Grigorovich M-16

Le 28 mars 1910 le pionnier de l’aviation Henri Fabre fait déjauger pour la première fois un hydravion depuis l’étang de Berre, non loin de Marseille. Se doute t-il alors qu’il a créé un des aspects les plus intéressants de l’histoire aéronautique ? Surtout les hydravions ne vont pas mettre longtemps à trouver leur place auprès des militaires pour des missions au-dessus des zones les plus inhospitalière de la planète. Parmi celles-ci on trouve l’Arctique. Et le premier appareil spécialement pensé pour y voler vint de Russie : le Grigorovich M-16.

L’emploi par l’aviation impériale russe des premiers avions et hydravions dans la partie septentrionale du pays démontra que la plus part n’y était pas adaptée. Des essais furent menés par des Dux 16, des Farman HF.16 français spécialement modifiés et construits localement, ainsi que par des Grigorovich M-5 prouvant que le pôle nord nécessitait des aéronefs adaptés. Moscou ordonna alors à Dmitry Grigorovich, spécialiste à cette époque des hydravions, de penser une machine spécialement adaptée. L’ingénieur comprit que pour opérer depuis les eaux glacées et la banquise un hydravion à coque n’était pas l’idéal. Il partit donc sur la voie d’un appareil à flotteurs.

Le nouvel hydravion reçut la désignation de M-16. Comme nombre de ses contemporains en cette année 1916 Dmitry Grigorovich s’inspira de ce qui se faisait en France. Son hydravion reprenait des éléments provenant d’un Farman MF-11 de reconnaissance mais aussi du récent M-9 de sa propre conception. Afin de le motoriser c’est le Salmson 9P lui aussi français, à neuf cylindres en étoile qui fut sélectionné. D’une puissance de 150 chevaux il entraînait une hélice bipale en bois. Dmitry Grigorovich choisit d’employer deux flotteurs de grande taille installés à l’avant du M-16 ainsi qu’un flotteur additionnel sous l’empennage, utilisable lors des phases de déjaugeage. Destiné à des missions de surveillance l’hydravion devait disposer d’un armement certes léger mais bien réel. Une mitrailleuse Vickers de calibre 7.7 millimètres fut installée à l’avant du fuselage. Le prototype réalisa son premier vol en avril 1916.

Immédiatement quinze exemplaires furent commandés et affectés à une hydrobase sur la Baltique. Ils entrèrent en service en août 1916. Ce n’est pas avant décembre de la même année que les premières missions d’explorations polaires furent lancées. En février 1917 deux premiers Grigorovich M-16 se posaient sur la banquise. Les hydravions étaient encore à plus de 250 kilomètres du pôle nord. Qu’à cela ne tienne l’hydravion avait rempli sa fonction. Une seconde commande fut passée en juin 1917 pour vingt-cinq appareils de plus. La marine impériale comptait bien mener des missions de reconnaissance le long de l’Arctique, là où des navires allemands avaient été repérés. Malheureusement le Révolution d’Octobre ralentit considérablement leur usinage. Les premiers exemplaires de cette seconde série n’entrèrent en service qu’en mars 1918 alors que le pays n’était déjà plus en guerre. Pour autant les Bolchéviques firent un usage important de leurs M-16 jusqu’à leur retrait du service en 1925.

Particularité notable six exemplaires volèrent sous les marquages finlandais à svastiska. Ils n’avaient pas été acheté mais volés à une unité russe stationnant en Carélie. Ils furent notamment employés lors de la guerre civile de 1918. Les troupes finlandaises les utilisaient face aux forces… soviétiques. Finalement après l’indépendance du pays les Grigorovich M-16 furent intégrés totalement. Le 17 juillet 1922 le pionnier finlandais du parachutisme Eero Erho sauta depuis un de ces hydravions. Il s’agissait du premier parachutage humain en Finlande. L’année suivante le modèle fut retiré du service.

Construit à seulement quarante exemplaires le Grigorovich M-16 marqua cependant durablement l’histoire aéronautique par ses premiers vrais survols de l’Arctique. Ironie de l’Histoire c’est un an après leur retrait du service qu’un dirigeable, le Norge, réalisa le tout premier survol du pole Nord. De nos jours plus aucun exemplaire n’existe.