La généralisation des avions de combat à réaction au cours des années 1950 amena les avionneurs des grandes puissances économiques à intégrer le concept de transformation opérationnelle. Il s’agissait donc de développer des biplaces d’entraînement avancé permettant de préparer les élèves pilotes à leur passage sur ce nouveau genre de chasseurs. Si les Américains, les Britanniques, et dans une moindre mesure les Soviétiques comprirent rapidement l’intérêt de tels avions écoles très avancés la démarche intellectuelle fut plus délicate auprès des Français. Finalement il fallut attendre l’automne 1959 pour qu’un tel avion apparaisse dans l’Hexagone : le Dassault Mirage IIIB.
Jusque là l’avionneur clodoaldien n’avait jamais ressenti la nécessité de développer un biplace d’entraînement avancé et de transformation opérationnelle de ses chasseurs construits en série. Les Dassault Mystère II, Mystère IV, et Super Mystère B.2 demeuraient des monoplaces alors qu’à la même époque les Convair F-102 Delta Dagger, Hawker Hunter, McDonnell F-101 Voodoo, ou encore Mikoyan-Gurevich MiG-15 Fagot étaient eux proposés avec de telles sous-versions. Pourtant à Saint-Cloud les choses étaient en train de changer.
Le lancement du programme Mirage III et les enseignements des essais de l’avion expérimental Mystère Delta dont il découlait changea radicalement la donne. Dassault allait devoir concevoir son premier véritable biplace de transformation opérationnelle. S’inspirant de ce qui existait alors aux États-Unis mais décidant de pousser plus loin la logique conceptuelle l’avionneur français décida que ses avions ne seraient pas exclusivement dédiés à l’entraînement mais pourraient aussi assurer des missions secondaires de chasse.
Aux dix Mirage IIIA de présérie commandés vint donc s’ajouter le Mirage IIIB 01, B pour Biplace.
Extérieurement celui-ci n’était ni plus ni moins qu’une version biplace en tandem de la futur version de combat Mirage IIIC. La place arrière venait prendre la place de la baie avionique du monoplace. Bien que pensé initialement comme n’emportant pas d’armement interne il avait été prévu dès sa conception que le Mirage IIIB pourrait disposer d’un châssis pour deux canons DEFA de calibre 30 millimètres. Il était installé dans la soute avant. Les futures versions de série aurait la possibilité d’être aménagés en monoplace, remplaçant le siège éjectable arrière par un équipement avionique rendant l’avion apte aux missions air-air et air-sol. La propulsion de ce Mirage IIIB 01 était assurée par un turboréacteur SNECMA Atar 9B d’une poussée de 4250 kilogrammes à sec et 6000 kilogrammes avec post-combustion. Insistant sur le fait que l’avion avait les mêmes performances globales que la version de chasse Dassault fit inscrire la mention Mach 2 sous le nez de l’appareil.
C’est à Melun-Villaroche qu’il réalisa son premier vol le 20 octobre 1959 entre les mains du pilote d’essais René Bigand.
Mais alors pourquoi ce changement de politique chez Dassault et cette volonté nouvelle d’intégrer une version d’entraînement avancée et de transformation opérationnelle du Mirage III ? Simplement parce qu’un avion à aile delta ne se pilote pas exactement comme un avion à aile en flèche, l’architecture la plus commune dans le monde des chasseurs. Surtout ce type d’appareil est plus instable lors des phases d’atterrissages.
Enfin de par son architecture très spécifique le Mirage III nécessitait forcément qu’on apprennent à la piloter avant de le prendre en main. Le gauchissement et la profondeur par exemple n’étaient pas dirigés par un empennage horizontal, absent de l’avion, mais par des éléments mécaniques appelés élevons et situés en prolongation de la voilure delta. La maîtrise de ces éléments de gouverne était essentiel afin de bien piloter le chasseur français. De ce fait la version biplace en tandem fut proposée systématiquement à chaque client qui désirait acquérir le Mirage III.
Et de manière tout à fait logique c’est l’Armée de l’Air qui devint le principal client du Mirage IIIB, passant commande pour vingt-sept exemplaires de la machine dès 1960. Ils entrèrent en service dès l’année suivante, aux côtés des Mirage IIIC de combat. Comme prévu initialement les biplaces pouvaient être transformés en monoplaces, l’équipement électronique prenant ainsi la place temporaire de l’habitacle arrière.
Trois sous-versions furent développées à la demande expresse de l’Armée de l’Air. La première à entrer en service fut le Mirage IIIB1 dont six exemplaires furent commandés en 1966 et affectés immédiatement au Centre d’Essais en Vol comme plastrons volants et avions d’entraînement avancé. Il n’était pas rare que deux d’entre eux soient affectés à l’EPNER, l’École du Personnel Navigant d’Essais et de Réception qui en dépendait. Extérieurement les Mirage IIIB1 se reconnaissaient à leurs empennages verticaux repeints en orange, schéma qui se retrouvait jusqu’au niveau des souris mobiles d’entrée d’air. Bien qu’armés ces avions n’étaient nullement appelés à aller au combat. La deuxième sous-version fut commandée quelques mois après le Mirage IIIB1 et baptisée Mirage IIIB2. Ses dix exemplaires n’étaient paradoxalement pas destinés à former de futurs pilote de Mirage IIIC mais des équipages appelés à voler sur bombardiers nucléaires Dassault Mirage IVA. Pour cela ils furent notamment équipés d’un perche sèche permettant de s’entraîner au ravitaillement en vol sur Boeing C-135F mais sans toutefois de transfert de carburant. Les Mirage IIIB2 furent affectés au Centre d’Instruction des Forces Aériennes Stratégiques. La troisième sous-version, apparu au début des années 1970, fut paradoxalement la plus importante. Dix-sept Dassault Mirage IIIBE furent commandés pour permettre de former les futurs pilotes de Mirage IIIE, la version la plus évoluée du chasseur français. Le Mirage IIIBE possédait toutes les évolutions du chasseur dont la dérive légèrement modifiée et le réacteur SNECMA Atar 9C-3 dont la poussée avec post-combustion avait été portée à 6200 kilogrammes.
Avions de l’ombre les Mirage IIIB, ainsi que leurs sous-versions, ont pourtant su remplir de nombreuses missions de transformations opérationnelles au profit de l’Armée de l’Air. En 1972 quand celle-ci récupéra les Dassault Mirage 5J commandés par Israël et placés sous embargo cinq ans plus tôt elle ne chercha pas à acquérir de version biplace. De ce fait les pilotes de Mirage 5F apprirent à voler sur Mirage IIIBE. Celui ci s’était donc ajouter, bien involontairement une corde à son arc.
Il est à noter que le Mirage IIIB numéro 225 fut le premier avion de combat français doté de commandes de vols électriques. Ancien avion de l’Armée de l’Air il avait entre temps été livré au CEV.
Outre l’Armée de l’Air le Dassault Mirage IIIB a connu un véritable succès à l’export. Logiquement le premier client étranger de l’avion fut Israël qui réceptionna quatre avions connus comme Mirage IIIBJ (pour Biplace Juif) et dotés des mêmes équipements que les avions français. Deux d’entre eux participèrent en 1967 aux raids aériens de la guerre des Six Jours. Dotés de missiles air-air AIM-9 Sidewinder de facture américaine ces avions assuraient des missions d’escorte au profit des chasseurs-bombardiers de Heyl Ha’Avir.
En 1971 l’un des quatre avions fut versé à l’avionneur I.A.I. qui s’en inspira pour développer le Nesher T, la version biplace de son chasseur indigène.
Après Israël les commandes s’accélérèrent. L’Afrique du sud et la Suisse passèrent commande pour trois exemplaires chacun, désignés respectivement Mirage IIIBZ (pour Biplace Zuid-afrika) et Mirage IIIBS (pour Biplace Suisse) et livrés entre 1963 et 1964.
Israéliens, Sud Africains, et Suisses conservaient la livrée métallisée des Mirage IIIB français.
En 1964 l’Australie fit intégrer une nouvelle désignation aux biplaces, le Mirage IIID (pour Dual, double en anglais) afin de former les pilotes de leurs Mirage IIIO. Comme ces derniers les biplaces disposaient d’un réacteur Atar 9C-3 assemblé sous licence locale par CAC. Surtout les Mirage IIID intégraient beaucoup plus de technologies étrangères, notamment américaine et britannique, quasi absentes des Mirage IIIB. En outre les Mirage IIID se rapprochaient dans leur configuration des Mirage IIIBE français. Par la suite le Brésil, l’Espagne, le Pakistan firent le choix de Mirage IIID pour leurs besoins respectifs. Ces avions reçurent les désignations respectives de Mirage IIIDBR (pour Dual BRésil), Mirage IIIDE (pour Dual Espagne) et Mirage III DP (pour Dual Pakistan) los de leurs commandes. Dans la nomenclature espagnole les Mirage IIIDE furent désignés CE.11, les Mirage IIIEE étant eux des C.11. En 1971 l’Afrique du sud rejoignit le club des utilisateurs de cette version en commandant onze Mirage IIID2Z (pour Dual Zuid-afrika deuxième génération) dotés quant à eux d’un camouflage deux tons. Ces avions furent notamment engagés comme chasseurs de défense rapprochée dans les années 1970 et 1980.
Il est à signaler qu’alors que les Mirage IIID étaient à la mode à l’étranger une commande fut passée par les Libanais en 1966 pour deux Mirage IIIBL (pour Biplace Liban) inaptes aux missions secondaires de chasse.
Une fois le dernier Mirage IIIBL livré on put croire que l’aventure technologique des biplaces à aile delta de transformation opérationnelle était terminée. C’était compter sans les rétrofits d’avions français vendus de seconde main, voire d’avions étrangers.
Ainsi en 1972 l’Argentine mit en service cinq Mirage IIIDA (pour Dual Argentine) qui étaient en réalité d’anciens avions Mirage IIIB français et Mirage IIIBJ israéliens. De la même manière en 1980 deux autres Mirage IIIB furent prélevés sur les stocks de l’Armée de l’Air et envoyés en Suisse où ils devinrent des Mirage IIIBS-80 (pour Biplace Suisse 1980) une fois l’empennage canard si particulier des Mirage IIIS ajouté. Ces avions sont parfois désignés Mirage IIIDS mais celle ci est en fait erronée. La dernière modification eut lieu trois ans plus tard quand deux Mirage IIIBE issus là encore de l’arsenal français furent modifiés pour rejoindre le Brésil comme Mirage IIIBBR2 (pour Biplace BRésil 2e génération) sous la désignation locale de F-130D. Comme les avions suisses ils furent dotés de plans canard.
En 2022, soit plus de soixante ans après l’entrée en service du premier avion de série, seul le Pakistan fait encore voler de manière opérationnelle des avions de la famille du Dassault Mirage IIIB. Il s’agit de Mirage IIIDP utilisés uniquement pour l’entraînement avancé. Évidemment ce type d’appareil est aujourd’hui hautement obsolète et c’est un petit miracle que ce pays asiatique réussisse encore à en maintenir en vol.
Les réussites du Mirage IIIB et de ses dérivés ont amené la Générale d’Aviation Marcel Dassault, puis Dassault-Breguet, et enfin Dassault Aviation à proposer des versions biplaces de transformation opérationnelle sur l’ensemble de ses chasseurs ultérieurs. Aujourd’hui l’Armée de l’Air et de l’Espace possède deux de ces avions hérités du Mirage IIIB : le Mirage 2000B et le Rafale B. Ce dernier est d’ailleurs bien plus qu’un avion d’entraînement avancé, c’est un véritable chasseur omnirôle biplace.
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