Ilyushin Il-24 ‘Coot-C’

À l’instar du Canada et des États-Unis l’Union Soviétique possédait des eaux territoriales et des terres au-delà du cercle Arctique. Une position géographique qui l’obligea très tôt à surveiller les mouvements des icebergs. Le drame du paquebot Titanic en avril 1912 avait souligné la dangerosité de ces énormes blocs de glace pour le trafic maritime. Dès lors que l’aviation a fait son apparition des aéronefs ont été employés dans ce rôle. Et c’est justement en URSS que fut pensé un des très rares avions dédiés au suivi de ces masses glacées : l’Ilyushin Il-24 Coot-C.

Au milieu des années 1960 l’Aeroflot exploitait, à côté de ses avions de ligne et de transport régional, une vaste flotte d’appareils dédiés à des missions étatiques. Parmi ceux ci on retrouvait quatre Ilyushin Il-14 Crate de transport tactique modifiés afin de surveiller les mouvements des icebergs. En fait ces bimoteurs n’emportaient aucun équipement réellement spécialisé obligeant les scientifiques à se débrouiller par eux même à bord. C’est la raison pour laquelle les autorités centrales à Moscou exigèrent qu’un avion réellement adapté soit développé pour ce type de missions.

À la même époque l’institut de météorologie de Leningrad avait développé un radar permettant de sonder la surface glaciaire afin d’en mesurer l’épaisseur. Les scientifiques cherchaient également à détecter depuis les airs le taux de salinité de l’océan Arctique. Une campagne d’essais fut menée avec un Antonov An-24 Coke appartenant lui aussi à l’Aeroflot. Doté du fameux radar, nommé Toros, l’avion renommé An-24LR démontra des capacités hors du commun. Malheureusement son autonomie d’une heure était un handicap insurmontable. Il fallait un nouvel avion. Les ingénieurs se tournèrent logiquement vers l’avion de ligne quadrimoteur à turbopropulseurs Ilyushin Il-18 Coot.

Cependant comme souvent en URSS il était impossible de travailler dans l’urgence. Aussi les deux avions prélevés sur la flotte civile ne furent renvoyés chez Ilyushin qu’en août 1979, soit quatorze ans après le début du programme. Entre temps l’An-24LR avait réalisé près de 300 missions sans jamais avoir été opérationnel. Immatriculés CCCP-75449 et CCCP-75466 les deux Il-18 furent alors renommés Il-24 dans la nomenclature du constructeur. Le radar météo Toros fut installé dans un baignoire sous l’intrados des avions, laquelle renfermait également l’équipement Nit-K permettant de détecter plusieurs facteurs différents sur les glaces. Afin de ne pas risquer qu’ils soient confondus avec les Il-20 Coot-A de reconnaissance stratégique les Il-24 furent peints en rouge et blanc : la livrée polaire chez Aeroflot.

Identifié comme Coot-C par l’OTAN au cours de l’année 1981 ils entrèrent en service deux ans plus tard. Outre la surveillance des icebergs le gros du travail des équipages d’Il-24 était la reconnaissance polaire au profit des brise-glaces à propulsion nucléaire. Ces derniers étaient équipés du Nit-L, un équipement permettant de recevoir en temps réel les données radars du Nit-K. Cependant de telles opérations obligeaient les quadrimoteurs à voler bas.
Sous l’immatriculation CCCP-74268 un Il-18 fut alors modifié à son tour en Il-24 mais sans la capacité d’emport de la baignoire radar. Il s’agissait en fait là d’un avion spécifiquement dédié à la traque des icebergs tandis que les deux avions d’origines furent réaffectés à l’ouverture des voies navigables polaires. Ceux-ci reçurent alors la désignation d’Il-24N. Sur le plus récent des trois avions l’absence d’équipements obligeait les scientifiques à retrouver l’usage des appareils photos, comme à l’époque des Il-14 Crate.

Quand l’URSS s’effondra en 1990 les trois avions virent leurs missions annulées. La jeune CEI n’avait plus les moyens financiers pour les soutenir. Un seul Il-24N fut conservé en l’état tandis que le second était remis au standard commercial Il-18D, ainsi que l’Il-24 de chasse des icebergs. Ils furent affectés à des vols cargos intérieurs par l’Aeroflot jusqu’à leur retrait du service au début des année 2000. L’Il-24N de son côté retrouva les airs au milieu des années 1990 mais fut finalement interdit de vol par l’aviation civile russe en 2006. Moscou ne s’intéressait alors plus à ce type de vols scientifiques.

Aujourd’hui le dernier Ilyushin Il-24N Coot-C est préservé dans un musée aéronautique proche de Saint-Petersbourg. Malheureusement pour lui il se dégrade très vite, sa superbe livrée polaire ayant presque totalement disparu au milieu de l’année 2023. Bien entendu l’Il-24 ne fut jamais exporté par l’URSS.