L’une des particularités de l’arsenal aérien des États-Unis réside dans sa capacité à revêtir des aspects très divers. Du bombardement stratégique au transport tactique chaque appareil possède sa propre place sur cet échiquier. Aussi lorsque l’on aborde le cas des aéronefs de reconnaissance on pense immédiatement au Boeing RC-135 Rivet Joint ou au Lockheed U-2 Dragonlady tant ces deux modèles sont devenus iconiques. Pourtant le Pentagone a toujours su mettre un point d’honneur à disposer de machines en très petites séries à l’image d’un bimoteur conçu à la fois pour la lutte contre le trafic de stupéfiant mais également pour le suivi des essais de missiles : le Fairchild RC-26 Condor.
L’année 1986 marqua un tournant dans la politique américaine vis-à-vis de la guerre contre les exportateurs et importateurs de drogues, les tristement célèbres narcotrafiquants. En effet face à l’ampleur que prenait désormais la consommation de cocaïne et d’héroïne aux États-Unis, avec donc son cortège d’overdoses mortelles, l’administration Reagan décida de faire entrer les militaires dans la danse. C’était en fait plus facile à dire qu’à faire. Car s’il ne s’agissait évidemment pas de faire débarquer les Marines en Colombie ou au Venezuela l’option d’une utilisation de moyens militaires contre les narcotrafiquants semblait sur le papier une excellente opportunité. Le Pentagone demanda à l’US Air Force de plancher sur l’étude d’un avion capable le plus discrètement possible de suivre les flux de transport de drogue, notamment depuis l’Amérique du sud et l’arc caribéen.
Ses généraux eurent alors une idée très intelligente : demander à l’US Coast Guard comment celle-ci s’y prenait alors dans cette mission. Car elle aussi employait avions et hélicoptères dans ce genre d’opérations. En fait les coasties américains possédaient alors sept Dassault HU-25B Guardian spécialement adaptés à la surveillance des exportations de cocaïne par voie maritime.
Un temps l’US Air Force pensa acquérir des jets d’affaire avant que le Pentagone ne la rappelle à une triste réalité : les finances américaines n’étaient alors pas extensibles à l’infini. Elle devrait se contenter d’avions turbopropulsés jugés plus économiques à la fois à l’achat mais aussi à l’emploi. Un appel d’offre fut ainsi lancé début 1988 auprès des avionneurs américains. Seuls Beechcraft et Fairchild y répondirent. Particularité notable ce second constructeur s’était alors associé avec l’équipementier israélien Elbit afin de proposer un avion clé en main issu de son SA227 Metroliner civil alors en dotation dans les forces américaines comme C-26 Metro.
Alors que le Beechcraft C-12 Huron était bien plus présent dans les unités américaines que le Fairchild C-26 Metro, et même sans compter les U-21 Ute et RC-12 Guardrail, c’est bien ce second avion qui fut choisi. Onze exemplaires furent commandés en 1989 à partir de la version C-26B.
Ils reçurent lors la désignation officielle de Fairchild RC-26 Condor.
Basés donc sur le C-26B Metro ils en conservaient l’aspect extérieur. Intérieurement c’était pourtant assez différent puisque les sièges passagers avaient laissé la place à trois consoles de travail destinés à recevoir des opérateurs de reconnaissance. Le cœur du Fairchild RC-26 Condor reposait alors le radar AN/APG-66 développé par Westinghouse et équipant alors les chasseurs General Dynamics F-16A/B Fighting Falcon. Un FLIR semi-réctractable AN/AAQ-24 venait renforcer ces moyens, offrant au RC-26 un moyen de reconnaissance passive.
Si le premier vol en sortie d’usine de l’avion intervint à l’été 1990 il fallut cependant attendre janvier 1992 pour voir les premiers exemplaires réaliser leurs premières missions. À la fin de l’année l’US Air Force avait obtenu l’intégralité de ses Condor.
Devant mener des missions particulièrement discrètes et ne sachant pas vraiment où les affecter l’US Air Force décida au printemps 1992 que ses onze Fairchild RC-26B Condor voleraient pour le compte du 45th Reconnaissance Squadron. Problème celui-ci était une formation à caractère stratégique et les RC-26B étaient des avions tactiques. Une situation bancale qui perdura jusqu’en 1997 et la décision de regrouper administrativement les onze avions au sein du 125th Fighter Wing de l’Air National Guard de Floride.
Les Condor pourraient ainsi opérer tranquillement depuis Jacksonville ANGB vers l’ensemble du golfe du Mexique et des nombreuses îles des Caraïbes. Dans le même temps des détachements permanents furent créés à Des Moines ANGB dans l’Iowa, Ellington Field ANGB au Texas, Fairchild AFB dans l’état de Washington, Fresno ANGB en Californie et Truax Field ANGB au Wisconsin. De manière occasionnelle l’Atlantic Undersea Test and Evaluation Center de l’US Navy pouvait également accueillir un tel avion, surtout lorsque l’administration américaine craignaient que les Bahamas ne voient arriver sur leur territoire de trop fortes quantités de drogues.
En relations directes avec les autres composantes de la lutte antidrogue américaine, mais également européenne, les Fairchild RC-26B Condor réalisaient des missions de surveillance. Même si celles à caractère maritime représentaient 75% des vols celles à l’intérieur du territoire américain n’étaient pas à prendre à la légère. Sinon pourquoi s’installer dans l’Iowa ou dans le Wisconsin ? À partir du début des années 2000 les cartels colombiens de la drogue commencèrent à mettre à prix la «tête» des RC-26 Condor. Il faut dire que ces avions leur coûtaient désormais des centaines de millions de dollars US en pertes sèches.
Pourtant au tournant de cette décennie et des années 2010 il devint évident que les Fairchild RC-26B Condor vieillissaient. Leur remplacement commença d’abord avec des Beechcraft MC-12W Liberty réaffectés puis avec des drones. Pourtant le très méconnu National Guard Bureau of Counterdrug du Pentagone tenait à ses bimoteurs à turbopropulseurs. Il les fit donc transformés en 2011 avec un nouveau FLIR AN/AAQ-26 plus performant et une capacité de vol aux jumelles à vision nocturne. Une nouvelle chaîne de communication encryptée opérant à des fréquences entre 29 et 960 mégahertz fit son apparition.
Dans le même temps la guerre contre le terrorisme rebattit les cartes sur l’immigration, une nouvelle mission pour les pilotes et équipages du 125th Fighter Wing et leurs RC-26B.
Finalement début 2023 les premiers exemplaires quittèrent le service actif, une procédure annoncée pour durer dix-huit mois. Ainsi se terminait trente-et-un ans d’une carrière dans l’ombre, comme savent si bien le faire les enquêteurs de la lutte antidrogue.
L’US Navy également utilisa trois avions similaires. Désignés RC-26D et dénués du radar AN/APG-66 ils ont été acquis afin de renforcer les moyens de surveillance du Pacific Missile Range de Barking Sands à Hawaï. Leur mission entre 1999 et 2020 était de suivre les essais de missiles. Entre 2010 et 2013 l’un d’eux a été modifié en EC-26D et affecté à de la surveillance électronique aux abords de la mythique Naval Air Weapons Station de China Lake dans le désert californien. Il est ensuite revenu à Hawaï. Ces trois RC-26D/EC-26D n’ont jamais rempli de mission opérationnelle, se contentant de soutenir les essais d’armement, d’équipements électroniques, voire d’aéronefs. Ils n’ont d’ailleurs pas été nommé Condor.
Figurant sans doute parmi les plus mal connus de tous les avions de reconnaissance de l’US Air Force les Fairchild RC-26 Condor sont également ceux dont le résultat demeure le moins facilement quantifiable. La guerre antidrogue est une lutte de chaque instant où quelques dizaines de tonnes interceptées peuvent saper le travail de milliers de femmes et d’hommes. Et surtout peuvent couter des milliards de dollars aux marchands de mort.
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