Quand il réalise son premier vol le 9 février 1969 le prototype du Boeing 747 est alors le plus gros avion de ligne jamais réalisé. Il le demeurera jusqu’au 27 avril 2005, date du vol inaugural de l’Airbus A380. Trente-six années durant lesquels l’avion américain va régner sur le transport aérien commercial long courrier malgré la concurrence. Longtemps considéré comme un des avions les plus facilement identifiables par le grand public, à l’instar du Concorde franco-britannique, le 747 est rapidement devenu simplement le Jumbo Jet. Ce surnom est une référence à Jumbo l’éléphant vedette au XIXème siècle des spectacles de Phineas Barnum ; c’est également le prénom de la maman de Dumbo dans le dessin animé éponyme des studios Disney en 1941. À bien des égards le Boeing 747 a marqué son temps et comme tout avion de ligne qui connait le succès il est aussi acheté par les militaires, et parfois même adapté à de nouveaux rôles. Voici l’histoire d’un avion vraiment pas comme les autres.
Et celle-ci est singulière puisqu’elle débute par un plantage. Depuis son entrée dans la Seconde Guerre mondiale au lendemain de l’attaque japonaise contre Pearl Harbour l’US Army Air Force puis l’US Air Force ont su utiliser des avions de transport stratégique. Les premiers s’appelaient alors Douglas C-54 Skymaster et Lockheed C-69 Constellation puis après guerre Douglas C-74 Globemaster, C-124 Globemaster II, et C-133 Cargomaster, Boeing C-135 Stratolifter, et enfin Lockheed C-141 Starlifter. En 1964 l’époque était venue au gigantisme le Pentagone engageant le programme CX-HLS (pour Heavy Logistics System) visant à trouver un avion pouvant transporter 52 tonnes de charges sur 9300 kilomètres de distance à la vitesse de croisière de 800 kilomètres heures. Pour l’époque c’était tout simplement ahurissant. Et pourtant tout ce que l’Amérique comptait d’avionneurs de premier plan y répondit : Boeing, Douglas, General Dynamics, Lockheed, et Martin.
En fait la compétition n’eut pas vraiment lieu, le projet de Boeing étant écarté sur plans, au même titre que l’ensemble de ses concurrents. Seul celui de Lockheed fut retenu. Le C-5 Galaxy était né. On aurait alors pu croire que l’avionneur de Seattle allait s’arrêter là et envoyer son avion aux oubliettes. Sauf que ses équipes croyaient dur comme fer dans ce quadriréacteur à aile en flèche reprenant l’architecture du double pont alors marginale. Le constructeur américain l’avait déjà initié avant-guerre avec son hydravion commercial Boeing 314 Clipper tandis qu’il avait retrouvé quelques couleurs après guerre en France avec le quadrimoteur Breguet Br.763 Deux Ponts. Pourtant les ingénieurs de Boeing avaient puisé leur inspiration ailleurs, et en fait en Grande Bretagne. La configuration à double pont était la même que celle de l’Armstrong Whitworth AW.660 Argosy.
Le Boeing 747 pouvait naître à son tour, comme avion civil et non comme appareil militaire. Il fallait cependant convaincre les compagnies aériennes qu’un marché existait pour le transport commercial de masse. Jusque là l’aviation civile avait été réservée à une confortable élite financière ; désormais il fallait l’ouvrir au plus grand nombre. Madame et monsieur tout-le-monde allaient avoir la possibilité de «prendre l’avion». La première à faire confiance au Boeing 747 fut la Pan-Am qui le mit en service en janvier 1970 puis vinrent Air France, la BOAC, ou encore Iberia.
Au Boeing 747-100 de base l’avionneur ajouta bientôt le 747-100B dédié aux aéroports de seconde zone et le 747SR, SR pour Short Range, spécialisé dans les vols intérieurs à haute densité. Le succès fut immédiat. Au point que Boeing sortit rapidement son 747-200B très long-courrier et ses dérivés 747-200B Combi pouvant transporter fret et passagers ainsi que le 747-200C Convertible pouvant passer lui d’une configuration passagers à une configuration tout cargo. Cette évolution fit forcément naître le 747-200F.
Avec ce dernier le Jumbo Jet entrait sur le marché du transport de fret civil. Radicalement nouveau il reprenait le nez basculant vers le haut imaginé à l’origine pour le programme CX-HLS et voyait ses hublots disparaitre. En conteneurs ou sur palette le Boeing 747-200F pouvait accueillir 90700 kilogrammes de charge marchande sur 7600 kilomètres, soit bien plus que nombre d’avions de transport militaire de l’époque. Mis à part bien sûr le Lockheed C-5 Galaxy. En 1976 apparut sur le marché le 747SP, pour Special Performance. Il s’agissait d’un modèle au fuselage raccourci et à l’empennage agrandi. Rapidement affublé du sobriquet de «Jumbo dwarf», le Jumbo nain, l’avion ne connut pas vraiment de succès et se limita à quarante-cinq exemplaires produits seulement. Il démontrait cependant qu’un avion commercial pouvait franchir plus de 12000 kilomètres à 900 kilomètres heures de croisière. L’échec du 747SP poussa Boeing à proposer un avion plus gros que le 747-200.
C’est ainsi qu’apparut en 1986 le Boeing 747-300 pouvant accueillir jusqu’à 44 passagers supplémentaire dans le double pont supérieur. Celui-ci avait été agrandi et n’accueillait plus uniquement le poste de pilotage triplace et la classe affaire, voire le bar de ce dernier. En parallèle déjà l’avionneur pensait le futur du Jumbo Jet. Et pour lui cela passait par des ailettes Whitcomb et un cockpit repensé pour deux pilotes seulement. En fait Boeing avait compris que son nouveau concurrent, Airbus, allait rebattre les cartes. Le 29 avril 1988 le Boeing 747-400 réalisait son premier vol. C’était le coup de maitre de l’avionneur. Plus long, plus fin, plus rapide en croisière, il embarquait plus de passager qu’aucun autre aéronef avant lui. Il pouvait accueillir jusqu’à 416 passagers. À cause de lui le 747-300 ne fut produit qu’à 81 exemplaires contre un total de 694 exemplaires du 747-400, versions de fret comprises. Pour les compagnies aériennes du monde entier le Boeing 747-400 était la marque de réussite, celle de la capacité à voler loin et longtemps.
La seconde moitié des années 1990 fut une période de doutes pour le Jumbo Jet. Les ventes de 747-400 ralentissaient tandis que de nouveaux avions venaient le concurrencer sur le long et le très long courrier : les biréacteurs. Ainsi Airbus A330 et… Boeing 777 réussissaient à lui faire de l’ombre là où le Douglas DC-10 et son évolution le McDonnell-Douglas MD-11 et le Lockheed L.1011 TriStar avaient échoué. À croire que la formule du triréacteur n’avait pas été la bonne. Finalement il faudra attendre 2010 pour que Boeing tente de relancer son quadriréacteur à succès. La solution s’appelle alors 747-8, ou plutôt 747-8I pour la version passagers et 747-8F pour celle de transport de fret. L’avion intègre toutes les nouveautés issues des programmes 777 et 787 Dreamliner. Surtout il est la réponse du berger à la bergère, de Boeing à Airbus et son tout nouvel A380. Seulement voilà après seulement 155 exemplaires produits la chaîne d’assemblage s’arrête. Et avec lui l’aventure technologique du Jumbo Jet. Le 1574e et dernier Boeing 747 sort d’usine le 6 décembre 2022 et est livré à Atlas Air le 31 janvier suivant.
Sur ce total combien d’exemplaires ont été achetés par des forces aériennes ? Très peu en fait, surtout si on compare avec le succès du Boeing 707 auprès des clients militaires. On compte au total une petite quarantaine d’exemplaires militaires. Si les plus célèbres sont sans doute les quatre E-4B Nightwatch de commandement aéroporté et les deux VC-25A «Air Force One» de transport présidentiel de l’US Air Force il ne faut pas oublié aussi l’avion expérimental YAL-1A doté d’une arme laser mégajoule installée dans le nez. Pour autant l’aviation militaire américaines n’est pas la principalement force aérienne à employer le Boeing 747. Cet honneur revient à l’IRIAF, l’Islamic Republic of Iran Air Force, qui emploie un total de seize exemplaires. Il s’agit de quatorze exemplaires de transport de fret, d’un de transport médicalisé, et d’un dernier localement modifié en avion-citerne. Au sens français du terme. C’est d’ailleurs le seul et unique 747 de ravitaillement en vol. L’Arabie Saoudite, Bahreïn, Bruneï, les Émirats Arabes Unis, le Japon, le Koweït, le Maroc, Oman, le Qatar, et la Turquie l’utilisent encore ou l’ont utilisé. Dans les rangs de la Japan Air Self Defence Force les deux Boeing 747-400 de transport de haute personnalité ont par exemple laissé la place à un nombre identique de Boeing 777-300ER. Bahreïn et Oman ont été les deux seuls pays à faire appel au 747SP, le premier pour en faire un avion de transport de hautes personnalités avec capacité au commandement aéroporté et le second pour du simple transport de personnels.
Outre ces versions militaires il existe trois avions bombardiers d’eau appelés 747 Supertanker ayant une capacité d’emport de 74000 litres d’eau et/ou de liquide retardant. Il s’agit d’anciens avions commerciaux transformés pour cet emploi. Marginalement aperçus en Europe ils ont plus fréquemment été employé en Australie et aux États-Unis contre des mégafeux. Suite à des déboires financiers de son propriétaire l’un d’entre eux a été retransformé en 2021 en avion cargo. Il est à signalé que la NASA a également utilisé, en partenariat avec l’agence allemande DLR, un Boeing 747SP baptisé SOFIA. Il s’agit de l’acronyme de Stratospheric Observatory For Infrared Astronomy. Comme son nom l’indique il s’agit d’un observatoire astronomique aéroporté. Il a été conçu à partir d’un 747SP ayant auparavant appartenu à la Pan-Am puis à United Airlines. La NASA a également employé deux 747-100SR très fortement modifiés sous la désignation de Shuttle Carrier Aircraft afin d’assurer le transport de navettes spatiales.
À l’été 2024 des centaines de Boeing 747 volaient encore. Plusieurs autres étaient déjà préservés dans des musées aux quatre coins du globe, comme au Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget près de Paris ou encore au National Air & Space Museum de Washington DC. C’est bien le minimum pour un avion qui aura autant su marquer l’histoire de l’aviation. Et dire que tout est partie d’un échec retentissant !
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