Quand il fit son apparition au tout début des années 1960 le prototype du P.1127 Kestrel britannique enflamma les esprits, tant des militaires et professionnels de l’aéronautique que du grand public. Il faut dire qu’un avion à réaction qui décollait comme un hélicoptère, ça avait de quoi ouvrir des perspectives non négligeables pour l’avenir de l’aviation de combat. C’est dans cette voie que la Royal Air Force puis le Pentagone s’engouffrèrent, avec cependant un très léger temps de retard pour les Américains. Une fois qu’ils avaient observé l’intérêt opérationnel d’un tel avion, ils le commandèrent en série. Ainsi était né le Hawker-Siddeley AV-8 Harrier.
En juin 1969 le Squadron 1 de la Royal Air Force devenait la première escadrille au monde à mettre en œuvre de manière opérationnelle un avion de combat à décollage et atterrissage verticaux, un point qui fut scruté avec un large intérêt un peu partout dans le monde et notamment aux États-Unis. Le nouveau monoréacteur Hawker-Siddely Harrier GR Mk-1 semblait être devenu l’objet de tous les fantasmes des décideurs et généraux. Quelques mois plus tard, au tout début de l’année 1970 le constructeur et l’état-major britannique reçurent une demande du Pentagone visant à la fourniture d’un avion de série pour le compte de l’US Marines Corps qui recherchait alors non pas un chasseur embarqué mais un avion d’attaque et d’appui.
C’est le Harrier GR Mk-1 codé XV742 qui fut transféré de l’autre côté de l’Atlantique, à bord d’un Douglas C-133 Cargomaster appartenant à l’US Air Force. Rapidement repeint aux couleurs des Marines l’avion entama sa phase d’essais en vol à NAS Patuxent River en février 1970. En fait à l’époque aucun pilote de l’US Marines Corps n’avait d’expérience dans les manœuvres à bord d’un tel avion, les seuls pilotes américains à avoir volé sur le Kestrel appartenaient à l’US Air Force. Ce sont donc ces derniers qui ont encadré, à la demande des Britanniques, les essais.
Et rapidement la conclusion de ceux-ci fut sans appel : le Harrier GR Mk-1 n’était pas totalement adapté au cahier des charges du Pentagone. Non seulement l’avion n’était pas adapté aux opérations sur les ponts d’envol des porte-avions de l’US Navy mais en plus il disposait d’un armement inconnu à cette époque aux États-Unis : le canon de 30mm en nacelle, alors même que calibre standard américain était de 20mm. Il faut aussi voir qu’à la différence des avions américains le Harrier GR Mk-1 ne disposait pas d’une balise IFF. Mais surtout un défaut structurel majeur existait sur l’avion britannique : des parties usinées en métal et magnésium, c’est à dire très exposées à la corrosion due au sel des embruns. Enfin il fut demandé par l’US Department of Defense que le Harrier puisse être doté d’une perche amovible de ravitaillement en vol.
Les modifications furent tellement importantes que finalement c’est bel et bien un nouvel avion qui fut commandé en série par le Pentagone sous la désignation d’AV-8 Harrier en septembre 1970. Cent dix étaient des monoplaces AV-8A et vingt autre des biplaces TAV-8A destinés à l’entraînement avancé et à la transformation des futurs pilotes. Malgré le chantier qui attendait Hawker-Siddeley les premiers avions de série entrèrent en service dans l’US Marines Corps l’année suivante.
Après quelques atermoiements les généraux du Pentagone décidèrent en 1972 de déployer douze Hawker-Siddeley AV-8A Harrier au Vietnam pour des missions d’appui tactique et d’attaque au sol. Cependant ils n’y réalisèrent que très peu de vols opérationnels, en raison de la présence présumée sur zone de chasseurs ennemis Mikoyan-Gurevitch MiG-19 Farmer et MiG-21 Fishbed qui auraient fait courir de trop gros risques au nouveau fleuron du corps des Marines.
Dans le même temps les AV-8A et TAV-8A enchaînaient les accidents et incidents, plus ou moins graves. À tel point même que l’état-major du corps décida de ne plus affecter sur Harrier que des pilotes déjà confirmés. L’avion de facture britannique était notamment réputé très instable lors des phases de ravitaillement en vol, si bien que seuls les Lockheed KC-130 Hercules pouvaient les assister et non les Boeing KC-135 Stratotanker.
À la fin des années 1970 les Harrier furent renvoyés en usine en Angleterre afin d’être modifiés au standard AV-8C visant notamment à les doter d’une nouvelle perche de ravitaillement en vol, fixe cette fois-ci. Pour le reste il s’agissait surtout d’un rajeunissement de la structure de l’avion. Le chantier concernait cent deux monoplaces d’attaque et douze biplaces d’entraînement avancé. Les premiers avions modifiés rejoignirent les unités dans le courant de l’année 1979.
Le 25 octobre 1983 quand les États-Unis, assistés de plusieurs pays de la région des Caraïbes, décidèrent d’envahir l’île de la Grenade en proie à une révolution marxiste soutenue par les troupes cubaines le Hawker-Siddeley AV-8C Harrier était le principal avion d’appui aérien rapproché en dotation dans l’US Marines Corps. Fort naturellement une vingtaine d’avions de ce type fut déployée. Depuis le pont de l’USS Guam (LPH9) ces avions furent engagés pour des missions d’appui, notamment au moyen de bombes incendiaires et d’armes à sous-munitions contre les positions cubaines autour du campus de Grande Anse où 233 étudiants américains et une centaine de leurs homologues européens étaient retenus comme boucliers humains. Les Harrier appuyèrent lourdement les Marines dépêchés sur zone à bord d’hélicoptères Bell UH-1N Twin Huey et Boeing-Vertol CH-46E Sea Knight. Pourtant à la Grenade les AV-8C Harrier furent souvent éclipsés par des avions plus lourds comme les Lockheed AC-130 Spectre et les Vought A-7E Corsair II.
Quatre ans plus tard, après une carrière sans réels reliefs les Hawker-Siddeley AV-8C Harrier quittaient le service opérationnel, remplacés par une version bien plus évoluée et adaptée aux besoins du corps des Marines : le McDonnell Douglas AV-8B Harrier II.
De manière assez surprenante l’US Marines Corps ne fut pas le seul utilisateur du AV-8 Harrier. En 1975 l’Aviacion de la Armada Española chercha à acquérir un lot de douze avions, dix monoplaces et quatre biplaces, afin d’équiper son porte-avions Dedalo. Ce dernier était un ancien navire de l’US Navy de la Seconde Guerre mondiale, l’USS Cabot (CVL 28) racheté par l’Espagne en 1967.
Les pourparlers aboutirent en 1976 à la livraison des avions connus comme AV-8S (S pour Spain) mais utilisés par l’aéronavale espagnole en tant que VA-1 Matador. Les avions d’entraînement avancés eux furent désignés TAV-8S par le constructeur et VA-1T par les marins espagnols. À la différence de l’US Marines Corps ceux-ci utilisaient leurs Harrier aussi bien pour des missions d’attaque au sol, que de reconnaissance au moyen d’une nacelle photo, voire même de chasse embarquée avec deux à quatre missiles air-air AIM-9 Sidewinder.
En septembre 1981 lors d’un exercice en Méditerranée quatre Hawker-Siddeley VA-1 Matador se retrouvèrent nez à nez avec deux Dassault Super Étendard et deux Vought F-8 Crusader de la Marine Nationale. Lors de combats simulés non seulement ils furent descendus par les chasseurs de facture américaine, pourtant déjà alors d’ancienne génération, mais également par les avions d’attaque conçus à Saint-Cloud. Une preuve supplémentaire que le Harrier n’était pas un chasseur.
Pourtant c’est dans cette mission que les VA-1 Matador furent le plus souvent employés, y compris après 1988 et l’entrée en service des AV-8B Harrier II bien plus modernes et acquis aux États-Unis. Finalement l’Espagne retira du service ses Harrier de première génération en 1997.
L’année suivante le gouvernement de Madrid annonçait avoir revendu, avec l’accord des Américains et des Britanniques, un lot de sept monoplaces AV-8S et deux TAV-8S à la Royal Thai Navy qui recherchait des avions de combat afin de les embarquer à bord de son porte-aéronefs HTMS Chakri Naruebet. Ils furent livrés en 1998 mais particulièrement inadaptés au climat tropical thaïlandais il fallut les renvoyer en usine en Espagne à bord d’Antonov An-124 loués spécialement à cette occasion. C’est en effet le constructeur Casa qui avait la charge de ces chantiers. Finalement les neuf avions furent déclaré opérationnels en décembre 2001.
À bord du porte-avions thaïlandais les sept Hawker-Siddeley AV-8S Matador opéraient aux côtés d’hélicoptères de construction américaine Bell 214ST et Sikorsky S-76 pour les missions de recherches et sauvetages en mer, et Sikorsky SH-60B Seahawk destinés au combat maritime. Malgré tout en novembre 2006 le HTMS Chakri Naruebet devint un simple porte-hélicoptères après le retrait du service anticipé des Matador.
Bien qu’ils aient permis aux pilotes du corps des Marines de défricher le domaine de vol des avions d’attaque et d’appui rapproché à décollages et atterrissages verticaux, une spécialité pour eux désormais avec la troisième génération d’avions de ce type incarnée par les nouveaux Lockheed-Martin F-35B Lightning II, jamais les Hawker-Siddeley AV-8 Harrier n’ont réussi à impressionner durablement le Pentagone. Ils furent aussi les derniers avions de combat de conception étrangère, si on excepte la poignée d’Israel Aircraft Industries F-21A Kfir employés dans les années 1980 comme avions d’entraînement avancé, à être employés aux États-Unis de manière opérationnelle. Pour mémoire avant cette famille d’avions, le nom de Harrier avait été porté dans les années 1920 par un prototype de bombardier-torpilleur biplan conçu par Sidney Camm pour les besoins de Hawker.
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