Lorsque l’on est une nation insulaire le contrôle des zones maritimes est une obligation vitale. Un fait que les Japonais ont compris depuis des siècles. L’avènement de l’aéronavale durant l’entre-deux-guerre donna à ce pays une dimension encore plus importante dans la guerre navale. De nos jours les militaires nippons sont parmi les plus professionnels au monde dans les domaines touchant à l’espace maritime. Afin de contrôler leurs immenses zones côtières et hauturières ils disposent depuis 2013 d’un nouvel outil ultramoderne : le quadriréacteur Kawasaki P-1.
L’idée d’un avion de patrouille maritime et de lutte anti-sous-marine de conception et de construction totalement indépendante des États-Unis n’était pourtant pas une évidence au départ pour le Japon. En effet ce pays s’est largement inféodé à son vainqueur de 1945 au point même d’avoir profondément perdu en ingénierie aéronautique. Cependant l’apparition à partir des années 1960-1970 de nouveaux avions comme le biturbopropulseur NAMC YS-11 ou plus tard l’avion de combat Mitsubishi F-1 devait changer quelque peu la donne.
Néanmoins le domaine de la patrouille et de la reconnaissance maritime demeurait le domaine des avions de facture américaine, même si ces derniers étaient régulièrement assemblés sous licence dans l’archipel par les avionneurs locaux. Au cours de la seconde moitié des années 1990 l’état-major japonais lança justement un programme visant au remplacement des Lockheed P-3C Orion en service depuis alors près de vingt ans.
Le célèbre quadriturbopropulseur, qui avait au Japon pleinement prit la relève des Kawasaki P-2J Neptune au début des années 1980, était alors omniprésent au-dessus des mers bordant l’archipel. Il avait permis durant les années 1980 et 1990 à la Kaijō Jieitai de damer le pion aux marines soviétiques (puis russes) et chinoises lorsque leurs sous-marins s’approchaient un peu trop de ses côtes. Mais désormais le temps était venu de lui trouver un successeur.
Et pour beaucoup de ministres japonais le temps était venu de s’émanciper des industriels américains. Cependant un spectre rôdait dans le pays : celui de l’hydravion de patrouille maritime et de lutte anti-sous-marine Shin Meiwa PS-1, un des plus gros ratés de l’histoire aéronautique nippone dont la majorité des exemplaire était stockée sans espoir de retour au service actif depuis le milieu des années 1980.
Les amiraux japonais ne voulaient donc pas revivre ce cauchemar et le firent savoir. Ce qui n’est vraiment pas coutumier dans une société qui a élevé la discrétion et la retenue comme arts de vivre.
Pour autant le cahier des charges laissait quelques chances aux constructeurs étrangers. Boeing proposa son P-8A Poseidon tandis que BAe Systems proposait une version largement modernisée du vénérable Nimrod. Tokyo écarta immédiatement les possibilités d’un jet d’affaires armé. De son côté le constructeur indigène Kawasaki proposa deux avant-projets totalement différents. Le premier concernait une version de reconnaissance maritime et de surveillance des zones de pèches dérivé du programme de transport C-X. Le second était bien plus ambitieux puisqu’il concernait un avion conçu ab-initio disposant d’une architecture originale.
À la fin de l’année 2001 l’état-major de la force maritime d’autodéfense japonaise confirma la victoire de Kawasaki et de son projet original. Il reçut la désignation de P-X. Le développement se fit dans le plus grand secret. L’étude et le développement des propulseurs furent confiés au motoriste IHI qui conçut spécifiquement pour l’avion le turboréacteur F7 développant une poussée unitaire de 6123kg. Dans le même temps un consortium d’équipementiers (formé de rien moins que Mitsubishi, NEC, Shinko, et Toshiba) se chargea de l’avionique et des systèmes embarqués.
Finalement le prototype réalisa son premier le 28 septembre 2007 sous la désignation de Kawasaki XP-1. Extérieurement cet avion surprenait avec sa voilure basse en flèche et ses quatre petits turboréacteurs. Si on lui ôtait son détecteur d’anomalie magnétique et ses nombreuses antennes extérieures il tenait plus de l’appareil civil de transport régional que d’un véritable avion de combat. Et pourtant dès le début son armement avait été pensé pour être le plus performant possible : missiles antinavires AGM-84 Harpoon de fabrication américaine et ASM-1 de facture indigène, torpilles, charges de profondeurs, et même des mines. Le XP-1 avait tout du remplaçant espéré du P-3 Orion.
La période des essais opérationnels fut finalement assez courte puisque les premiers Kawasaki P-1 exemplaires entrèrent en service en mars 2013. Pourtant ce qui devait être une fête pour l’industrie aéronautique japonaise tourna vite au cauchemar. Moins de deux mois après son entrée en service le deuxième exemplaire de série fut victime d’un incendie au niveau des réservoirs de carburant et l’intégralité de la flotte fut consigné au sol. La reprise des vols ne fut effective qu’en septembre de la même année une fois le défaut détecté.
À l’instar du Boeing P-8A Poseidon dans l’US Navy le Kawasaki P-1 a permis aux militaires japonais de retirer rapidement du service les plus anciens de leurs Orion, à savoir les cinq OP-3C de surveillance maritime non armés. Comme son concurrent américain le quadriréacteur japonais vise les marchés de l’exportation, notamment dans sa zone d’influence. C’est ainsi que des contacts assez prometteurs ont été pris avec la Nouvelle-Zélande et la Thaïlande. Malgré cela le P-1 a connu son premier revers au Royaume-Uni dans le cadre du remplacement des Nimrod. Il a très rapidement été rejeté au profit du Poseidon.
En 2015 l’avionneur annonça son intention de développer, sur fonds propres, une version biréacteur de ligne destiné à concurrencer les Bombardiers CS100 canadiens et Embraer ERJ190 brésiliens sous la désignation de Kawasaki YPX. Début 2017 le choix des turboréacteurs en question n’était pas arrêté. Fin 2016 l’état-major nippon demandait à Kawasaki d’étudier la possibilité d’une version de reconnaissance stratégique et d’espionnage aéroporté dérivé soit du P-1 soit du YPX afin de permettre le remplacement des avions-espions Lockheed EP-3C Aries en service.
Avion ultramoderne le Kawasaki P-1 est appelé à devenir un des grands avions de patrouille maritime de ces prochaines années. La dotation totale de la Kaijō Jieitai est attendue pour 2025 à hauteur de soixante-cinq exemplaires, sans compter une éventuelle version d’espionnage aéroporté.
En savoir plus sur avionslegendaires.net
Subscribe to get the latest posts sent to your email.