Avec la mise en service des premiers biréacteurs CRJ en 1992 et l’acquisition la même année du fabricant des bi-turbopropulseurs Dash 8, l’entreprise Bombardier entrait de plein pied dans le marché des avions de transport régionaux. L’évolution de ce marché incita l’avionneur canadien à développer des modèles de plus grande capacité de ces avions à succès qui culmine du côté des jets régionaux avec le CRJ 900 de 90 sièges et le CRJ 1000 de 100 passagers.
Ne pouvant toutefois étirer davantage la cellule du CRJ, et face au succès des avions monocouloirs brésiliens Embraer E-Jet, Bombardier annonça en 2008 dans le cadre Salon aéronautique de Farnborough son intention de développer un tout nouvel avion. Avec en poche une lettre d’intention d’achat portant sur 60 appareils signée par le transporteur Lufthansa, Bombardier lança le projet CSeries. Bombardier anticipait que la demande d’avions de transport moyen-courrier de 100 à 150 places s’élèverait à plus de 6000 appareils dans les vingt années suivantes et comptait bien s’accaparer la moitié de ce marché.
Bien plus qu’un simple avion de transport régional de plus grande capacité desservant les plaques tournantes aéroportuaires (Hubs), Bombardier visait également avec le CSeries à permettre aux transporteurs de saisir les opportunités présentées par une multitude d’aéroports secondaires de plus petite taille sous-utilisés, souvent enclavés en milieu urbain et plus faciles d’accès pour la clientèle que les méga-aéroports situés en lointaine banlieue et de plus en plus congestionnés. Aussi, la plupart des liaisons directes entre des villes de taille moyenne n’étant pas rentables avec des avions de plus grande taille, le CSeries vise à offrir une alternative tant au chapitre de vols moyen-courrier, que transcontinentaux et transocéaniques. Permettant ainsi de s’affranchir des frustrantes escales dans les «Hubs», une décentralisation permettant des vols directs entre des aéroports moins coûteux d’utilisation et au plus près des clientèles risque de provoquer une véritable révolution dans le monde des monocouloirs, tout comme l’avait fait le biréacteur Bombardier CRJ dans le transport régional.
Pour répondre à de tels défis, les avions CSeries se devaient d’être de conception entièrement nouvelle combinant un pourcentage élevé de matériaux innovants et légers ainsi que des ailes particulièrement efficaces. L’avion est fabriqué à 46% de matériaux composites et à 24% d’alliage aluminium-lithium. Des moteurs de nouvelle génération de la famille PurePower PW1500G furent également développés par son partenaire Pratt & Whitney. Les appareils CSeries visaient à offrir une réduction de 20% de la consommation de carburant, relativement à des avions comparables, tout en permettant une autonomie de plus de 5400 km et une réduction substantielle des nuisances sonores. Le CSeries comptant initialement deux modèles, soit le CS100 de 110 places et le CS300 de 135 places, le nouvel avion concurrence les plus petits monocouloirs de Boeing et d’Airbus, ainsi que de l’Embraer E-195.
Le premier vol du CS100 s’effectua en septembre 2013 à l’aéroport Mirabel au Québec, et celui du CS300 en février 2015 au même endroit. Bombardier a également construit de nouvelles installations à Mirabel pour procéder à l’assemblage final des avions CSeries. En juillet 2016, le premier CS100 de série entrait en service chez Swiss Air (membre du groupe Lufthansa) alors que le premier CS300 aux couleurs d’airBaltic débutait ses vols commerciaux en décembre 2016.
Dès les vols d’essais, les appareils CSeries se démarquèrent par leurs capacités sur courte piste, d’approche à forte pente et leur faible niveau sonore qui lui valurent le surnom de Whisperjet. Outre son très faible niveau sonore, une attention particulière fut apportée au confort des passagers notamment grâce aux sièges et hublots surdimensionnés. Les transporteurs qui exploitent actuellement ces appareils ne tarissent pas d’éloges à l’égard de ces avions de nouvelle génération qui performent au-delà des attentes tant en termes de fiabilité, de consommation de carburant que d’autonomie. Les CS100 de Swiss sont devenus les plus gros avions de ligne à effectuer des vols commerciaux à destination de l’aéroport London City réputé difficile d’approche. Du côté militaire, aucune commande ne s’est encore matérialisée mais ce ne serait qu’une question de temps. Les avions CSeries constituent notamment une plateforme intéressante pour le transport de hautes personnalités. Certains le voient déjà aux couleurs de l’Aviation royale canadienne qui devra prochainement remplacer le vieux A310 utilisé pour le transport des chefs d’état canadiens.
Comme c’est toujours le cas, les coûts et le temps de développement d’un tout nouvel avion, de surcroît doté de moteurs de nouvelle génération, dépassèrent les estimations initiales plombant ainsi sérieusement les finances de Bombardier qui développait également en parallèle l’avion d’affaires Global 7000. La société d’État Investissement Québec devint actionnaire du programme CSeries en 2015 afin d’insuffler les liquidités nécessaires, le temps que la cadence de production génère suffisamment de profits pour assurer sa pérennité. En 2017, le carnet de commande de Bombardier comptait près de 400 appareils CSeries, dont un premier client américain qui allait soulever l’ire de Boeing. Delta Air Lines annonçait en 2016 la conclusion d’une entente pour l’achat de 75 avions CS100 incluant des options pour 50 appareils additionnels. Comme c’est de pratique courante chez tous les avionneurs, Bombardier a consenti un rabais pour son client de lancement aux États-Unis compte tenu de l’ampleur de la commande. Bien que Boeing ne compte pas d’avions de taille similaire au CS100 dans son écurie, la possibilité pour Delta de convertir ses options en appareils CS300 irrita Boeing faisant déjà face à son rival Airbus sur le marché américain. Mais ce que Boeing appréhendait par-dessus tout, c’est l’éventualité du développement d’un troisième modèle de la famille CSeries, soit le CS500 d’une capacité de 160 à 180 places, avec lequel Bombardier visait éventuellement entrer de plein pied dans le lucratif marché du duopole Airbus/Boeing avec leurs populaires monocouloirs A320 et B-737. En 2017, le département du Commerce des États-Unis (DOC) imposa des droits compensatoires préliminaires de 220% aux appareils CSeries à la suite d’une requête de l’avionneur Boeing qui profitait de la ferveur protectionniste de l’administration Trump pour tenter de se défaire d’un éventuel compétiteur. Bien que Bombardier eût gain de cause en fin de processus, l’éventualité de devoir livrer une guerre de tranchée contre Boeing pour accéder au lucratif marché américain incita l’entreprise canadienne à se trouver un partenaire de poids.
Dans un communiqué conjoint émis le 16 octobre 2017, Airbus et Bombardier annonçaient une alliance portant sur le CSeries. Officiellement créée en 2018, la Société en commandite Avions CSeries était détenue à 50,01 % par Airbus, 31% par Bombardier et 19% par Investissement Québec. L’entente prévoit le maintien au Québec du siège social du CSeries, ainsi que de l’assemblage final des appareils réalisé à Mirabel. Une deuxième ligne de montage était prévue aux installations d’Airbus à Mobile, en Alabama, afin de fournir les clients américains, permettant ainsi d’éviter les droits compensatoires et antidumping que pourraient tenter d’imposer à nouveau le gouvernement américain sur les avions CSeries. Ce partenariat permettait à Bombardier de profiter des atouts d’Airbus en matière de mise en marché et de chaîne d’approvisionnement, qui à son tour élargit sa famille d’avions de ligne. Dorénavant bien implanté au Canada, l’avionneur européen a mis tout son poids derrière le programme CSeries en adoptant même la désignation A220 pour ces nouveaux venus dans la grande famille Airbus. Ainsi le CS100 est dorénavant désigné A220-100 et le CS300, A220-300. Aussi, la co-entreprise adoptait en mars 2019 le nom Airbus Canada. En 2020, Bombardier vendait ses parts de la co-entreprise à Airbus qui détient dorénavant 75% des actions d’Airbus Canada pour 25% détenues par Investissements Québec.
Malgré le pincement au cœur des Canadiens contraints de céder le contrôle de ce fleuron de leur industrie aéronautique, ce partenariat assure la pérennité de cet avion de nouvelle génération promis à un bel avenir. Chez Airbus, l’A220-100 enterre définitivement l’A318 dont la production avait de toute façon cessée en 2014 après seulement 80 appareils assemblés, tandis que l’A220-300 va certainement gruger encore davantage les parts de marché de l’A319 et pourrait même le remplacer. Disposant d’une plate-forme moderne à la fine pointe de la technologie, Airbus pourrait même développer des versions allongées de l’A220 comme éventuel successeur à l’A320. Un tel développement, relativement peu coûteux et rapide, permettrait de faire face à Boeing qui planche de son côté à la conception d’un nouvel avion qui remplacera éventuellement son populaire monocouloir B-737Max.
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