Au cours de la guerre froide les forces américaines firent un usage intensif des avions de reconnaissance stratégique. Ces avions permettaient à l’instar des très célèbres Lockheed U-2 Dragon Lady puis SR-71 Blackbird de renseigner le Pentagone et la CIA sur les actions industrielles et militaires chinoises et soviétiques. Un aspect plus mal connu du renseignement aéroporté fut la reconnaissance météorologique stratégique. Ses opérations n’avaient pas grand-chose à voir avec celles des Lockheed WC-130 Weatherbird qui chassaient les ouragans dans le Midwest américain. L’un des plus fameux, et donc des moins célèbres, de ces avions si particuliers fut le General Dynamics WB-57 Night Intruder.
En 1954 l’US Department of Defense et la CIA demandèrent à l’avionneur Martin de développer un avion de reconnaissance capable d’aller observer de près les essais nucléaires menés par l’Union Soviétique. Initialement cette mission aurait dû être confié au biréacteur de haute technologie Bell Model 67 qui ne fut cependant pas suivi dans les faits. Très ambitieux ce programme s’annonçait également comme particulièrement dispendieux.
L’idée des généraux américains était que le bombardier moyen Martin B-57 Canberra puisse parfaitement remplir une telle mission.
Un lot de sept B-57C fut alors prélevé sur les chaînes d’assemblage et doté de caméras et d’appareils photos permettant de saisir en images des explosions nucléaires sans détériorer les films. Ces avions reçurent la désignation WB-57C Canberra.
Les deux premiers exemplaires entrèrent en service en 1955 mais ne purent jamais réalisés de missions au-dessus du territoire ennemi. Il en fut de même des cinq autres avions produits. Leur rayon d’action leur interdisait toute action au plus près de l’Union Soviétique. Ils furent donc employés dans l’entraînement des futurs équipages d’avions de reconnaissance stratégique météorologique. Car CIA et Pentagone croyaient en leur concept.
Les sept Martin WB-57C Canberra servaient donc à la formation des équipages et pilotes des Boeing WB-47B/E Stratojet et Lockheed WU-2A Dragon Lady qui assuraient cette mission ô combien stratégique. Les généraux américains avaient cependant encore en tête l’idée d’utiliser le B-57 Canberra comme plateforme pour une telle fonction.
Et c’est le constructeur et sous-traitant General Dynamics qui leur en offrit la possibilité en 1957 après avoir développé le RB-57E de reconnaissance tous temps et modifié le RB-57D de reconnaissance électronique.
En 1960 un accord secret fut passé entre l’industriel et les militaires américains visant au développement d’un avion de reconnaissance stratégique météorologique. Un temps il fut baptisé Martin RB-57F Canberra.
Pourtant quand il entra en service en novembre 1963 au sein du 58th Weather Reconnaissance Squadron ce fut en tant que General Dynamics WB-57F Night Intruder. Son prototype avait volé quelques semaines plus tôt, le 23 juin 1963. Les trois premiers des vingt-et-un avions commandés furent donc assemblés et acceptés très rapidement au service. Il faut dire que la situation était devenue délicate. Depuis trois ans, et l’affaire Powers, les Soviétiques savaient que leur espace aérien souverain était régulièrement violé par des avions-espions américains. En outre la course à l’armement qui se jouait entre Moscou et Washington DC passait par l’arme atomique.
La CIA avait donc besoin de recueillir un maximum d’échantillons atmosphériques lors des tests nucléaires soviétiques. Surtout le WB-57F Night Intruder avait été conçu spécifiquement pour pouvoir calculer à distance de sécurité le niveau des radiations émises par les armes ennemies. Ainsi l’Amérique pouvait savoir au mieux à quoi s’attendre de la part de l’URSS.
Les Martin RB-57C Canberra étant incapables de voler aussi hauts que les General Dynamics WB-57F Night Intruder et que les Lockheed WU-2A Dragon Lady il fut décidé de leur trouver un successeur. Et là encore c’est General Dynamics qui s’en chargea en 1965. Cinq avions de reconnaissance RB-57D furent ainsi modifiés en General Dynamics WB-57D Night Intruder et affectés à la formation avancée mais également à l’observation des explosions nucléaires… américaines.
Particularité notable un de ces avions a été aperçu à au moins deux reprises au plus près de l’atoll polynésien de Mururoa, là où précisément la France réalisait ses tests atomiques atmosphériques. L’Amérique n’hésitait donc pas dans les années 1970 à espionner un de ses plus proches alliés. Il est à noter que l’avion américain fut repéré par un chasseur-bombardier Sud-Ouest SO.4050 Vautour II BN chargé justement de prélever les données atmosphériques au-dessus de cette zone du Pacifique. L’arroseur arrosé en quelques sortes.
À la fin des années 1970 le quadriréacteur Boeing WC-135B Stratoweather remplaça définitivement les WB-57D/F Night Intruder du 58th Weather Reconnaissance Squadron. Pour autant cela ne sonna pas le glas de l’avion. Trois exemplaires furent récupérés par la NASA qui les utilisa jusqu’au milieu des années 1990 pour des vols scientifiques de recherche à très haute altitude. En 2006 il fut décidé de remettre en service deux d’entre-eux, sous les codes NASA 926 et NASA 928. Le troisième, NASA 927 servit de réserves de pièces de rechanges. On appelle cela la cannibalisation. Et là encore ces grands avions blancs remplirent des missions de recherches à haute altitude. Pour autant en 2013 après deux ans de travaux, afin de retrouver des pièces manquantes NASA 927 reprit ses vols lui-aussi au sein de l’agence américaine pour l’aéronautique et l’espace. Fin 2020 ils servaient tous trois toujours au sein du Lyndon B. Johnson Space Center de Houston au Texas. Ils sont notamment employés en soutien du programme de cartographie planétaire Landsat.
Beaucoup moins connus que les autres avions américains de reconnaissance stratégique les General Dynamics WB-57 Night Intruder ont pourtant permis à la CIA et au Pentagone de gagner la guerre du renseignement contre l’Union Soviétique. On estime aujourd’hui qu’ils ont réalisé un minimum d’un demi-millier de vols au-dessus du territoire ennemi, y compris chinois.
Ils méritent donc leur place au Panthéon des avions de reconnaissance.
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