L’engagement américain au Vietnam amena le Pentagone a profondément revoir sa doctrine d’emploi de l’arme aérienne dans le cadre de ce que l’on appelle la guerre asymétrique. Face à un ennemi protéiforme ne ressemblant en rien à une armée constituée de bataillons et de régiments il lui fallait des réponses adaptées. Dans le domaine des avions de transport les généraux américains comprirent alors bien vite qu’il leur fallait accroitre les qualités de décollages et d’atterrissages courts afin de se mettre à l’abri des tirs ennemis sur le champ de bataille. C’est dans ce but que l’initiative Tactical Aircraft Investigation fut lancée en 1971 débouchant quelques mois plus tard sur le programme AMST, pour Advanced Medium STOL Transport, qui donna naissance à deux avions expérimentaux. L’un d’eux était le Boeing YC-14.
Au début des années 1970 la flotte de transport tactique de l’US Air Force ressemblait véritablement à l’armée à Bourbaki. On y trouvait quantité d’avions produits par Douglas à l’image des C-54D/E Skymaster hérités de la Seconde Guerre mondiale, de C-117A/B Skytrooper à peine plus récents ou encore de C-118A Liftmaster pas forcément adaptés. L’avionneur Fairchild n’était pas en reste avec ses C-119F/G Flying Boxcar issus de la guerre de Corée et C-123B/K Provider utilisés en permanence pour tous types de missions. Le seul avion presque plus polyvalent que ce dernier était alors le Lockheed C-130B/E Hercules. Le hic pour les généraux américains c’est qu’aucun de ces avions ne disposaient de capacités aux atterrissages et décollages courts. Et pourtant ce n’était pas faute que l’US Air Force s’y soit essayée, en témoigne le Northrop YC-125 Raider, mais elle n’arrivait pas à se doter d’un modèle d’avion tactique réellement doté de telles capacités.
Le programme AMST lui en donnait désormais la possibilité. Quand il fut émit trois constructeurs y répondirent immédiatement : Boeing, Convair, et McDonnell-Douglas. De manière assez étonnante Lockheed sembla le bouder, en fait ses ingénieurs travaillaient déjà sur un tout autre programme : l’allongement du fuselage de leur C-141A Starlifter qui allait donner naissance au C-141B. Pourtant bien vite l’avant projet de Convair fut rejeté laissant Boeing et McDonnell-Douglas seuls aux commandes. À eux désormais de donner vie à cet Advanced Medium STOL Transport.
Pour Boeing la présence dans ce programme prenait la forme du Model 953 dont les qualités ADAC (pour Avion à Décollages et Atterrissages Courts) étaient le fait de l’effet Coandă. Les gaz expulsés soufflaient ainsi l’extrados de voilure permettant ainsi de réduire significativement les courses d’atterrissages et de décollages. L’avionneur fit appel au General Electric CF6-50, un réacteur alors principale civil. Celui-ci avait le vent en poupe à l’époque ayant été choisi par McDonnell-Douglas pour son triréacteur gros porteur DC-10-30 et par Airbus pour son moyen porteur A300B1. De nouvelles nacelles durent être dessinés afin de permettre le montage des moteurs en position haute sur la voilure. D’autres équipements hypersustentateurs furent employés, à l’image de volets adaptés au soufflage et ou encore de systèmes de contrôle de la couche limite. Avec son Model 953 Boeing comptait en fait mettre en pratique plusieurs années de travaux conjoints avec la NASA. Le constructeur eut notamment l’idée d’utiliser une voilure supercritique Whitcomb.
Clairement avec ce nouvel avion les ingénieurs de Boeing récitaient par cœur la loi des aires telle qu’on la connaissait à l’époque. En novembre 1972 alors que les essais en soufflerie de la maquette du Model 953 débutèrent l’avion reçut la désignation officielle d’YC-14. Son concurrent se voyant octroyer celle d’YC-15. Ces tests se poursuivirent jusqu’au printemps 1975 avec comme point d’orgue l’utilisation d’une maquette de voilure à l’échelle un quart dotée d’un réacteur Pratt & Whitney Canada JT15D. Les études en soufflerie démontrèrent que le Boeing Model 953 allait être un avion difficile à piloter à basse vitesse et que l’empennage devait être redessiné.
Extérieurement le Boeing YC-14 mélangeait un peu les genres. Entièrement construit en acier et doté d’une voilure haute soufflée et d’un empennage en T il était clairement très moderne. Sa rampe arrière de chargement était dans l’air du temps. Son poste de pilotage largement vitré reprenait les codes hérités des Lockheed C-130 Hercules et Douglas C-133 Cargomaster. Ses deux réacteurs General Electric CF6-50D offraient chacun 23133 kilogrammes de poussée. Prévu pour un équipage de trois hommes il pouvait accueillir également deux personnels de soute. Sa charge marchande maximale était de 31400 kilogrammes, limitée à 12300 kilogrammes en configuration ADAC. Sans fret l’YC-14 avait été pensé pour accueillir 150 soldats armés ou jusqu’à 90 parachutistes équipés.
C’est le 9 août 1976 que le premier des deux exemplaires commandés, porteur du serial 72-1873, réalisa son vol inaugural. Son concurrent direct avait alors volé depuis presqu’un an.
Dès le début des essais en vol l’avionneur annonça la couleur. L’YC-14 était désormais le successeur logique du C-130 Hercules. Sûrs de la victoire finale de leur avion, capable de se poser et de redécoller depuis un terrain sommaire de 650 mètres de longueur, les ingénieurs le présentèrent au Salon du Bourget 1977 comme l’avion de transport tactique le plus révolutionnaire. C’est d’ailleurs le second exemplaire, au serial 72-1874, qui réalisa ses démonstration sur l’aéroport de Seine-Saint-Denis. L’avion était reconnaissable à son camouflage Centre-Europe.
Pourtant dans la réalité des essais en vol menés à Edwards AFB en Californie le Boeing YC-14 était loin d’être l’avion idéal. Certes il emportait efficacement toutes les charges marchandes envisagées, dont un char M60 ou deux avions de chasse Convair F-106 Delta Dart démontés, mais sa trainée demeurait très supérieure aux attentes du Pentagone. Des améliorations furent alors apportées aux carénages du train d’atterrissage ainsi qu’à l’empennage en T. Les essais reprirent. L’YC-14 surpassa alors son concurrent de chez McDonnell-Douglas. En août 1977 la campagne d’essais fut officiellement déclarée terminée. Seulement voilà aucun des deux avionneurs ne fut déclaré vainqueur. Pire encore l’US Air Force semblait faire trainer l’affaire. Finalement à Noël 1979 après bien des atermoiements le programme AMST fut tout bonnement abandonné. L’apparition du Lockheed C-130H Hercules avait mis tout le monde d’accord et désormais les militaires américains regardaient vers quelque chose de plus gros comme avion de transport.
Non acheté par l’US Air Force il était évident que jamais le Boeing YC-14 ne pourrait être vendu à l’export. Son développement en resta là. Boeing et la Nasa poursuivirent leurs travaux sur les ADAC grâce au XC-8B Quiet Short-haul Research Aircraft construit à partir d’un De Havilland Canada DHC-5 Buffalo. De nos jours les deux exemplaires existent toujours, l’un bien plus que l’autre. Le premier est préservé au Pima Air & Space Museum en Arizona tandis que le second se dégrade lentement dans le « cimetière » du 309th Aerospace Maintenance and Regeneration Group de Davis-Monthan AFB… également dans l’Arizona. L’YC-14 ne doit pas être confondu avec l’Y1C-14 de l’entre-deux-guerres.
À bien des égards le Boeing YC-14 semble avoir inspiré l’Antonov An-72 Coaler soviétique, preuve en est que les agents du KGB savaient pertinemment se servir de la polycopieuse à encre à l’époque !
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