Ilyushin Il-14 ‘Crate’

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale l’aviation militaire soviétique fut confrontée au même défi que ses ex-alliés américains et britanniques : comment remplacer efficacement le Douglas C-47 Skytrain ? Alors qu’eux s’orientaient petit à petit vers la technologie du turbopropulseur les militaires soviétiques eurent l’idée de développer une version militaire d’un avion de ligne à moteurs à pistons. Une solution bien moins onéreuse dans une Union Soviétique où tout était à reconstruire après les années de guerre. Et le résultat donna naissance à un robuste bimoteur de transport tactique : l’Ilyushin Il-14.

C’est en août 1945, quelques jours seulement après les bombardements nucléaires américains contre le Japon, que l’avionneur Ilyushin fit voler le prototype de son nouvel avion de ligne Il-12. D’une architecture très classique, très académique même l’avion était promis à un bel avenir. La compagnie étatique Aeroflot tablait en effet dessus pour remplacer ses bimoteurs Lisunov Li-2 hérités de la guerre et qui étaient bien souvent à bout de souffle. Ces copies locales (et légales) du Dakota avaient volé précédemment dans l’aviation militaire.

Cette dernière en alignait encore des centaines. Et leur remplacement allait devenir une priorité pour les généraux soviétiques. Un temps il fut envisagé d’acheter directement des Il-12 mais rapidement cette hypothèse fut abandonnée, l’avion de ligne étant incapable d’assurer des missions tactiques. Il fut alors demandé à Ilyushin d’en développer une version militaire.
Le nouvel avion reçut la désignation d’Il-14. Son design et son ingénierie devinrent une priorité pour l’avionneur.

Extérieurement la parentalité entre les deux avions sautait aux yeux. L’Ilyushin Il-14 se présentait sous la forme d’un monoplan à aile basse de construction entièrement métallique. Il disposait d’un train d’atterrissage tricycle rétractable et d’un empennage classique. Sa motorisation s’articulait autour de deux moteurs en étoile Shvetsov ASh-82T d’une puissance nominale de 1926 chevaux entraînant chacun une hélice quadripale en métal. Prévu pour être manœuvré par un équipage de trois membres (pilote, copilote, et radio-navigateur) il accueillait deux membres d’équipages supplémentaires en soute. Sa charge marchande pouvait être composé de personnels ou de fret. Dans la première configuration il pouvait transporter 24 passagers en configuration ligne ou 32 soldats équipés en configuration tactique. Comme avion-cargo l’Il-14 transportait 3000 kg de fret.
Son prototype réalisa son premier vol le 1er octobre 1950.

La campagne d’essais en vol fut assez longue et c’est à l’occasion d’un déplacement du prototype dans le nord-ouest du pays qu’il fut identifié par des espions britanniques. Il fut immédiatement identifié dans les bases de données de l’OTAN sous le nom de code de Crate. Dès le début les forces atlantistes en firent avant tout un avion militaire, contrairement à l’Il-12.

L’avion entra finalement en service en janvier 1954, curieusement d’abord dans l’aviation civile puisque c’est Aeroflot qui l’utilisa en premier en tant qu’Ilyushin Il-14P. Dans sa configuration militaire il débuta sa carrière opérationnelle l’année suivante. Et très vite les exemplaires remplacèrent petit à petit le Li-2. En fait il n’était pas rare de voir sur les bases soviétiques des Ilyushin Il-14M côtoyer des Antonov An-2, alors l’autre principal avion tactique porteur de l’étoile rouge.

Durant toute la seconde moitié des années 1950 l’Ilyushin Il-14 fut le principal avion tactique en URSS. Il assurait aussi bien des missions de transport de personnels, que de fantassins, ou encore de fret. Il n’était pas rare en outre de les voir employer pour parachuter des troupes aéroportées. Mais avec l’émergence des années 1960 il laissa peu à peu la place à l’Antonov An-24 beaucoup plus moderne. Pour autant à pleine charge le rayon d’action de ce dernier était la moitié de celui de l’Il-14M. C’est la raison pour laquelle il demeura largement en service bien après l’arrivée en unité du Coke.

Outre Aeroflot et les forces aériennes et navales soviétiques des exemplaires furent livrés à titre militaire aux pays suivants : Afghanistan, Albanie, Algérie, Allemagne de l’est, Bulgarie, Cambodge, Chine, Congo, Corée du nord, Cuba, Égypte, Éthiopie, Guinée-Bissau, Hongrie, Inde, Indonésie, Irak, Mali, Mongolie, Pologne, Syrie, Tchécoslovaquie, Vietnam, Yémen, et Yougoslavie.
Il faut savoir qu’un peu plus de deux cents exemplaires furent produits sous licence tchécoslovaque par Avia comme Avia 14. Le constructeur est-allemand VEB assembla de son côté quatre-vingts machines pour les besoins locaux.
Au total l’Il-14 a été produit à 1348 exemplaires de série.

Outre les missions de transport plusieurs Ilyushin Il-14 mais également quelques Avia 14 furent employés comme plateformes de reconnaissance tactique et de cartographie aérienne. Dans ce dernier cas les avions étaient dotés d’un nez très largement vitré dans lequel prenait place un observateur équipé d’appareils photos portatifs. Des tels avions furent employés en URSS mais également dans plusieurs pays du Pacte de Varsovie.

Il n’était pas rare de les voir évoluer au plus près des frontières avec les pays de l’OTAN, notamment au-dessus du tristement célèbre corridor de Berlin. Plusieurs Ilyushin Il-14 de reconnaissance ont été interceptés par des chasseurs occidentaux, sans pour autant qu’aucun ne soient jamais abattu.

Il ne vole plus aucun Ilyushin Il-14 de nos jours. L’Union Soviétique a retiré ses derniers exemplaires au milieu des années 1980 tandis que la Chine est connue pour avoir utilisé les derniers exemplaires militaires, pour des missions de soutien logistique. Ils ont quitté le service actif en 2003-2004.
Moins connu que son successeur ou que certains de ses contemporains ce bimoteur soviétique était par ailleurs un avion robuste et pardonnant énormément les erreurs de pilotage. Il connut bien moins d’accidents mortels que son modèle civil d’origine, l’Il-12. Quelques Il-14 sont aujourd’hui préservés dans des musées aéronautiques, notamment en Russie.