La période d’Occupation est largement considérée comme une époque noire pour l’industrie aéronautique française. Durant quatre ans et demi, de juin 1940 à novembre 1944, les ateliers et usines d’aviation de l’hexagone furent utilisés quasi exclusivement pour les besoins des forces allemandes. De nombreux ingénieurs, techniciens, et ouvriers furent forcés d’aller travailler dans les usines du Troisième Reich tandis que les récalcitrants étaient souvent déportés. Aussi début 1945 beaucoup de projets avaient été abandonnés, souvent obsolètes au regard des dernières innovations. Pourtant quelques programmes lancés avant 1940 et demeurés dans l’attente depuis furent relancés, à l’image de celui de l’hydravion de reconnaissance maritime Breguet Br.730.
Tout commença au printemps 1935 quand l’état-major de la Marine Nationale établit une fiche programme relative au développement et à la construction en série d’un hydravion d’exploration maritime lointaine. Il s’agissait alors de trouver un successeur au Breguet Br.521 Bizerte alors en dotation.
Quatre avionneur répondirent à l’appel d’offre : Breguet bien sûr, mais également les Chantiers Aéro-Maritimes de la Seine, Latécoère, et enfin Lioré-et-Olivier. Entre le moment où il acta sa présence dans la compétition et le début de l’assemblage de son prototype le deuxième d’entre-eux vit sa raison sociale modifiée en Potez-CAMS.
Et dès 1937 deux avionneurs se détachèrent nettement du lot. Breguet avec son Br.730 et Potez-CAMS avec son modèle 141. À tel point même que le développement du Lioré-et-Olivier H.440 fut abandonné avant même la production du prototype. Latécoère de son côté préféré persévérer et assembla son Laté 611.
Tous en fait étaient des monoplans quadrimoteurs à coque. Le Breguet Br.730 n’était d’ailleurs pas le plus innovant ni le plus élégant des trois machines encore en compétition. Son architecture générale rappelait fortement les travaux britanniques des ateliers Short sur les hydravions commerciaux longs-courriers types S.23. Pour autant rien ne laisse supposer que le Br.730 ait été une seule fois inspiré par le S.26 Sunderland pourtant contemporain.
Le prototype Br.730-01 réalisa son premier vol le 4 avril 1938 depuis les installations normandes de l’avionneur au Havre. L’un des secrets de développement de cette machine résidait dans sa propulsion. Il était doté de quatre moteurs en étoile, de deux types différents. Il s’agissait de Gnome & Rhône 14N, mais de type 2 pour deux d’entre-eux et de type 3 pour les deux autres. Les premiers faisaient tourner leur hélice dans un sens et les seconds dans l’autre. Cette technique permettait de gagner en vitesse de croisière tout en réduisant significativement la distance de la course de déjaugeage et d’amerrissage.
Le 16 juillet 1938 celui-ci fut lourdement endommagé lors d’un amerrissage sur une mer particulièrement formée. Pour autant en janvier 1939 la Marine Nationale décida de privilégier cette machine et la passa en commande officielle à hauteur de onze exemplaires de série. Le prototype Breguet Br.730-01 devait quant à lui être reconstruit et servirait à l’entraînement des futurs équipages.
Potez-CAMS contesta cette victoire devant les tribunaux, arguant d’accords politiques entre l’avionneur et le gouvernement français. Mais l’entrée en guerre de la France contre l’Allemagne nazie en septembre de la même année rebattit les cartes. La procédure judiciaire de Potez-CAMS tomba à l’eau et le programme de développement du Br.730 devint prioritaire pour les marins français.
Cependant lorsque l’armistice fut signé en juin 1940 entre Allemands vainqueurs et Français défaits aucun Breguet Br.730 de série n’était assemblé. Seule la reconstruction du Br.730-01 étaient effective. Et la production fut très vite abandonnée. Pour autant, peut-être par pragmatisme, jamais les forces allemandes ne demandèrent la destruction des hydravions en question. D’ailleurs les exemplaires en cours d’assemblage furent convoyés par la route jusqu’à l’étang de Berre, alors en zone libre. Un travail titanesque qui prit alors près de trois mois à l’avionneur qui devait aller de Normandie jusqu’en Provence sur des routes souvent défoncées par les convois militaires.
En novembre 1942 la moitié sud de la France n’était plus libre et l’administration allemande se pencha de nouveau sur le Br.730. La Luftwaffe cherchait en effet de nouveaux hydravions de reconnaissance maritime afin de permettre d’alléger la charge des Blohm und Voss Bv 138 et de remplacer progressivement les Dornier Do 18. Or en Allemagne beaucoup d’ingénieurs connaissaient l’excellence du travail des équipes de Breguet. Le Br.730 semblait donc être l’appareil idéal pour l’aviation nazie.
Seulement voilà les Alliés en décidèrent autrement. Le 6 avril 1944 des bombardiers moyens Douglas A-20 Havoc appartenant à l’US Army Air Force réalisèrent une série de raids aériens ciblés contre les installations navales et aéronavales autour de l’étang de Berre. Les ateliers de Breguet n’y firent pas exception. Une très grosse partie de la production du Br.730 fut tout bonnement détruite. Cependant un des hydravions fut quasi totalement sauvé, et trois autres seulement légèrement endommagés. Sept exemplaires de série et le prototype réassemblé avaient quant à eux totalement disparus.
Quelques semaines après ce bombardement américain les forces alliées débarquaient sur les plages varoises entre les îles du Levant et Saint-Raphaël. Début septembre des troupes franco-américaines découvrirent les quatre Breguet Br.730 en cours d’assemblage. Les forces allemandes avaient déserté la zone depuis plusieurs jours.
Rapidement il fut décidé de convoyer, toujours par la route, les trois avions les moins avancés en production vers des ateliers sécurisés à Biscarrosse. Ironie du sort c’est là qu’avait été pensé en son temps le Laté 611.
Quelques menues modifications furent encore apportées à Berre sur l’avion désormais numéro 1 avant sa livraison le 4 février 1945 à la Flottille 9F sur la base aéronavale de Saint-Mandrier près de Toulon. Les moteurs d’origines laissèrent notamment la place à des Gnome & Rhône 14N types 44 et types 45, tout en respectant l’inversion des sens de rotations des hélices. Un peu moins de dix ans après l’émission de son cahier des charges et presque sept ans après son premier vol le Breguet Br.730 entrait enfin en service opérationnel. Il fut baptisé Véga par les marins français.
Un an plus tard, en février 1946, le deuxième exemplaire le rejoignit et de reçut lui le patronyme de Sirius.
À la demande expresse du lieutenant de vaisseau Faure, alors pacha de la Flottille 9F, les deux derniers Breguet Br.730 de série furent modifiés. Leurs nez et empennages redessinés pour être plus aérodynamiques ainsi que leur modification de motorisation au profit de SNECMA 14R-200 et 201 plus puissants, puisque développant chacun 1350 chevaux entraîna même un changement de désignation. Ces deux hydravions devinrent des Breguet Br.731. Ils entrèrent en service à l’été 1946. Ils prirent les patronyme d’Altaïr et de Bellatrix.
Mais quelques semaines plus tard, en octobre 1946, ils furent reversés à l’Escadrille 33S également stationnée à Saint-Mandrier. Ils réalisaient pourtant fréquemment des patrouilles depuis les installations aéronavales de Port-Lyautey (aujourd’hui Kénitra) sur la façade Atlantique du Maroc et de Dakar au Sénégal. Ces deux territoires étaient alors encore placés sous occupation coloniale française. Début 1947 tous les Br.730/731 portaient désormais les couleurs de la 33S.
À l’instar du prototype les Breguet Br.730 connurent une carrière émaillée par les accidents. Le 7 janvier 1949 lors d’une mission de recherches et de sauvetage au profit d’un équipage de pécheurs oranais le Véga fut perdu. Il semble que l’hydravion ait été victime d’une panne de moteur et soit tombé au plus près du littoral. Aucun de ses dix membres d’équipage ne survécut, des restes du quadrimoteurs furent retrouvés quelques jours plus tard sur une plage de la commune d’Arzew.
Deux ans et demi plus tard, le 27 juin 1951 c’est le Sirius qui rata lui son amerrissage à Port-Lyautey. Si aucun membre d’équipage ne fut sérieusement blessé l’hydravion était lui bon pour la casse. Il fut d’ailleurs envoyé à la ferraille sur place.
Finalement l’Escadrille 33S retira du service ses deux derniers exemplaires, les Breguet Br.731 en janvier 1954. Ils sont un temps remplacés par des Nord N.1400 Noroît avant que ceux-ci soient transférés en juillet 1954 au sein de l’Escadrille 53S basée en Tunisie. La 33S est dissoute en août 1954, elle ne renaîtra qu’en juin 1957 sous la forme de l’actuelle Flottille 33F. Elle troquera alors les hydravions pour les hélicoptères tout en conservant sa spécialité de recherches et sauvetages en mer.
Aujourd’hui un peu retombé dans l’oubli le Breguet Br.730 n’était pas à proprement parler un mauvais hydravion. Ou tout du moins ne l’était-il pas en 1938. En 1945 c’est différent et en 1954 quand il quitta le service il était totalement obsolète. Un appareil comme le Martin P5M Marlin avait terminé de littéralement le ringardiser. En fait il fut plus un outil de transition pour les marins français qu’un véritable hydravion de reconnaissance maritime, c’est sans doute pour cela qu’il n’emporta jamais aucun armement. Finalement la mission de recherches et sauvetages en mer était celle qui lui allait le mieux, enfin jusqu’au drame d’Arzew. Aujourd’hui aucun exemplaire n’a été conservé.
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