On a souvent coutume de dire que l’industrie aéronautique américaine fut absente de la Première Guerre mondiale. C’est à la fois vrai et faux. Vrai dans l’absolue tant les productions allemandes, austro-hongroises, britanniques, et françaises écrasèrent tout le reste et faux quand on y regarde de plus près. En effet quelques rares biplans militaires firent leur apparition aux États-Unis à cette époque et combattirent même en Europe durant la Der des Ders. Ils étaient marginaux, reconnaissons le. L’un des exemples les plus criants fut le Curtiss Model R, conçu comme avion terrestre et utilisé activement comme hydravion à flotteurs.
En 1915 l’Europe se déchirait. De l’autre côté de l’Atlantique nord l’Amérique observait cette guerre à laquelle elle ne prenait nullement part. Sa neutralité le lui interdisait, tout en la protégeant des différents belligérants. Aussi l’industrie aéronautique naissante put s’épanouir sans avoir à craindre les tirs d’artillerie de l’ennemi. Un luxe dont les constructeurs de la Triple Entente autant que de l’alliance Allemagne / Autriche-Hongrie ne pouvaient que rêver.
L’ingénieur Glenn H. Curtiss en profita pour étudier depuis ses ateliers de Hammondsport dans le nord-ouest de l’état de New York un nouveau type de biplan biplace qu’il nomma Model R. Curtiss jouissait depuis le début de l’aventure aéronautique d’une réputation internationale de sérieux et de professionnalisme.
Déjà à cette époque l’ingénieur et pilote américain était un brillant homme d’affaires. Il comprit donc l’importance d’être indépendant vis-à-vis des motoristes. Si bien qu’il prit sur lui de développer et produire ses propres modèles de moteurs. Son nouveau biplan allait recevoir ainsi le Curtiss V-X à huit cylindres en V d’une puissance de 160 chevaux entraînant une hélice bipale en bois. Le futur avion reçut alors la désignation de Model R.
En fait sans jamais le reconnaître l’ingénieur américain s’était en partie inspiré des productions britanniques du Royal Aircraft Establishment afin de développer son nouvel avion. Quand il vola pour la première fois au printemps 1915 le Curtiss Model R n’avait rien de révolutionnaire mais se trouvait parfaitement dans l’air du temps.
Il se présentait sous la forme d’un biplan haubané d’envergure égal disposant d’un cockpit biplace en tandem non séparé. L’ensemble de la structure de l’avion était en bois et toile tandis que le train d’atterrissage classique se terminait par un patin. Dès le départ Glenn H. Curtiss pensa son Model R de manière à pouvoir recevoir deux flotteurs en lieu et place des roues et du patin.
Conscient qu’en Europe avions et hydravions connaissaient un véritable essor militaire l’ingénieur proposa son biplan à l’US Army Signal Corps qui mois de mai 1915 possédait déjà une section d’aviation. Deux délégations diplomatiques furent également invitées : la France et la Grande Bretagne. Si la première ne s’avéra pas plus intéressée que cela par le Curtiss Model R la seconde demanda si l’avionneur pouvait revoir sa copie et lui présenter une version à voilure d’envergure inégale. En fait c’était déjà dans les cartons de Curtiss et celui-ci vola en juillet de la même année, quelques jours seulement après la fête nationale américaine. Le Royal Naval Air Service passa ainsi commande de cent exemplaires d’une version appelée Curtiss Model R-2.
Nation neutre et ne pouvant donc pas fournir des aéroplanes à un belligérant sans les utiliser elle-même l’Amérique passa commande pour douze exemplaires identiques pour le compte de l’US Army Signal Corps. Le Model R-2 devint en cet été 1915 le plus gros succès industriel de Curtiss.
Au vingtième exemplaire livré aux Britanniques le moteur Curtiss V-X d’origine fut remplacé par un Sunbeam Arab de même architecture mais développant 200 chevaux. Surtout ce moteur avait été dessiné et était produit en Grande Bretagne. Dans la foulée Glenn H. Curtiss fit fabriquer pour ses propres besoins un Model R-2A très proche du prototype Model R puisque retrouvant la voilure d’envergure égale. Le 27 août 1915 il établit dessus le record d’altitude pour un avion aux États-Unis, atteignant 2740 mètres.
Quelques semaines plus tard l’US Navy passa commande de deux Curtiss Model R-3 d’entraînement et d’observation non armés disposant de deux cockpits séparés. Il s’agissait en fait des premiers hydravions Model R vendus. Le moteur Curtiss V-X ayant montré ses limites l’US Army Signal Corps se décida en novembre 1915 à commander cinquante-cinq Model R supplémentaires, cette fois sans contrepartie britannique, dédiés à des missions d’observation et de réglage des tirs d’artillerie. Ils furent désignés Model R-4. La motorisation tournait alors autour du Curtiss V-2-3 de 200 chevaux. Cependant au vingt-septième exemplaire le moteur à huit cylindres en V dessiné par Curtiss fut remplacé par un Liberty L-12 à douze cylindres en V de 220 chevaux jugé bien plus fiable. Les avions ainsi modifiés furent désignés Model R-4L. Une commande supplémentaires fut passée pour douze machines.
S’il n’y eut aucun Model R-5 et Model R-8 développés Curtiss se focalisa sur les Model R-6 et Model R-9 qui étaient non seulement les premiers Model R armés mais aussi deux versions livrées intégralement comme hydravions à flotteurs. Le Model R-6 à moteur Curtiss V-2-3 de 200 chevaux fut construit à 97 exemplaires, auxquels s’ajoutèrent 122 Model R-6L à moteur Liberty de 220 chevaux. En 1917 quarante Model R-6 furent transformés au standard Model R-6L. Ces hydravions emportaient pour le compte de l’US Navy une torpille de 350 kilogrammes. Les Model R-6/R-6L assuraient notamment des missions en Atlantique nord et dans le Pacifique, afin de protéger les navires américains et leurs ports. Le Model R-9 construit à 122 exemplaires était en fait un R-6 sur lequel les pilotes quittaient la place arrière pour la place avant, et les observateurs se retrouvant donc derrière eux. Les 112 premiers exemplaires furent fournis à l’US Navy comme hydravions torpilleurs à flotteurs et les dix derniers à l’US Army Signal Corps comme bombardiers légers terrestres avec une charge offensive de 200 kilogrammes. N’ayant aucun armement défensif ils furent interdit d’envoi sur le front européen, maintenant que les États-Unis étaient entrés en guerre aux côtés de la France et de la Grande Bretagne.
Si les Curtiss Model R-2 d’entraînement et d’observation désarmés achetés par le RNAS ne survécurent pas à la Première Guerre mondiale il en fut tout autrement des Model R-6/R-6L et des Model R-9 de l’US Navy qui demeurèrent en service jusqu’en 1926. Le jeune US Army Air Service de son côté retira du service ses bombardiers légers Model R-9 au début de l’année 1919 au profit d’Airco D.H.9A d’origine britannique jugés bien plus modernes.
Il est à signaler qu’à partir de 1917 l’US Mail, la poste américaine, utilisa un lot de seize Model R-4L appelés Model R-4LM. Il s’agissait de monoplaces pouvant emporter 180 kilogrammes de courrier. Ce ne sont pas là les seuls Model R civils puisque le Model R-7 fut conçu pour des vols réguliers entre Chicago et New York afin de transporter la presse. Malheureusement un seul exemplaire fut construit et acheté par le célèbre New York Times.
Moins connu que le Curtiss JN Jenny contemporain le Model R permit cependant à l’avionneur de peaufiner sa technique de conception d’avions et d’hydravions militaires. Pour autant il n’était pas sans défaut, sa motorisation restant insuffisante sans le recours au moteur Liberty L-12. Le Model R est fréquemment confondu avec le Curtiss CR de course, appelé R-6 dans la nomenclature américaine des années 1920.
Le Model R a donné naissance à l’hydravion patrouilleur Naval Aircraft Factory PT de l’entre-deux-guerres.
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