Il existe dans l’histoire de l’aviation des machines qui ont réellement révolutionné leur temps. L’avion de ligne quadriréacteur Boeing 707 est indubitablement de ceux-là. Par delà l’aspect de l’aviation commerciale c’est au niveau de l’aéronautique de défense qu’il sut assez étonnamment se rendre très polyvalent. Qu’il s’agisse de l’avion de transport de personnalités VC-137 Stratoliner, de l’AWACS E-3 Sentry, ou encore du ravitailleur en vol KC-135 Stratotanker tous ces avions de l’US Air Force ont la particularité d’être issus du Boeing 707. Pourtant c’est au profit de l’US Navy que Boeing en développa l’une des versions les plus spécifiques, mais aussi les moins connues : l’E-6 Mercury.
Pourtant à priori rien ne prédestinait cet avion de ligne à se transformer en avion pour le compte de l’aéronavale américaine assez peu friande des avions de très grande taille, notamment après ses mésaventures avec le Lockheed R6V Constitution à la fin des années 1940. Cependant au début des années 1980 l’US Navy annonce rechercher un nouvel avion pour la mission dite TACAMO, un acronyme signifiant Take Charge And Move Out. Elle consiste à assurer le relais de communication entre d’un côté le Pentagone, la Maison Blanche, les bases navales américaines et de l’autre les submersibles chargés d’assurer les premières frappes en cas de déclenchement d’un conflit thermonucléaire avec l’Union Soviétique. Il s’agit donc alors d’une mission hautement stratégique et extrêmement confidentielle.
À cette époque la mission TACAMO est assurée par deux versions très spécialisées de l’avion-cargo C-130 Hercules : quatre EC-130G et dix-huit EC-130Q. En fait les premiers assurent la mission d’entraînement et de simulation au profit des équipages des seconds. Pourtant à l’époque les systèmes de ces avions commencent à montrer des signes de faiblesses. Hors la Maison Blanche exige que son outil de première frappe soit au top niveau. C’est la raison pour laquelle un discret appel d’offres est lancé auprès de Boeing, McDonnell Douglas, et Lockheed afin de trouver parmi trois avions, le 707, le DC-8, et le C-130H un successeur aux actuels TACAMO. Néanmoins Lockheed est rapidement écarté. La compétition se joue alors entre Boeing et McDonnell Douglas, et assez étrangement le DC-8 semble avoir les faveurs de l’aéronavale américaine qui à cette époque utilise deux avions de ce type pour des missions d’entraînement et de soutien à la guerre électronique sous la désignation d’EC-24A. Pourtant Boeing va faire une proposition qui va faire clairement pencher la balance dans le sens du 707 : proposer son avion avec des réacteurs à double flux franco-américains F108, l’équivalent militaire du CFM56 bien plus économiques et puissants que les habituels Pratt & Whitney JT3D-7 qui équipent normalement ce type d’appareil.
Au mois d’avril 1983 le Pentagone sélectionne le Boeing 707-320 comme futur base de l’avion qu’il baptise E-6 Hermes. Si extérieurement il a tout d’un avion de ligne, en y regardant de plus près les nombreuses antennes qui le hérissent trahissent sa nature d’avion militaire. En outre sa livrée totalement blanche seulement rehaussée des marquages d’appartenance à l’US Navy ne laissent aucun doute sur sa fonction : il s’agit d’un avion de guerre électronique. Et son avionique tourne principalement autour d’un double système de communications encryptées VLF / VVLF (pour Very Low Frequency et Vert Very Low Frequency) permettant de relier efficacement les centres de commandement américains et les très discrets sous-marins de celle qui est alors la toute nouvelle classe Ohio mais aussi les plus anciens de la classe Benjamin Franklin. Le prototype de l’avion réalise son premier vol de manière très secrète le 19 février 1987 et entre en service au sein du squadron VQ-3 de manière tout aussi discrète à l’été 1989.
Les bouleversements qui vont toucher le Pacte de Varsovie dès la chute du mur de Berlin en novembre de la même année ont bien failli coûter son existence au Boeing E-6A Hermes. Pourtant les amiraux américains ont su convaincre leurs autorités politiques de la nécessité de disposer d’un nouvel avion TACAMO, notamment du fait que les Lockheed EC-130Q arrivent au bout de leur espérance de vie. Finalement de vingt-deux machines initialement prévues le programme est ramené à seize exemplaires de série. Outre le squadron VQ-3, c’est le squadron VQ-4 qui est choisi pour mettre également en œuvre ces machines. Dans le même temps, de manière assez inhabituelle, l’avion voit son patronyme changer. Il devient ainsi l’E-6 Mercury.
En fait en volant à une altitude de patrouilles comprise entre 7500 et 9000 mètres d’altitude les Boeing E-6 Mercury peuvent relayer toutes les communications avec des submersibles se trouvant dans un rayon de 150 à 200 kilomètres, et jusqu’à plusieurs dizaines de mètres de profondeur. Il faut reconnaitre que sur ce genre d’informations la marine américaine a toujours su faire preuve d’une certaine opacité, bien compréhensible. Il faut signaler que depuis le début des années 1990 les squadrons VQ-3 et VQ-4 de l’US Navy sont stationnés en plein cœur du territoire américain, à Tinker AFB dans l’Oklahoma. Cette base a la particularité d’être à relativement même distance de l’Atlantique et du Pacifique.
Cinq ans après son entrée en service le quadriréacteur de l’US Navy se voit confier une nouvelle mission : assurer le commandement aéroporté de toutes les missions à caractère nucléaire. Il faut dire que quelques semaines auparavant l’US Air Force a retirer du service le modèle d’avions qui assurait cette fonction : le Boeing EC-135 Combat Lightning sans pour autant lui trouver un successeur, fin de la guerre froide oblige. Cette redistribution des cartes dans la fonction du Boeing E-6 Mercury va obliger l’US Air Force a mettre la main à la poche d’une manière assez surprenante.
En effet l’US Navy demande alors que l’US Air Force fournisse deux avions permettant d’assurer des missions d’entraînement au profit des pilotes et équipages d’E-6 Mercury. Il s’agit alors de deux anciens avions de ligne qui sont transformés de manière à satisfaire aux demandes de l’aéronavale. Ils reçoivent alors la désignation officielle de Boeing TC-18F. A la différence des E-6A Mercury ils ne sont cependant pas aptes à être ravitaillés en vol et conservent leurs hublots d’avions commerciaux ainsi que les « vieux » réacteurs d’origine. Ils entrent en service au début de l’été 1996. Ils sont alors les plus gros avions d’entraînement militaire que les États-Unis aient possédé, loin devant les Boeing T-43 Gator de l’US Air Force.
Au début des années 2000 les bouleversements que le monde connait conduisent l’US Navy à faire moderniser ses E-6A Mercury qui passent au standard E-6B grâce notamment à l’ajout d’un GPS différentiel, d’un système de FLIR permettant de repérer les éventuelles menaces de surface contre les submersibles, ainsi qu’un système de détection des menaces air-air. De relais de communication et poste de commandement l’avion se mue petit à petit en véritable protecteurs des sous-marins nucléaires américains.
Si en 2013 la marine américaine se sépare de ses deux Boeing TC-18F, qui n’ont d’ailleurs jamais vraiment démontré leur efficacité, il n’est alors nullement question de retirer du service l’E-6B Mercury. Pis il est même alors question de le transformer en E-6C destiné au remplacement des Boeing E-4B de l’US Air Force. Cependant une bataille idéologique entre les deux armes américains s’engage et la force aérienne en ressort victorieuse. Elle peut conserver ses postes de commandement issus du 747 Jumbo Jet.
En 2017 les Boeing E-6B Mercury ne sont plus basés uniquement à Tinker AFB mais aussi à Patuxent River dans le Maryland et à Travis AFB en Californie. Ils sont aussi coutumiers de détachements temporaires en Italie, au Japon, et au Royaume-Uni. En sommes ils vont là ou l’Amérique a besoin d’eux, là où les sous-mariniers réclament leur présence !
Avec une autonomie en patrouille atteignant 29 heures de vol, grâce à de multiples ravitaillement en vol, le Boeing E-6B Mercury est à coup sûr un des avions pilotés les plus endurants de l’arsenal américain, loin devant des machines comme le Boeing VC-25A, le Lockheed U-2S ou encore le Rockwell B-1B. En fait seul le drone Northrop-Grumman RQ-4A semble lui faire clairement de l’ombre. À tel point que certains n’hésitent pas à le considérer comme la base d’un futur successeur (assez) hypothétique du Mercury.
Avions ô combien discret le Boeing E-6 Mercury n’a jamais été sur le devant de la scène, sauf peut-être quand il participe en 2012 au Royal International Air Tatoo en Angleterre. Pour le reste c’est clairement un avion de l’ombre, bien plus que toutes les autres versions militaires du Boeing 707, plus même peut-être que le pourtant lui aussi très discret RC-135W River Joint d’espionnage aéroporté.
En savoir plus sur avionslegendaires.net
Subscribe to get the latest posts sent to your email.