Boeing 747 Shuttle Carrier Aircraft

Au-delà de la construction automobile ou aéronavale un des points marqueurs de l’évolution technologique d’un pays c’est sa capacité à participer ou non à la conquête spatiale. Et dans cette aventure les puissances se comptent sur les doigts d’une seule main. Non seulement les États-Unis en font logiquement parties, étant la seule nation à avoir foulé le sol de la Lune, mais en plus sa NASA en est un des leaders. Sa puissance s’entrevoit notamment au travers des avions que cette administration a été capable de mettre en œuvre, à l’image des deux imposants quadriréacteurs Boeing 747 Shuttle Carrier Aircraft.

En 1972 la NASA lance un programme hyper ambitieux, même pour elle : la navette spatiale. L’idée est de disposé d’un engin capable de réaliser des vols dans l’espace et de revenir se poser sur Terre comme le ferait un avion ou un planeur. Ses ingénieurs pensent alors que leur tâche ne sera pas si difficile que cela. L’idée est alors qu’en plus de ses boosters destinés aux vols spatiaux le navette spatiale puisse disposer de six turboréacteurs identiques à ceux des avions de ligne. Rapidement ils comprennent qu’ils ont fait fausse route. Le programme SCA, pour Shuttle Carrier Aircraft, est alors initié.

L’idée est alors que si la navette spatiale ne peut pas aller d’un point A à un point B toute seule dans l’atmosphère il faudra l’aider. Les ingénieurs américains ont alors l’idée de revenir à un vieux principe aéronautique de l’entre-deux-guerres : les parasites. Et leur modèle en tête est le programme allemand Mistel. Ils vont hisser la navette spatiale sur le dos d’un avion gros porteur. Sauf qu’en cette année 1973 le ou les candidats ne sont pas nombreux. Le programme SCA étant de surcroit ultra top-secret il est impossible de trop l’ébruiter auprès des avionneurs. Après avoir écarté les bombardiers stratégiques jugés possédant un fuselage trop étroit les ingénieurs de la NASA s’intéressent à deux avions de transport : le Boeing 747 et le Lockheed C-5 Galaxy. Des essais sont réalisés en soufflerie à partir de maquette et le résultat est sans appel, c’est Boeing qui remporte le marché.

Le contrat lui est notifié en juin 1974. Pour des raisons budgétaires le choix se porte sur un avion déjà construit, un 747-100, appartenant à la compagnie aérienne American Airlines et totalisant 8999 heures de vol au moment de l’achat. Porteur de l’immatriculation civile N9668 c’est le 86e exemplaire de sa série. À l’été 1976 il est renvoyé par la NASA chez l’avionneur afin de devenir le 747 Shuttle Carrier Aircraft. Le chantier est colossale et ultra sécurisé. Chaque employé doit montrer patte blanche auprès d’agents du FBI qui encerclent l’usine de Boeing. L’Amérique craint des fuites vers l’URSS.

Transformer un simple 747-100 commercial en 747 Shuttle Carrier Aircraft n’est pas une mince affaire. D’abord il faut le débarrasser de tous les aménagements intérieurs qui faisaient de lui un avion de ligne. Ensuite il convient d’installer les ancrages trois points de la navette spatiale entre la bosse avant du 747 et les côtés du fuselage, juste à l’arrière de l’emplanture de voilure. Enfin il faut créer des stabilisateurs supplémentaires afin de permettre à l’avion de vole droit quand il porte la navette spatiale. Surtout jamais aucun aéronef parasite aussi énorme qu’elle n’a été fixé sur un avion. Tout est donc à inventé pour les ingénieurs et techniciens de Boeing et de la NASA. Afin de garantir un centre de gravité acceptable le 747 Shuttle Carrier Aircraft est doté en soute d’un système de ballast similaire à celui des sous-marins. Le poste de pilotage est lui aussi revu et corrigé, intégrant le système de largage de la navette spatiale.
Particularité notable il a fallu déplacer certaines antennes.

Le Boeing 747 Shuttle Carrier Aircraft réalise son premier vol en décembre 1976 et est livré au centre Dryden de la NASA le mois suivant. Dès lors les vols, à vide et avec la navette spatiale peuvent débuter. La plus part se font dans un secret assez fort cependant à l’été 1981 le programme est révélé par la presse américaine. La NASA comprend qu’elle tient là une occasion unique de communication. Le 747 Shuttle Carrier Aircraft entame début 1983 une tournée mondiale qui l’amènera notamment en juin au Bourget pour son célèbre salon.
L’année suivante des essais, à sec, de ravitaillement en vol sont réalisés à l’aide d’un Boeing NKC-135E Stratotanker de la NASA et d’un McDonnell-Douglas KC-10A Extender de l’US Air Force. C’est un échec. Les équipages devront faire avec le court rayon d’action à charge du quadriréacteur.

En 1988 un second Boeing 747 Shuttle Carrier Aircraft est acheté par la NASA. Il s’agit cette fois d’un 747SR acquis de seconde main auprès de Japan Airlines. Si le premier avait été réimmatriculé N905NA celui-ci devient N911NA en rejoignant l’agence spatiale américaine. Il subit le même chantier de modernisation et de transformation que le premier. Il est déclaré opérationnel à l’été 1990 et réalise sa première mission l’année suivante.

Contrairement à une idée reçu les Boeing 747 Shuttle Carrier Aircraft ont beaucoup volé, au regard de l’extrême particularité de leurs missions. Ils en ont réalisé soixante-seize entre la première en 1979 et la dernière trente ans plus tard. Ils ont convoyé les navettes Enterprise, Columbia, Challenger, Discovery, Atlantis, et Endeavour. Trois ans après le dernier vol aux profits de ces géantes de l’espace, en 2012, les Boeing 747 Shuttle Carrier Aircraft ont quitté le service actif. Ils sont aujourd’hui préservés. N905NA accueille la fausse navette Independance au centre spatial de Houston où il est exposé tandis que N911NA est exposé nu au Joe Davies Heritage Airpark, le musée du fameux Plant 42 en Californie.

Les Boeing 747 Shuttle Carrier Aircraft figurent parmi les avions de ligne les plus impressionnants dans une configuration autre que commerciale. Il faut savoir que l’Union Soviétique s’en inspira avec feu l’Antonov An-225 Cossack, aujourd’hui détruit lors d’un raid aérien russe sur l’Ukraine.