Contrairement à une idée souvent encore répandue la compagnie aérienne étatique d’Union Soviétique utilisa quelques modèles d’avions étrangers. Pour autant pas question pour Aeroflot d’utiliser durant la guerre froide des avions Airbus, Boeing, ou encore Douglas. Il s’agissait en réalité d’avions conçus et assemblés dans des pays placés sous le joug de Moscou. L’un d’entre eux fut l’avionneur tchécoslovaque Let qui développa spécialement pour le transporteur soviétique un avion de transport de troisième zone : le L-610.
Au début des années 1980 la flotte intérieure court-courrier d’Aeroflot était un cauchemar d’entretien tant elle était hétéroclite. Si les deux avions principaux étaient alors l’Antonov An-24 Coke à turbopropulseurs et le Yakovlev Yak-40 Codling triréacteur la compagnie utilisait toujours des machines comme les bimoteurs Antonov An-14 Clod, Ilyushin Il-12 et Il-14 Crate et enfin Lisunov Li-2 Cab, ou encore le monomoteur Antonov An-2 Colt. Et le tout était disséminé sur l’immensité du territoire soviétique. Afin de rationaliser au maximum le transporteur demanda à Let de développer une version profondément agrandie et modernisée de son L-410 qu’elle utilisait alors en nombre important pour le compte des militaires.
Le marché était alors envisagé à 600 exemplaires, laissant entrevoir une construction au moins jusqu’à la fin de la décennie suivante.
Les ingénieurs et designers de Let se mirent au travail dès l’année 1985 et le futur avion reçut la désignation de L-610. Les premières ébauches montraient un avion effectivement clairement inspiré du L-410 mais également de machines occidentales comme l’ATR-42 franco-italien ou encore le DHC-8 Dash 8 canadien. Pourtant il se présentait comme légèrement plus compact que ces deux modèles d’avions.
Pour la motorisation ils firent appel à l’entreprise Motorlet. Cette dernière découlait en fait de la nationalisation du célèbre motoriste Walter.
Le Motorlet M602 fut ainsi spécialement conçu pour le Let L-610. Il s’agissait d’un turbopropulseur d’une puissance nominale de 1822 chevaux animant une hélice à cinq pales en métal. C’est lui qui fut monté sur le prototype lors de son premier vol le 28 décembre 1988.
Extérieurement le L-610 se présentait sous la forme d’un avion de transport régional monoplan à aile haute et empennage cruciforme. Doté de volets adaptés l’avion tchécoslovaque disposait de capacités aux atterrissages et décollages courts. Son train d’atterrissage tricycle rétractable fut renforcé pour l’utilisation depuis des terrains sommairement aménagés. Outre le pilote et le copilote l’avion pouvait accueillir quarante passagers et deux personnels navigants commerciaux.
À cette époque le Let L-610 était l’avion le plus attendu par Aeroflot. En parallèle l’avionneur lança des démarches afin d’adapter son avion au transport de fret. Le prototype fut testé dans ce sens et permis d’enlever 5000 kg de charge sur une distance de 850 kilomètres.
L’effondrement de l’Union Soviétique au début des années 1990 marqua pourtant profondément le programme L-610. Désormais libéré du joug de Moscou la Tchécoslovaquie put enfin se tourner vers l’ouest. En janvier 1991 il fut décidé de construire un second prototype d’une version dite occidentalisée tournant autour de deux turbopropulseurs General Electric CT7 de facture américaine. Celle-ci équipait notamment l’avion suédois Saab 340. Une avionique occidentale fut également installée sur l’avion tchécoslovaque.
Le premier vol de cette nouvelle version intervint le 18 décembre 1992.
Désormais donc l’avion était proposé en deux versions : L-610M et L-610G, respectivement à turbopropulseurs Motorlet et General Electric.
En parallèle Let avait engagé un bras de fer avec la compagnie aérienne désormais russe Aeroflot. L’avionneur exigeait que la commande soit honorée en dollars américains et plus en roubles. Il faut dire qu’à l’époque cette monnaie n’avait plus aucune valeur, elle avait tout perdu lors de la banqueroute du système soviétique. Devant le refus catégorique d’Aeroflot de payer en monnaie étrangère le constructeur décida de rompre le contrat et d’en rester là avec le développement de son avion.
Outre les deux prototypes six avions de série, au standard Let L-610M, avaient été produits. Ils furent stockés. Lors de la partition de la Tchécoslovaquie ces six avions furent versés en 1996 à la jeune force aérienne tchèque… qui ne savaient qu’en faire. Ces avions furent alors codés 0001 à 0006. Ils ne reçurent aucune livrée militaire, se limitant juste aux marquages de nationalité tchèque.
Des six Let L-610M seuls deux furent réellement utilisés de manière active par la force aérienne tchèque : les numéro 0002 et 0005. Le premier fut employé pour des missions de transport d’état-major et de personnalité tandis que le second était aménagé comme un avion de ligne et réalisa des missions de transport de personnels. Redondant avec les huit Antonov An-24V Coke et An-26 Curl alors en dotation dans cette force aérienne ces L-610 furent finalement retirés du service fin 2003 après seulement sept années de service opérationnel.
Deux d’entre-eux furent revendus sur le marché civil de seconde main en Russie.
En 2018 l’avionneur tchèque Let tenta de relancer son L-610, cette fois dans sa version L-610M. L’avion intéresse actuellement des clients civils en Afrique et en Russie mais pour autant que des commandes ne soient passées. La compagnie russe Polar Airlines a annoncé vouloir en acquérir dix afin de remplacer ses Antonov An-24 et An-26.
Sans un marché assurée à minimum trente machines l’avionneur Let ne relancera pas la chaîne d’assemblage de l’avion dont l’arrêt fut actée en 1995.
Le Let L-610 n’est pas à proprement parler un avion raté. C’est simplement une machine arrivée à un moment clef de l’Histoire et qui lui fut jamais favorable : l’effondrement du système soviétique. Pourtant ce bimoteur à turbopropulseurs fut globalement bien pensé… pour le marché civil. C’était beaucoup de choses mais pas un avion de transport tactique finalement.
Aujourd’hui au moins trois sont préservés dans des musées, sur les huit construits.
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