À la fin de la Grande guerre, le gouvernement canadien se questionna sur l’avenir des aviateurs du Corps expéditionnaire canadien ayant combattu en Europe. Au début du conflit, il n’existait aucune armée de l’air au Canada et beaucoup de canadiens s’enrôlèrent au sein du Royal Flying Corps et du Royal Naval Air Service. En 1918, deux escadrilles canadiennes, furent formées sur le front, mais dissoutes au lendemain de la guerre. La Grande-Bretagne donna au Canada une centaine d’appareils dont elle n’avait plus besoin et, en 1920, la Canadian Air Force (CAF) fut reconstituée. Plusieurs hydravions furent également cédés au Canada par les États-Unis qui avait temporairement établi, durant la guerre, des stations aéronavales sur la côte canadienne de l’Atlantique.
Initialement organisée sous la forme d’une milice à des fins d’entraînement et de maintien des capacités opérationnelles des pilotes, l’armée de l’air canadienne se vit graduellement confier un nombre croissant de tâches de nature civile: patrouilles de détection de feux de forêt, relevés photographiques aériens, évacuations sanitaires, lutte à la contrebande, contrôle des pêches et service aéropostal.
Doté d’une flotte hétéroclite d’appareils vieillissants, la CAF avait besoin d’un avion particulièrement bien adapté à la photographie aérienne ainsi qu’à la surveillance des forêts et se tourna vers l’entreprise Canadian Vickers. Ayant établi un important chantier naval à Montréal en 1912, Canadian Vickers fit ses premiers pas dans le domaine aéronautique en fabriquant six hydravions Viking IV de conception britannique. Livrés en 1923 à la CAF, la performance de ces Viking devant notamment remplacer ses vieux Curtiss HS-2L se révéla rapidement décevante. Canadian Vickers embaucha alors Wilfrid Thomas Reid, auparavant chef ingénieur chez Bristol Aeroplane, afin de concevoir un nouvel hydravion répondant davantage aux attentes de la CAF qui souhaitait un appareil plus léger et maniable. W.T. Reid se mit rapidement au travail en modifiant les plans d’un hydravion, dont la conception avait débuté en Grande-Bretagne, et le prototype du Canadian Vickers «Vedette» fit son premier vol en novembre 1924. Initialement doté d’un moteur Rolls-Royce Falcon III de 200CH, ce prototype fut livré en juillet 1925 à la CAF avec un Armstrong-Siddeley Lynx plus performant. La coque du Vedette était construite en planches de cèdre fixées sur une structure d’orme et recouverte de toile. La structure des ailes était également faite de bois alors que les gouvernes de queue avaient une ossature en tubes d’acier.
Facile à piloter et capable de décoller d’un lac sur de courtes distances, le Vedette fut rapidement apprécié des pilotes de la Royal Canadian Air Force (RCAF), anoblie suite à une proclamation royale en 1924. La production en série du Vedette débuta en 1926 et s’élevait à 60 appareils lorsqu’elle prit fin en 1930. Cinq versions du Vedette furent fabriquées, incluant deux amphibies et un seul appareil avec cabine de pilotage fermée et coque métallique. Divers moteurs furent utilisés, mais le plus fréquent demeura l’Armstrong-Siddeley Lynx IV, un moteur britannique radial de 7 cylindres.
Au total, la RCAF prit possession de 44 Vedette qui constituèrent l’épine dorsale de ses opérations durant les années difficiles de la Grande Dépression. Grâce à ses Vedette, la RCAF entreprit une vaste opération visant à systématiquement photographier de grandes régions du pays non encore cartographiées. Dispersées dans le nord canadien pour appuyer ces vols, bon nombre des camps de maintenance et de ravitaillement devinrent des bases aériennes militaires ou civiles permanentes. Ces relevés aériens durèrent jusqu’au déclenchement de la deuxième guerre mondiale et reprirent à la fin des hostilités avec des avions plus modernes. Grâce au Vedette, et aux avions qui ont suivi, le Canada dispose aujourd’hui du plus imposant inventaire de photographies aériennes au monde.
Les Vedette patrouillèrent également les côtes canadiennes et firent la chasse aux braconniers et contrebandiers d’alcool, fort nombreux en cette période de prohibition aux États-Unis. S’alimentant auprès des nombreuses distilleries canadiennes, ainsi qu’en alcool français aux îles Saint-Pierre-et-Miquelon, les contrebandiers firent de la côte Est canadienne et américaine un vaste territoire d’opération jusqu’en 1933, lorsque le président Roosevelt abrogea la prohibition.
À la fin de 1930, la RCAF délaissa également les patrouilles de détection de feux de forêt et céda un certain nombre de Vedette aux gouvernements provinciaux qui assument depuis cette responsabilité. Avec l’imminence de la guerre en Europe, les relevés photographiques aériens réalisés par les Vedette furent accélérés sur la côte Est à la fin des années 1930, afin de sélectionner la localisation de nouveaux aérodromes militaires. Le dernier Vedette quitta la RCAF en 1941 et plusieurs appareils démobilisés servirent dans des entreprises privées.
Seul autre utilisateur militaire du Vedette, le Servicio de Aviacion Naval de Chile aligna six appareils au sein du 1er escadron amphibie basé à Puerto Montt.
Suite au Vedette, Canadian Vickers développa une série d’hydravions: le Vanura, le Vista, le Vanessa, le Velos et le Vancouver. Toutefois, seuls le Varuna et le Vancouver furent produits en petit nombre pour la RCAF. Ce n’est qu’avec le début de la deuxième guerre mondiale que la production d’avions redémarra véritablement chez Canadian Vickers, avec un premier contrat de 40 hydravions Supermarine Stranraer pour la RCAF, suivi de 230 Catalina pour les forces armées américaines. Le Canadian Vickers PBV-1 Canso, la version canadienne du célèbre Catalina, fut également fabriqué à 149 exemplaires. De plus en plus accaparé par la construction de navires pour la marine marchande et militaire du Canada fortement impliquée dans la bataille de l’Atlantique, Canadian Vickers abandonna la construction aéronautique en 1944 au profit de Canadair, mis sur pied par le gouvernement canadien la même année. La transition s’effectua sans problèmes et la production des Catalina et des Canso se poursuivit jusqu’à la fin de la guerre. La tradition de fabrication d’hydravions canadiens, qui se poursuit jusqu’à ce jour avec le Bombardier CL-415, tire en quelque sorte son origine du Vedette.
L’engouement des canadiens pour les hydravions se comprend aisément, lorsque l’on sait qu’il y a plus de deux millions de lacs et plusieurs dizaines de milliers de rivières au Canada. Vu du ciel, certaines régions du pays semblent constituées d’autant d’eau que de terre. Il n’est donc pas étonnant que les premiers européens, désirant explorer ce vaste pays, adoptèrent le canoë d’écorce des Amérindiens. Le Vedette, surnommé le «Canoë volant» par ses pilotes, dû à la forme de sa coque et à son apparente fragilité, se révéla un appareil particulièrement fiable et bien adapté pour combler les espaces encore vierges sur les cartes du Canada, poursuivant ainsi l’œuvre des premiers explorateurs.
Aujourd’hui, il ne subsiste qu’une réplique du Vedette exposée au Western Canada Aviation Museum à Winnipeg. En état de voler, cet appareil fut construit grâce aux restes de trois Vedette récupérés sur leur lieu d’écrasement, à de vieux plans d’origine et à la mémoire d’un aîné ayant œuvré chez Canadian Vickers durant ses jeunes années.
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