés atlantistes et eurent l’idée d’en tirer profit. Le Mikoyan-Gurevitch Ye-166 fut engagé dans deux records du monde de vitesse. Le 7 octobre 1961 il boucla la distance de cent kilomètres en circuit fermé à une vitesse moyenne de 2601km/h. Quelques mois plus tard le 7 juillet 1962 il établit le record du monde de vitesse pour monoréacteur en atteignant la vitesse de 2681km/h. L’avion soviétique était alors plus rapide que tous les chasseurs de l’OTAN !
Pour autant cet avion n’avait plus les faveurs de l’état-major soviétique. Les généraux moscovites s’étaient rabattus sur deux autres projets de Mikoyan-Gurevitch : le chasseur léger expérimental Ye-8 et l’intercepteur biréacteur lourd Ye-155. Ce dernier, tirant largement profit des enseignements des Ye-152, fut construit en série et devint le légendaire MiG-25.
Finalement à l’automne 1962 le programme du Mikoyan-Gurevitch Ye-152 fut abandonné et les avions construits stockés. Ainsi se terminait la carrière d’un des plus fabuleux avions de la guerre froide, un jet qui démontrait tout le savoir-faire de l’industrie aéronautique soviétique. L’OTAN pouvait souffler, jamais ses pilotes n’auraient à affronter le Flipper ! De nos jour le Ye-166 est exposé en extérieur, au musée aéronautique de Monino en grande banlieue moscovite.
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