Durant la guerre froide l’industrie aéronautique soviétique s’imposa comme une des plus rationnelles mais aussi des plus prolifiques. Si beaucoup de ses créations furent conçus spécifiquement pour les besoins intérieurs ils n’en furent pas moins des succès à l’étranger, au-delà même des nations du Pacte de Varsovie. Et c’est notamment dans le domaine des avions de transport, commerciaux comme militaires, que cela fut le plus visible. L’un des premiers grands succès dans ce domaine fut un remarquable quadrimoteur à turbopropulseurs : l’Ilyushin Il-18.
C’est en 1953 que les dirigeants d’Aeroflot, la compagnie aérienne étatique soviétique, demandèrent que les avionneurs du pays développent un avion de transport turbopropulsé permettant d’accueillir au moins soixante-dix passagers sur une distance d’au moins 3000 kilomètres. Mais sans cahier des charges officiellement lancé par le gouvernement moscovite les constructeurs ne pouvaient rien faire. Ils n’en avaient juste pas le droit.
Finalement après bien des hésitations les Soviétiques acceptèrent en décembre 1955 et chargèrent Antonov et Ilyushin de travailler sur de tels avions, tout en forçant les motoristes Ivchenko et Kuznetsov à leur prêter main forte.
Particularité les deux constructeurs n’étaient pas en concurrence puisque la compagnie aérienne s’était engagée à commander des exemplaires de série des deux machines. Aussi les ingénieurs d’Ilyushin purent travailler en totale liberté. Le programme reçut la désignation Il-18 dans la nomenclature du constructeur.
Son esthétique était particulièrement soignée, reprenant les codes qui avaient fait le succès des Il-12 et Il-14 auprès d’Aeroflot tout en l’adaptant au cahier des charges. La motorisation retenue fut le puissant turbopropulseur Ivchenko AI-20 d’une puissance de 4000 chevaux entraînant une hélice quadripale en métal.
Entièrement métallique l’Ilyushin Il-18 se présentait sous la forme d’un quadrimoteur à turbopropulseurs. Monoplan à voilure basse il disposait d’un empennage classique et d’un train d’atterrissage tricycle escamotable. Dans sa configuration initiale il pouvait accueillir 80 passagers dans un confort digne des meilleurs avions occidentaux de l’époque avec une cabine pressurisée. Outre les trois membres d’équipage dans le poste de pilotage l’Il-18 disposait d’un équipage commercial de quatre personnes.
Il réalisa son premier vol le 4 juillet 1957 sous l’immatriculation soviétique provisoire CCCP-L5811. Ce prototype avait reçu le patronyme de Moskva.
Dès sa première présentation aux officiels soviétiques ce qui sauta aux yeux des observateurs du monde entier fut sa ressemblance avec le Bristol Britannia. Cet avion britannique était alors en service dans les rangs de la British Overseas Airways Corporation depuis quelques mois. Immédiatement l’Ilyushin Il-18 fut identifié par l’OTAN sous le nom de code Coot.
Bien qu’ayant volé trois mois après l’Antonov An-10 Cat conçu selon le même cahier des charges l’avion d’Ilyushin s’imposa rapidement comme le plus abouti des deux. Aeroflot décida ainsi de conserver ses An-10 pour les vols intérieurs et les Il-18 pour les liaisons internationales, notamment vers le bloc occidental.
Alors même que les premiers Il-18 de série commencèrent leur carrière commerciale dans l’Aeroflot en septembre 1958 des vols d’essais se poursuivirent. Dans le même temps plusieurs records mondiaux furent battus par l’avion, homologués par la Fédération Aéronautique internationale. Le 14 novembre 1958 aux commandes de Vladimir Kokkinaki l’avion vola à l’altitude de 12471 mètres avec une charge utile de quinze tonnes. Le lendemain le même avion et le même pilote d’essais montaient à 13154 mètres mais avec une charge de dix tonnes cette fois. Le 19 août 1959 sur une boucle de 2000 kilomètres l’avion vola à une vitesse de croisière record de 719.40 kilomètres heures avec une charge marchande de quinze tonnes. Une fois l’Il-18 préparé il réalisa un vol record à la croisière de 693 kilomètres heures sur une distance de 5000 kilomètres et une charge marchande de dix tonnes.
Aux États-Unis l’avionneur Lockheed tenta de ravir à Ilyushin et son équipe les records en questions avec son L-188 Electra, mais en vain. Il fallut attendre 1964 et le Vickers Vanguard britannique pour voir tomber, de très peu, le record du 19 août 1959.
En parallèle l’Ilyushin Il-18 était devenu la coqueluche des compagnies aériennes du bloc marxiste. Mais surtout à partir de 1960 l’avion commença sa carrière militaire. D’abord sous les couleurs soviétiques puis à partir de 1962 sous celles de ses alliés bulgares, est-allemands, polonais, roumains, tchécoslovaques, et yougoslave. Dans la plus part l’Il-18 fut utilisé comme avion de ligne mais à caractère militaire. Au lieu de transporter des passagers ayant payés leurs places les avions assuraient le même type de vols pour des militaires.
Quelques exemplaires furent également employés comme avions de transport de hautes personnalités. Ce fut le cas en Algérie, en Corée du Nord, ou encore en Indonésie.
Une version de transport de troupes appelé Ilyushin Il-18TD fut spécialement adaptée à partir de l’avion de ligne Il-18D. Il accueillait un total de cent dix-huit soldats équipés avec capacité secondaire de parachutages. Après la construction d’un prototype seize Il-18D furent ainsi assemblés et utilisés pour des missions de soutien.
Dans le même temps quatre avions furent modifiés en Il-18VD de commandement aéroporté et utilisés entre 1966 et 1982.Ils assuraient au départ des missions au-dessus des champs de bataille et ensuite au profit des autorités civiles lors de catastrophe naturelles.
Mais les deux versions spéciales qui eurent le plus de réussites furent l’Il-18 DT Tsyklon destiné à la reconnaissance météorologique et notamment le suivi des risques cycloniques. Il est à noter que les quatre Tsyklon portaient la livrée Aeroflot mais appartenait à l’armée soviétique. La seconde version fut l’Il-18SIP destiné aux missions de recueil du renseignement électromagnétique le long du Rideau de Fer. Les cinq avions de ce type avaient pour vocation d’espionner l’OTAN et les pays que l’URSS considéraient comme les alliés de l’alliance Atlantique.
À l’instar du Lockheed C-130 Hercules américain l’Ilyushin Il-18 soviétique connut plusieurs dérivés particulièrement réussis : l’Il-20 de reconnaissance électronique et d’espionnage aéroporté, l’Il-22 de commandement aéroporté, l’Il-24 de reconnaissance météorologique et de suivi des icebergs, et enfin l’Il-38 de patrouille maritime.
Alors que son assemblage se termina en 1982 après la livraison de plus de 650 avions les responsables d’Ilyushin tentèrent de relancer le concept au travers de l’Il-114 bimoteur à turbopropulseurs. Ce dernier eut beaucoup moins de succès. Enfin il faut souligner qu’avant cet avion la désignation Ilyushin Il-18 fut attribué à la fin des années 1940 au projet d’un avion de transport quadrimoteur ressemblant fortement au Boeing 377 Stratocruiser américain. Cependant cet Il-18 précoce demeura sans suite et n’avait rien à voir avec celui que nous connaissons.
L’Ilyushin Il-18 est sans doute un des avions de transport les plus connus de la guerre froide et une des plus belles réussites de l’industrie soviétique. En 2020 quelques exemplaires volent encore sous les cocardes russes. Une vingtaine est actuellement préservée dans des musées aéronautiques du monde entier, et notamment en Allemagne et en Ukraine.
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