Bien qu’ayant marginalement existée dans les années 1940-1950 la formule des avions de transport trimoteurs connut surtout son apogée entre la seconde moitié des années 1920 et la fin des années 1930. Celle-ci fut particulièrement adoptée en Allemagne, aux États-Unis, en France, ou encore en Italie. La puissance des moteurs interdisait alors le recours aux bimoteurs pour des vols de plus de 450 kilomètres, obligeant à en greffer un dans le nez. L’un des plus célèbres des appareils était américain et révolutionna le transport aérien civil de son temps : le Ford 4-AT/5-AT Trimotor.
Quand en 1922 l’ingénieur et homme d’affaire américain William B. Stout créa sa société il ne se doutait sans doute pas qu’il allait ainsi contribuer à l’histoire aéronautique. Connaissant les travaux en Allemagne durant la guerre de l’ingénieur Hugo Junkers et séduit par eux Stout voulait construire des avions de ligne entièrement en métal. Sa première production fut désigné 2-AT (pour Air Transport) Pullman. Il s’agissait en fait d’un élégant monomoteur pouvant accueillir entre huit et neuf passagers en plus du pilote.
Malheureusement si Stout était brillant pour concevoir des avions sa gestion commerciale et son outil de fabrication laissaient à désirer. Et dès le mois d’août 1925 il dut se résoudre à revendre sa société à Henry Ford.
Le célèbre concepteur d’automobiles, qui avait révolutionné son domaine industriel avec sa fameuse Ford T daté de 1908, comptait bien sur l’aviation civile pour élargir son empire. Il confia les rênes de sa branche aéronautique à son fils Edsel Ford. Celui-ci n’était en rien un novice de l’aviation puisqu’il sponsorisait depuis plusieurs mois les activités aériennes de l’explorateur américain Richard E. Byrd.
Surtout Edsel Ford était persuadé que l’avenir de l’aviation commerciale passait par des avions plus gros disposant de trois moteurs au lieu d’un seul.
Surtout Edsel Ford se passionnait pour les travaux de l’ingénieur néerlandais Anthony Fokker et notamment pour son F VII/3m . Ford junior était sûr que la formule du trimoteur avait de l’avenir et décida que la successeur du Stout 2-AT Pullman serait un tel avion. Aussi il demanda à William Stout de créer un tel avion capable de transporter dix passagers sur 500 kilomètres. Désigné Ford 3-AT l’avion avait manifestement été mal pensé. Hormis un vol d’essais il ne dépassa pas le stade expérimental. Edsel Ford et William Stout eurent alors une violente dispute. Le second refusait catégoriquement de recevoir des ordres d’un patron de treize ans son cadet. Mais derrière Edsel se cachait Henry, et ça Stout semblait l’avoir oublié. Le puissant dirigeant de l’empire Ford licencia Stout en mars 1926.
Harold Hicks fut aussitôt propulsé ingénieur en chef.
Et le fruit de ses travaux ne mit pas longtemps à apparaître. Habile Hicks savait tout des volontés d’Edsel Ford en matière d’aviation civile. Aussi son nouvel avion désigné Ford 4-AT reprenait les grandes lignes du Fokker F VII/3m mais en y ajoutant de réelles innovations : une voilure droite à revêtement travaillant, un train d’atterrissage dotés d’amortisseurs à l’avant autant qu’au niveau de la roulette de queue, ou encore un poste de pilotage fermé surélevé par rapport à la cabine et largement vitré. L’assemblage du prototype ne prit que trois semaines et son premier vol intervint le 11 juin 1926.
À cette époque le Ford 4-AT n’avait aucun concurrent sérieux sur le marché américain. Toujours en pointe commercialement Henry Ford proposa à son fils de baptiser l’avion Tri-Motor. Rapidement cela devint Trimotor, un nom simple et qui disait bien ce qu’était l’appareil. Hormis les productions américaines de Fokker aucun avion de ligne ne pouvait alors rivaliser avec le Ford Trimotor.
Et les ventes s’envolèrent. Pour autant les deux premiers avions, entrés en service en août 1926, appartenaient à la compagnie Ford Air Transport. On n’est finalement jamais aussi bien servi que par soi-même.
Les mois et années qui suivirent la carrière du Ford 4-AT Trimotor fut des plus radieuses. L’avion trustait le marché américain et se payait même le luxe de se vendre un peu en Europe occidentale. American Airways, Colonial Western, Curtiss Flying Service, Eastern Airlines, NYRBA, Pan Am, ou encore Queen City Airlines furent parmi les premiers clients américains de l’avion. Ailleurs il fut acheté par la compagnie canadienne British Columbia Airlines, espagnole Classa, ou encore mexicaine CMA.
La crise financière de 1929 pourtant faillit tuer l’avion.
En fait c’est la version la plus récente, le 5-AT Trimotor prévu pour 17 passagers qui sauva la chaîne de montage. Apparu à l’été 1928 celui-ci était peu à peu devenu le gros-porteur de son temps. Dans la presse américaine le Ford Trimotor fut rapidement surnommé «Tin Goose», c’est à dire en français «l’oie de fer blanc» eut égard à son usinage métallique.
Avions particulièrement réussis les Ford 4-AT/5-AT Trimotor ne mirent pas longtemps à attirer les militaires américains. L’US Army Air Corps fut la première en achetant en juin 1928 un premier 4-AT qui reçut la désignation de Ford C-3 Trimotor. Il fut suivi quelques semaines plus tard par sept C-3A légèrement différents. Ils furent affectés à des missions de transport de personnels mais également de soutien logistique.
Début 1929 cinq 5-AT furent commandés, le premier comme Ford C-4 et les suivants comme C-4A. Eux assuraient surtout du transport de fret ou de troupes aéroportées. Le Trimotor fut en effet le premier avion affecté aux États-Unis au parachutisme militaire.
En 1932 les C-3A virent leur motorisation modifiée et renforcée faisant ainsi d’eux des C-9.
L’US Army Air Corps conserva ses Trimotor jusqu’en 1940 sans jamais les affectés dans des zones de combat. L’un d’eux par contre servit hors des États-Unis en soutien des forces américaines présentes dans la zone du Canal de Panama.
L’US Navy de son côté acheta en 1929 un 4-AT pour des missions de transport d’état-major sous la désignation de Ford JR-1. Soucieuse d’équité elle en acheta quelques mois plus tard un second pour l’US Marines Corps qui reçut la désignation de JR-2. Enfin juste avant Noël 1929 alors que le jeudi noir avait déjà frappé l’économie américaine l’US Navy acheta quatre nouveaux Ford 4-AT. Trois lui étaient destinés sous la désignation JR-3 et le quatrième devint un JR-2 pour l’US Marines Corps. Fin 1931 les JR-2 devinrent des RR-2 et les JR-3 des RR-3. Ce changement de désignation résultait d’un changement d’affectation. D’avions de liaisons et de soutien d’état-major ils s’étaient mués en avions de transport tactique.
Seul le Ford JR-1 demeura avec sa codification d’origine.
Quand l’Amérique entra dans la Seconde Guerre mondiale en décembre 1941 le Ford Trimotor avait déjà quitté l’arsenal aérien et aéronaval des États-Unis. Pourtant trois avions furent réquisitionnés et fournis à l’US Navy et l’US Marines Corps. La première reçut ainsi un Ford RR-4 et un RR-5 tandis que le second fut doté d’un RR-5. Ces avions ne quittèrent jamais le territoire américain. Totalement obsolète ils furent remplacés à l’été 1944 par des Douglas R4D-1 Skytrain.
Outre les forces américaines on retrouva dans les années 1930 des Ford 4-AT/5-AT Trimotor sous les cocardes australiennes, canadiennes, colombiennes, et espagnoles. En 1940 un avion civil fut réquisitionné en Grande Bretagne et versé au N°271 Squadron de la Royal Air Force pour des missions de liaisons et de soutien logistique. Il fut remplacé en 1943 par un biplan De Havilland Dominie jugé plus sûr et moderne.
Avec deux cents exemplaires construits le Ford 4-AT/5-AT Trimotor n’est pas un avion particulièrement fécond. Pourtant il a profondément marqué l’histoire aéronautique américaine et fut jusqu’à l’arrivée du Douglas DC-2 le plus moderne des avions de ligne de ce pays. Une tentative d’adapter l’avion au bombardement eut même lieu, sous la forme du Ford XB-906 qui demeura malheureusement pour l’avionneur sans suite.
La production du Trimotor est cependant anecdotique vis à vis des automobiles Ford construites généralement à des dizaines de milliers d’exemplaires. Le Trimotor mérite pourtant largement d’être, au même titre que la Capri, la Mustang, ou la Thunderbird, au panthéon de cet industriel. De nos jours plusieurs Ford 4-AT/5-AT Trimotor sont préservés dans des musées américains, certains sont même maintenus en état de vol.
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