À la toute fin de la Seconde Guerre mondiale l’Amérique était consciente du retard technologique qu’elle avait prise en matière de chasseurs à moteurs à réaction. Son Bell P-59 Airacomet ne tenait absolument pas la comparaison avec le Gloster Meteor britannique et encore moins avec les Messerschmitt Me 163 Komet et Me 262 Schwalbe allemands. Pour autant l’apparition début 1945 du Lockheed P-80 Shooting Star permit de rassurer bien des décideurs sur les capacités de l’industrie aéronautique américaine à rebondir sur le sujet. Aussi elle put se lancer dans des travaux ambitieux dont l’un d’entre eux concernait un chasseur d’escorte à long rayon d’action. Malheureusement celui-ci ne suscita pas un fol intérêt, et seuls deux avionneurs y répondirent. L’un d’eux était Lockheed et son avion fut désigné XF-90.
C’est en juillet 1945, alors que les combats faisaient toujours rage dans le Pacifique, que l’US Army Air Force émit son cahier des charges : avion monoplace doté d’un voire de deux turboréacteurs Westinghouse XJ34 et proposant un rayon d’action d’au moins 1450 kilomètres avec une vitesse de croisière en haut subsonique. L’idée était que l’avion puisse remplacer les North American P-51D Mustang alors en dotation qui remplissaient la fonction d’escorteurs. McDonnell se vit attribuer la désignation XP-88 et Lockheed celle de XP-90.
C’est le bureau d’études des Skunk Work qui se vit confier le programme sous la double tutelle des ingénieurs Clarence « Kelly » Johnson et Willis Hawkins. Ce dernier proposa alors que le XP-90 soit en grande partie dérivé du P-80 mais en changeant l’aile droite d’origine par une voilure en delta. Cela résidait d’études publiées en Allemagne et en France avant-guerre et que Hawkins connaissait parfaitement. Il savait également que seule la propulsion à réaction pouvait permettre le montage d’une telle aile. Les ingénieurs de Lockheed redessinent également le nez de l’avion de l’avion ainsi que les entrées d’air. De son côté Kelly Johnson était plus favorable à une aile en flèche, il s’inclina cependant devant l’idée de Hawkins.
Une maquette à l’échelle un huitième de l’avion fut réalisée afin de rejoindre la soufflerie. Et là le résultat fut sans appel. Non seulement les phases de décollages et d’atterrissage allaient s’avérer très complexes et nécessiter des pilotes très aguerris mais en plus l’avion allait peiner à atteindre les objectifs de vitesse de l’US Army Air Force. Plutôt que de renoncer au programme les décideurs de l’avionneur se tournèrent vers Johnson. Désormais Hawkins et lui allaient devoir vraiment s’entendre s’ils voulaient que le Lockheed XP-90 ait la moindre chance de l’emporter. Adieu l’aile delta et bonjour la voilure en flèche.
Les designers des Skunk Works durent redessiner en profondeur l’avion. L’empennage fut revu et corrigé et le nez devint encore plus pointu. Connu sous le serial 46-687 le prototype débuta son assemblage au printemps 1947. Quelques semaines plus tard en septembre l‘US Army Air Force laissa la place à l’US Air Force et changea peu après son système de désignations. De XP-90 l’avion passa à XF-90. C’est à ce moment là que l’armement envisagé fut dévoilé : six canons mitrailleurs de calibre 20 millimètres tirant en position de chasse. Les travaux allèrent à un bon rythme mais pourtant les équipes de Lockheed prirent un sérieux coup de massue sur la tête le 20 octobre 1948 : leur concurrent de chez McDonnell, le XF-88, venait de réaliser son premier vol. L’avionneur payait ici la discorde entre Hawkins et Johnson autour de la voilure de l’avion. Le XF-90 n’était pas prêt.
Finalement il réalisa son premier vol le 3 juin 1949 entre les mains de Tony LeVier, pilote d’essais maison et qui avait déjà réaliser le vol inaugural du Lockheed F-14 Photostar et venait juste de réitérer avec le F-94 Starfire. Et très vite son avis fut cash : le XF-90 était sous motorisé. Les deux Westinghouse XJ34-WE-11 avaient besoin d’être boostés. Le motoriste proposa alors le XJ-34-WE-15 plus puissant mais aussi légèrement plus gros. Celui-ci ne serait donc pas monté sur ce premier prototype mais sur le second, porteur du serial 46-688 et qui était alors en phase d’assemblage.
Extérieurement le Lockheed XF-90 se présentait sous la forme d’un monoplan à aile basse en flèche disposant de bidons de carburant en extrémités de voilure. Usiné en métal, faisant appel à un alliage d’acier et d’aluminium, il possédait une structure réputé sûre et légère. Son train d’atterrissage tricycle fixe était lui aussi dérivé de celui du P-80 Shooting Star. Désormais équipé d’un turboréacteur Westinghouse XJ34-WE-15 il possédait une poussée à sec de 1633 kilogrammes, portée à 1905 kilogrammes avec postcombustion. Sur le second prototype les six canons furent montés. C’est dans cette configuration que ce second prototype réalisa son vol inaugural le 15 mai 1950.
Deux jours plus tard en léger piqué le Lockheed XF-90 atteignit la vitesse de Mach 1.12. Pour autant il demeurait incapable de tenir Mach 1 en vol horizontal. Des solutions furent alors proposées autour d’hypothèses faisant de lui un monoréacteur autour des turboréacteurs Allison J33-A-29 et General Electric J47-GE-21. Rien n’y fit. Vingt jours après le premier vol du second prototype le Lockheed XF-90 fut officiellement déclaré élimininé de la compétition laissant le McDonnell XF-88 seul encore en lice et donc vainqueur. Pourtant celui-ci eut encore besoin d’amélioration avant d’entrer en service dans l’US Air Force comme F-101 Voodoo.
Premier avion biréacteur américain doté d’une réchauffe, ou postcombustion en franglais, à voler le Lockheed XF-90 est souvent considéré par les historiens comme le précurseur du mythique F-104 Starfighter. En fait il servit à Clarence « Kelly » Johnson et à Willis Hawkins de base de travail mais fut rapidement surpassé. Il montra néanmoins les erreurs à ne pas refaire.
Les deux XF-90 furent ensuite utilisés pour des essais. Le premier prototype fut détruit en 1953 lors d’un accident alors qu’il volait pour le compte du NACA, ancêtre de l’actuelle NASA. Le second est aujourd’hui préservé en piètre état par National Museum of the US Air Force, après avoir servi de plastron lors de trois essais nucléaires différents réalisés dans le Nevada. L’avion a subi une longue période de décontamination avant d’être exposé à partir de 2003 dans le hall de la Guerre Froide.
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