Fondée en 1927, l’entreprise Pan American World Airways (Pan Am) débuta ses opérations en effectuant des vols commerciaux entre la Floride et Cuba. De ses nouvelles installations aéroportuaires à Miami, le premier vol commercial d’un hydravion Sikorsky S-40 à destination de l’Amérique du Sud eut lieu en 1931. Fort du succès de ces liaisons, Pan Am s’intéressa rapidement au développement de liaisons transocéaniques nécessitant des appareils plus performants. Surnommés Clippers, en référence aux célèbres voiliers du 19ème siècle, deux bateaux volants (Flying Boat) furent développés pour ces vols long courrier, soit le Sikorsky S-42, puis le Martin M-130. Malgré la plus grande autonomie de ces hydravions, Pan Am entreprit dès 1935 des discussions avec l’avionneur Boeing afin de disposer d’une nouvelle génération d’hydravion de taille supérieure et offrant un niveau inégalé de vitesse, d’autonomie, de sécurité et de confort pour les passagers.
Les immenses ailes du prototype de bombardier intercontinental Boeing XB-15, alors en développement, furent le point de départ de la conception du Boeing 314 Clipper. Afin de soigner l’aérodynamisme de ce géant, les traditionnels flotteurs en bout d’ailes firent plutôt place à des carénages latéraux de fuselage, concept développé par l’ingénieur allemand Claude Dornier pour son hydravion Dornier Do X. En plus de d’améliorer la portance, ces carénages profilés firent office de réservoirs additionnels de carburant permettant de hausser la capacité totale de l’appareil à un peu plus de 16 000 litres. Quatre moteurs en étoile de quatorze cylindres Wright R-2600 Twin Cyclone, d’une puissance unitaire de 1 500 ch., assuraient la motorisation de l’appareil. Il effectua son premier vol le 7 juin 1938, à partir des eaux du détroit de Puget, non loin de Seattle. Le premier exemplaire était initialement muni d’une simple dérive verticale mais il s’avéra, dès le premier vol, que cette configuration devait être améliorée. Après d’autres essais insatisfaisants avec une bi dérive, les ingénieurs de Boeing optèrent finalement pour une triple dérive.
De construction robuste afin de pouvoir flotter même par grosse mer, le spacieux fuselage du Boeing 314 permettait d’asseoir confortablement 74 passagers pour des vols de jour, ou d’accueillir 40 passagers pour les vols de plus longue durée. En fait, le Boeing 314 était conçu pour un service luxueux, puisque la clientèle visée était celle la plus fortunée voyageant en première classe à bord des paquebots transocéaniques. L’intérieur du Boeing 314 était aménagé d’un salon et d’une salle à manger où des repas servis dans de fines porcelaines avec argenterie étaient cuisinés par des chefs dignes de grands restaurants. À la nuit tombante, la salle à manger pouvait être modifiée en dortoir avec couchettes. Parmi l’équipage de 11 personnes, des hôtesses et des stewards s’assuraient de répondre à tous les besoins des passagers. Cette clientèle de prestige n’était toutefois pas seule à assurer la rentabilité des vols, puisque les services aéropostaux assurés par le Boeing 314 étaient davantage profitables avec une charge utile de 4,5 tonnes de cargo dans ses soutes.
Commandés à six exemplaires par la Pan Am, les Boeing 314 Clipper furent respectivement nommés : Honolulu, California, Yankee, Atlantic, Dixie et American., Le Yankee Clipper inaugura, le 20 mai 1939, la première liaison aéropostale transatlantique de la Pan Am en reliant Port Washington/New York et Marseille/France, avec des escales à Horta/Açores et Lisbonne/Portugal. Le 29 juin 1939, suivant le même parcours, c’était au tour du Dixie Clipper d’effectuer le premier vol commercial au-dessus de l’Atlantique sud avec passagers. Le Yankee Clipper avait toutefois déjà réalisé une première traversée commerciale transatlantique, le 24 juin 1939, en partant de Southampton en Angleterre, avec des escales à Foynes en Irlande, Botwood à Terre-Neuve, Shediac au Canada et arrivée à New York. Comme son nom l’indique, l’Honolulu Clipper effectua sa première liaison commerciale transpacifique le 16 mars 1939, au départ de San Francisco et transitant par Hawaii et les Philippines, à destination de Hong Kong. Grâce à la neutralité des États-Unis au début du second conflit mondial, Pan Am continua à offrir des liaisons commerciales vers l’Asie et l’Europe jusqu’à la fin de 1941.
Pan Am commanda même six hydravions supplémentaires, des Boeing 314A, dont le premier effectua son vol initial le 20 mars 1941. La puissance unitaire des moteurs de cet appareil amélioré fut portée à 1 600 ch. grâce à des Wright R-2600-3 Twin Cyclone. Avec cette puissance accrue, et des hélices de plus grand diamètre, les Boeing 314A augmentaient leur autonomie en pouvant emporter 4 500 litres supplémentaires de carburant, tout en portant sa capacité à 77 passagers. En raison de la guerre faisant rage en Europe, seulement trois de ces nouveaux Clippers, soit le Pacific, l’Anzac et le Cape Town furent livrés à la Pan Am. Les autres Boeing 314A baptisés Berwick, Bangor et Bristol, furent achetés par le gouvernement britannique et confiés à la British Overseas Airways Corporation (BOAC). Arborant une livrée de camouflage davantage typique aux appareils du Coastal Command, mais sans les cocardes militaires, les Boeing 314A de BOAC furent notamment utilisés pour les déplacements de WinstonChurchill et de l’État-major britannique.
Dès l’entrée en guerre des États-Unis, les Clippers de la Pan Am furent réquisitionnés par l’US Navy et désignés Boeing C-98. Repeints avec une livrée grise et bleue, sans toutefois arborer les cocardes militaires, ils furent également affectés à diverses missions stratégiques et opérations secrètes. Souhaitant mettre à profit la grande expérience des équipages civils des Clippers, ceux-ci troquèrent les habits de la Pan Am pour l’uniforme militaire. Une des missions la plus célèbre effectuée par un C-98, fut celle du Dixie Clipper qui transporta le président Franklin D. Roosevelt vers la Conférence de Casablanca en janvier 1943 où des discussions sur la poursuite de la guerre eurent lieu avec Josef Staline, Winston Churchill, ainsi qu’avec les généraux français Henri Giraud et Charles de Gaulle. Sur le vol du retour, Roosevelt fêta même son 66ème anniversaire dans la salle à manger du Dixie Clipper qui fit office de premier « Air Force One », sans toutefois porter cette dénomination des avions présidentiels qui viendra plus tard.
Durant le conflit, les Clippers américains et britanniques furent intensivement utilisés pour nombre de liaisons moins prestigieuses et fracassèrent divers records. Dépouillés pour la plupart de leur aménagement luxueux afin d’augmenter leur charge utile, les Boeing C-98 américains réalisèrent notamment 1 219 traversées de l’Atlantique en 1942. Le Capitaine H. E. Gray, qui deviendra président de la Pan Am dans les années 1960, réalisa 9 traversées de l’Atlantique en 9 jours. Devenant la première personne de l’histoire à réaliser plus de 100 traversées aériennes de l’Atlantique en 1942, le Capitaine R. O. D. Sullivan, qui ne s’était pas rendu compte de son exploit avant que le personnel de terre lui apprenne, dit simplement qu’il avait un peu faim en descendant de son Clipper taché d’huile. En plus de la multitude des vols réguliers au-dessus du Pacifique et de l’Atlantique, les C-98 Clipper réalisèrent nombre de liaisons en transitant par le Brésil et le Libéria afin de supporter les forces britanniques en Égypte. Faisant escale sur la mer Caspienne, non loin de Téhéran, les C98 effectuèrent également des vols de soutien auprès de l’URSS. Malgré l’intensité de leur utilisation, seul le Yankee Clipper fut perdu en vol le 22 février 1943 lorsque celui-ci s’abîma dans le fleuve Tagus, près de Lisbonne. Conséquence d’une erreur de pilotage, l’aile gauche percuta l’eau lors de la manœuvre d’amerrissage, entraînant dans la mort 24 des 39 passagers et membres d’équipage.
Après la guerre, les Boeing 314 et 314A furent retournés aux opérations civiles de Pan Am et BOAC, mais l’âge d’or des Clipper était déjà révolu. L’avantage des hydravions qui n’avaient pas besoin d’installations aéroportuaires terrestres, fort rares avant la guerre, était beaucoup moins évident avec la multitude d’aérodromes construits durant le conflit pour accueillir les bombardiers lourds et avions de transport militaire. Des avions long courrier, tels que le Douglas DC-4 et le Lockheed Constellation, étaient dorénavant disponibles et plus faciles à piloter que les hydravions. Les vols des Boeing 314 de Pan Am cessèrent donc en 1946 et sept appareils encore en état de vol, furent vendus à New World Airways qui ne les opéra jamais. Avec ses Boeing 314A, BOAC continua à offrir des vols réguliers New York – Bermudes jusqu’au début de 1948. Vendus à des ferrailleurs, aucun de ces élégants Clippers ne subsiste aujourd’hui.
Des nostalgiques souhaitent toutefois repêcher deux Boeing 314 reposant au fond de la mer. En 1945, l’Honolulu Clipper fut sabordé dans le Pacifique, près des îles hawaïennes, suite à une avarie de moteur le forçant à amerrir au large. Le Bermuda Sky Queen, auparavant nommé Cape Town Clipper, fut également coulé dans l’Atlantique en 1947 pour les mêmes raisons. Peu endommagé, l’Honolulu Clipper, aurait été localisé en 2012 grâce à du matériel russe opéré par une équipe privée française qui évalue comment le récupérer. Qui sait, verrons-nous un jour un exemplaire de cet avion légendaire qui marqua l’apogées des Clippers volants.
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