La protection des littoraux et des eaux territoriales demeure en ce premier quart de 21e siècle une mission aussi essentielle pour les forces aériennes et les aéronavales qu’elle le fut au siècle dernier. Sauf que désormais viennent se greffer à la classique patrouille maritime des fonctions comme la lutte contre les pollutions maritimes, la surveillance des flux de migrations humaines, ou encore la recherche-sauvetage en haute mer. La patmar est entrée dans une nouvelle dimension, elle nécessite donc des outils adaptés. Si l’appareil récent le plus frappant est sans nul doute le best-seller américain Boeing P-8 Poseidon dérivé de l’avion de ligne 737-800 il faut savoir qu’en Europe l’Italie a aussi sa réponse à cette évolution : le Leonardo P-72.
Quand il vole pour la première fois le 27 octobre 1988 peu de gens peuvent imaginer que vingt-cinq ans plus tard l’avion de ligne court-courrier franco-italien ATR-72 donnera naissance à une des plateformes de patrouilles maritimes parmi les plus efficaces de la planète. Il s’agit alors pour le consortium ATR, formé par l’entreprise française Aérospatiale et italienne Aeritalia, de donner naissance à un nouvel avion plus imposant encore que son précédent ATR-42. Et comme celui-ci l’ATR-72 est un bimoteur à turbopropulseurs cherchant à éviter une domination future du marché par De Havilland Canada et Fokker. Respectivement les Dash 7 et Fokker 50 survolent le segment des avions de plus de quarante places.
Et rapidement pourtant le succès pour l’avion franco-italien se confirme.
Comme à son habitude le consortium ATR réussit des ventes importantes aux quatre coins du globe, aussi bien auprès de compagnies aériennes américaines, australiennes, ou encore algériennes. Pourtant au fur et à mesure des évolutions de la machine, de ses nouvelles motorisations, et de la modernisation de son avionique un fait semble avérer : l’ATR-72 n’est pas une machine militaire. Trop onéreuse, trop sophistiquée, subissant de plein fouet la concurrence du Bombardier Dash 8 canadien, l’avion franco-italien ne décroche aucun contrat international comme appareil de transport tactique ou même de surveillance électronique. Pis encore l’Aeronautica Militare et l’Armée de l’Air le boudent totalement, la première lui préférant l’Aeritalia G.222 puis son successeur l’Alenia C-27J Spartan II tandis que la seconde achète le Casa CN-235 espagnol. Le sort militaire de l’avion semble être scellé.
C’est pourtant compter sans la pugnacité d’une équipe d’ingénieurs italiens de la société Finmeccanica, maison-mère d’Aeritalia, qui en 2007 obtient d’EADS le feu vert pour développer seule une version de patrouille maritime. Le futur avion est alors sobrement baptisé ATR-72MP, pour Maritime Patrol. Leur idée est de surfer sur le petit succès de l’ATR-42MP dont huit exemplaires volent sous cocardes italiennes et quelques autres ont été exportés en Colombie, au Myanmar, et au Nigeria.
Surtout les ingénieurs italiens savent que l’Aeronautica Militare cherche désormais un successeur pour ses vieux Breguet Br.1150 Atlantic, un marché sur lequel l’ATR-42MP est trop petit.
Fondamentalement l’ATR-72MP est alors un ATR72-600 sur lequel l’aménagement commercial n’a jamais été installé et remplacé par des équipements militaires. Son cœur est alors le radar à antenne active Seaspray 7300 développé par Finmeccanica couplé à une tourelle électro-optique. Toute l’avionique de patrouille maritime de l’avion est centré autour de l’ATOS (pour Airborne Tactical Observation and Surveillance) développé par Selex conjointement avec l’industriel français Thales. L’armement standard de l’ATR-72MP est alors les charges de profondeurs et paniers à roquettes installés sous voilure.
Le prototype vole au cours du printemps 2008 et une commande ferme pour deux avions est immédiatement passée par l’Aeronautica Militare assortie d’une option pour deux exemplaires supplémentaires. Celle-ci concerne une version alors encore en cours de réflexion chez Finmeccanica et désignée ATR-72ASW.
Comme cela le laisse supposer cette nouvelle version de l’ATR-72MP sera dédiée avant tout à la lutte anti-sous-marine et dans une moindre mesure anti-navire. La possibilité de mouillage aéroporté de mines devient une réalité tout comme l’emport et le tir de torpilles. Des essais sont menés autour de missiles Marte de facture italienne. Ils sont alors concluant, même si le gouvernement italien s’en désintéresse. Deux ATR-72ASW sont alors commandés.
Dans la nomenclature de l’Aeronautica Militare les ATR-72MP et ATR-72ASW sont respectivement désignés P-72A et P-72AS. Ils entrent en service actif en décembre 2016. Quelques mois plus tard, en septembre 2017 l’Aeronautica Militare se sépare de ses derniers Br.1150 Atlantic.
En parallèle Finmeccanica a disparu ainsi que les ATR-72MP et ATR-72ASW. Ils sont tous devenus Leonardo P-72. Une nouvelle identité commerciale qui doit permettre d’exporter cet avion encore très marqué par la force aérienne italienne. Il faut l’internationaliser.
Et c’est là tout le génie des ingénieurs italiens qui vont avoir l’idée de l’adapter aux armements des clients potentiels. Leonardo a alors identifier plusieurs cibles potentiels dont deux lui semblent évidentes : l’Allemagne et la France. La première doit remplacer ses Lockheed P-3C Orion et la seconde ses Nord N.262 Frégate de surveillance côtière récemment retirés du service sans successeur et alléger la charge de ses Dassault-Breguet ATL-2 Atlantique de lutte anti-sous-marine. Le Leonardo P-72 ayant des origines franco-italiennes sa vente à la Marine Nationale ne devrait poser aucun souci. Seulement voilà l’heure n’est pas encore à un tel contrat, le ministère des Armées referme la porte à cette suggestion à la fin de l’année 2017. L’industriel transalpin n’a pas plus de succès en Allemagne où le Marineflieger lui préfère le P-8 Poseidon.
Pourtant le Leonardo P-72 est taillé pour l’export, son constructeur en est persuadé. Et les deux premiers contrats vont venir le confirmer. Le premier concerne la Pakistan Navy qui achète en 2017 trois exemplaires de stricte patrouille maritime sans possibilité de lutte anti-sous-marine. Comme en Italie le P-72 doit au Pakistan remplacer les vénérables Br.1150 Atlantic.
Le deuxième contrat est beaucoup plus juteux pour Leonardo puisqu’il concerne huit machines à destination de la Türk Deniz Kuvvetleri. La marine turque achète d’abord deux exemplaires dédiés exclusivement à la recherche et au sauvetage en mer en tant que P-72TMUA puis six exemplaires de patrouille maritime et de lutte anti-sous-marine / anti-navire comme P-72TMPA. Sur cette dernière version l’adaptabilité prônée par Leonardo prend tout son sens : l’avion sera à l’horizon 2025 apte à l’emport et au tir de deux missiles anti-navires Atmaca de facture turque.
Le chantier d’intégration est mené conjointement avec Turkish Aerospace Industries ainsi que celui autour d’une partie de l’avionique.
À l’automne 2021 la Guardia di Finanza a reçu le premier de ses trois Leonardo P-72A. Il arbore une étonnante et très élégante livrée à dominante noire, réhaussée de ses marquages de nationalité. En Italie cette administration d’état remplit les fonctions à la fois de douanes, de police financière, et de police aux frontières. Elle possède une vaste flotte aérienne composée d’avions et d’hélicoptères. Un deuxième P-72A doit lui être livré à l’été 2022 et le dernier courant 2023.
Ces avions ne sont pas armés et doivent permettre le remplacement progressif des vieux Piaggio P.166DP.
En cette fin d’année 2021 le Leonardo P-72 est en plein boom commercial et technologique. L’avion est sans cesse modernisé. Son constructeur entend désormais le vendre en Europe, et ne cache plus ses vues vers la Bulgarie et la Grèce. Cependant c’est sur le vieux continent que se trouve le principal concurrent de l’avion italien : l’Airbus Defence & Space C295 Persuader. La lutte est donc rude entre les deux bimoteurs.
L’ATR-72 a mis un certain temps avant de trouver sa voie sur le marché militaire. Il semble qu’avec le Leonardo P-72 il l’est trouvé : la patrouille maritime et la lutte anti-sous-marine. Malgré une électronique et un armement tout deux très adaptés l’avion italien a un gros défaut vis-à-vis des Breguet Br.1150 Atlantic et Lockheed P-3 Orion qu’il prétend pouvoir remplacer efficacement : il a les pattes beaucoup plus courte ! Sa distance franchissable est globalement moitié moins importante. C’est peut-être la fin annoncée des avions turbopropulsés à long rayon d’action.
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