Depuis le début de la guerre froide, et malgré sa fin en 1990, l’US Air Force et l’US Navy se disputent côté américain la maîtrise du ciel dans la recherche du renseignement. Si on pourrait logiquement s’attendre à ce que seule la première dispose de tels outils ce serait une erreur flagrante. En effet dès la fin des années 1940 l’aéronavale américaine a su développer sa propre flotte d’aéronefs à vocation de reconnaissance et de recueil du renseignement aéroporté. C’est ainsi qu’elle a su aligner depuis des décennies des unités entières d’avions-espions dont le meilleur représentant actuellement est le Lockheed EP-3 Aries.
C’est en 1960 que l’US Navy annonça rechercher un nouvel avion de reconnaissance stratégique afin de remplacer les Martin P4M-1Q Mercator qu’elle venait de retirer du service. À cette époque tout désignait le biréacteur embarqué Douglas A3D-1Q Skywarrior comme le successeur logique, cependant la marine américaine exigeait pouvoir disposer d’un avion à long rayon d’action capable d’opérer depuis des bases au sol. Un temps le Pentagone pensa utiliser ses Lockheed WV-2Q Warning Star mais ces avions étaient alors en voie d’obsolescence. En fait clairement l’US Navy voulait un nouvel avion.
Et en ce sens Lockheed proposa de développer le P3V-1Q à partir de son P3V-1 Orion alors en cours d’assemblage. Un tel avion avait la logique d’assurer la continuité du Mercator entre la version d’espionnage aéroporté et la version de patrouille maritime. Fin 1961 sept exemplaires furent commandés : un de présérie et six de série.
Mais le réalignement des désignations en septembre 1962 changea la donne. Les P3V-1Q devinrent des EP-3A. Il est à noter qu’à l’époque ces avions ne possédait aucun patronyme.
Les quatre premiers exemplaires entrèrent en service en octobre 1962. Extérieurement la filiation avec le P-3 Orion ne faisait aucun mystère. Si ce n’est qu’ils étaient dépouillé du détecteur d’anomalie magnétique et de tout armement ils ressemblaient étrangement à un avion de patrouille maritime. Le cœur de leur système de missions était un système de détection des émissions radars. Mais dès le début de l’année 1963 les trois derniers exemplaires livrés furent dotés d’un équipement d’écoute des communications ennemies. À cette époque ces avions volaient depuis la Turquie dans la région de la Mer Noire aux frontières avec l’URSS.
En cette même année 1963 trois P-3A Orion furent prélevés sur les stocks de l’US Navy et transformés en EP-3B Bat Rack. Assez proche dans leur conception des EP-3A ils n’étaient pas entièrement servis par des équipages de l’US Navy. À l’instar des Lockheed U-2 ils volaient pour le compte de la CIA, la puissante agence de renseignements des États-Unis. Leur principal théâtre d’opérations était l’Asie du sud-est.
Les EP-3B Bat Rack surveillaient les forces communistes chinoises et vietnamiennes. Ils furent utilisés ainsi jusqu’en janvier 1967 puis renvoyés aux États-Unis. L’un d’entre-eux était tellement abîmé et usé qu’il fut ferraillé sur place tandis que les deux autres furent rendus à l’US Navy qui les réaffecta auprès des EP-3A. Désormais l’aéronavale américaine alignait neuf avions-espions.
De l’autre côté du rideau de fer ces avions n’étaient un mystère pour personne. Les agents soviétiques du KGB savaient pertinemment que l’US Navy entretenait une flotte d’avions de reconnaissances stratégiques dérivée de son principal chasseur de sous-marins. Le niveau quantitatif de celle-ci était par contre largement surestimé. Moscou pensait à l’époque que les Américains alignaient entre quarante et cinquante Lockheed EP-3B.
C’est au milieu des années 1980 alors que les relations américanos-soviétiques s’étaient réchauffées et donc qu’à priori le besoin en un tel avion se faisait moins pressant que Lockheed eut l’idée avec l’US Navy de moderniser en profondeur la flotte d’EP-3. C’est ainsi qu’apparut l’EP-3E Aries. En fait ce nom à l’origine n’en était pas mais plutôt l’initiale de sa mission. ARIES voulant dire Airborne Reconnaissance Integrated Electronic System, mais rapidement cela devint le nom de l’avion.
Dans un premier temps, en 1989, dix ancien P-3A et deux EP-3B furent renvoyés en usine chez Lockheed afin d’être transformés en EP-3E Aries. Ils furent suivis en 1994 par douze P-3C qui eux devinrent EP-3E Aries II. Ces vingt-quatre exemplaires ont été versés aux escadrilles VQ-1 World Watchers et VQ-2 Sandeman.
Ils ont été engagés au début des années 2000 dans des missions très loin de tout espace maritime puisque au moins deux EP-3E ont été engagés entre fin 2001 et mi-2003 en Afghanistan, jamais en continue, afin de tenter de repérer les communications des chefs talibans. Les renseignements ainsi glanés leur permettaient d’affiner les opérations des Navy Seals, les forces spéciales de la marine américaine dont les commandos étaient localement présents.
Le 1er avril 2001 un Lockheed EP-3E Aries fut au cœur d’un incident diplomatique majeur entre les États-Unis et la Chine. L’avion-espion américain fut intercepté près de l’île de Hainan par deux chasseurs Shenyang J-8. Au cours de cette mission un des jets chinois éperonna le quadrimoteur et s’abîma en mer. Le pilote n’eut pas le temps de s’éjecter et décéda dans l’incident.
Le second Finback escorta l’Aries endommagé jusqu’à une base chinoise où les 24 membres d’équipage de l’US Navy furent arrêtés et emprisonnés.
Durant dix jours l’avion fut démonté par les ingénieurs chinois et scruté à la loupe. Dans le même temps tous les membres d’équipage furent interrogés par les services de renseignement de Pékin. Le 11 avril 2001 équipage et avion furent rendus à l’US Navy.
Très rapidement on parla aux États-Unis de torture contre les militaires américains, sans cependant en apporter une preuve formelle. Mais désormais les Chinois connaissaient un peu mieux les réalités de l’avion de reconnaissance stratégique standard de l’aéronavale américaine.
Outre les talibans et la Chine la cible numéro 1 des Lockheed EP-3E Aries après la fin de la guerre froide aura été la Russie. Et cela a d’autant plus été vrai après l’annexion militaire du territoire souverain ukrainien de Crimée. Afin de porter le renseignement tout autant que pour rassurer ses alliés de l’OTAN dans la région l’US Navy a largement engagé ses avions-espions dans la région, allant parfois jusqu’à titiller d’un peu trop près une chasse russe parfois très agressive. Pour autant l’incident de Hainan étant encore dans toutes les mémoires jamais les pilotes russes n’ont osé franchir la bande blanche.
Après avoir envisagé un remplacement par une version modifiée du Boeing P-8A Poseidon l’US Navy a estimé que le successeur de l’EP-3E Aries serait le drone HALE Northrop-Grumman MQ-4C Triton. Cependant le recours à un avion piloté dans les années à venir n’est pas impossible.
Le retrait des Lockheed EP-3E Aries est prévu pour début 2021.
Malgré le côté très sensible de ce matériel le Lockheed EP-3 a été exporté. Le Japon a utilisé au total sept avions de ce type. Deux étaient des Lockheed EP-3J dérivés directement des EP-3A d’origine tandis que les cinq autres, des Kawasaki EP-3C, ont été construits ab-initio par l’industrie japonaise à partir de plans fournis par le Pentagone.
Le rôle de ces avions est la reconnaissance stratégique au profit autant des forces nippones que de leurs alliés américains. Ils sont couramment employés le long des eaux chinoises et/ou russes. En 2019 seuls quatre EP-3C étaient encore en service.
L’aéronavale japonaise espère les remplacer à l’horizon 2022-2025 par une version spécialisée de l’avion indigène de patrouille maritime Kawasaki P-1.
Beaucoup plus médiatisé que le Lockheed ES-3 Shadow le Lockheed EP-3 Aries n’est pourtant pas un des avions sur lequel l’aéronavale américaine (ni japonaise d’ailleurs) a beaucoup communiqué. Il aura pourtant su sur une période très longue fournir de précieux renseignements à la marine des États-Unis.
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