Dans l’histoire de l’aviation les aéronefs conçus par l’industrie allemande de l’époque hitlérienne tiennent une place à part. D’abord parce qu’ils furent assez souvent très réussis et ensuite parce qu’à la fin de ce régime ils étaient fréquemment très en avance sur leur temps. On retient bien souvent les «armes de la dernière chance» comme l’avion-fusée Bachem Ba 349 Natter ou encore les jets de combat à l’image du chasseur biréacteur Messerschmitt Me 262 Schwalbe. Pourtant il y a d’autres domaines dans lequel le génie allemand se révéla redoutable, à l’image du vol à haute altitude. L’un des avions les plus aboutis dans ce genre ne dépassa pourtant pas le stade expérimental : le Blom und Voss Bv 155.
Durant la Seconde Guerre mondiale la Sicherheitsdienst, ou SD, c’est à dire le service des renseignements militaires nazis placés sous l’autorité des SS, disposait d’espions particulièrement bien infiltrés aux États-Unis. À l’été 1942 elle informa Berlin que l’avionneur américain Boeing développait un bombardier stratégique capable de voler à très haute altitude tout en emportant une charge de bombe comparable à celle du Consolidated B-24 Liberator. Selon les renseignements allemands le futur avion était destiné à remplacer le B-17 Flying Fortress au sein des unités de l’US Army Air Force. Il ne faisait aucun doute pour les agents secrets SS qu’un tel avion serait déployé en Angleterre pour venir frapper l’Allemagne.
Quand quelques jours plus tard, le 21 septembre de la même année le XB-29 réalisa son premier vol leurs craintes furent confirmées. En fait les experts de la Luftwaffe le comparaient déjà à leur Amerikabomber, le Messerschmitt Me 264 alors en cours de développement final.
L’aviation allemande prit très vite l’affaire très au sérieux. Ses spécialistes savaient pertinemment que la version de série du XB-29 serait totalement à l’abri des chasseurs monomoteurs Focke-Wulf Fw 190 et Messerschmitt Bf 109 autant que des bimoteurs Messerschmitt Bf 110 et Me 210. Il fallait donc lancer le développement d’un chasseur à haute altitude spécialisé dans l’interception de ce nouveau type de bombardier. Il en allait de la survie du Troisième Reich. Ainsi naquit le programme Höhenjäger.
Il fut confié début 1943 aux deux principaux constructeurs de chasseurs en Allemagne : Focke-Wulf et Messerschmitt. Pour ce second constructeur Höhenjäger prit la forme du Me 155, un avion dérivé directement du Bf 109T conçu à l’origine comme chasseur embarqué pour les besoins de la Kriegsmarine et abandonné après l’échec du programme de porte-avions Graf Zeppelin.
La première modification fut la dépose du moteur Daimler Benz DB601N d’origine au profit d’un DB628 du même motoriste. Ce second moteur disposait d’un compresseur TKL-15 et développait 1370 chevaux. En août 1943 le développement du Messerschmitt Me 155 fut confié à Blohm und Voss afin que le constructeur se focalise sur la production en grande série d’avions plus urgents.
Le Me 155 devînt ainsi Bv 155.
Les ingénieurs des deux constructeurs n’ont pourtant pas la même vision du futur chasseur et une violente dispute éclate entre les équipes de Blohm und Voss et celles de Messerschmitt. Les premiers critiquent l’ingérence des seconds. Ceux-ci veulent imposer des ingénieurs français spécialisés dans le domaine du vol à haute altitude. La SS craint l’infiltration d’agents alliés parmi les ingénieurs collaborationnistes et refuse cette option. Finalement le DRM, le ministère nazi de l’air donne raison au constructeur désormais en charge du développement.
Les équipes de Messerschmitt se retirent définitivement du programme Höhenjäger.
Le moteur DB628 est déposé à son tour, au profit d’un DB603U jugé peu sûr mais développant 1450 chevaux et entraînant une hélice quadripale. Huit radiateurs installés en fuselage et voilure sont nécessaires pour le refroidir afin de lui garantir de voler haut. Suite à ces modifications donnant naissance à un véritable chasseur, ou au moins à ce qui y ressemble, la Luftwaffe confirme sa confiance à Blohm und Voss et passe commande pour cinq prototypes du Bv 155.
Par rapport au Me 155 très influencé par le Bf 109 le Bv 155 gagne une nouvelle verrière en goutte d’eau plus aérodynamique tandis que deux logements pour les radiateurs destinés au refroidissement du moteur son installés en intrados de voilure. Ils dépassent de quelques dizaines de centimètres sous les ailes. Le train d’atterrissage est également redessiné, gagnant une voie plus large. Pour autant une partie du fuselage et de l’empennage du Bf 109E sont conservés. L’armement annoncé est alors très impressionnant : deux canons-mitrailleurs de calibre 20 millimètres et un de calibre 30 millimètres. Des options sont également envisagées pour intégrer la très lourde mitrailleuse MG151 de calibre 14.9 millimètres.
Pour autant quand le prototype du Blohm und Voss Bv 155V1 réalise son premier vol le 1er septembre 1944 il n’emporte aucun armement ! C’est un pur avion expérimental.
La bisbille entre Blohm und Voss et Messerschmitt a eu pour effet premier de donner du temps à Focke-Wulf et son chasseur concurrent Ta 152 est alors quasi fin prêt pour le service actif. Et la Luftwaffe a déjà fait son choix. Malgré ses remarquables performances, telle une capacité de dépasser les 17000 mètres atteinte en décembre 1944 l’avion ne sera pas produit en série.
Pour autant l’avionneur poursuit le développement de sa machine, afin de vérifier s’il peut ou non abattre un bombardier B-29 Superfortress en haute altitude.
Malheureusement pour l’Allemagne cela ne sera jamais su puisque ce Blohm und Voss Bv 155V2 n’est assemblé qu’à 90% quand les armées alliées pénètrent les ateliers de l’avionneur le 30 avril 1945. Le lendemain la Royal Air Force décide de tester l’avion sur le sol britannique. Un pilote d’essais du Royal Aircraft Establishment est alors dépêché à Finkenwerder. L’avion allemand est repeint aux couleurs alliées. Le 3 mai le pilote britannique le Bv 155V1 pour le décollage, encadré par deux chasseurs de la RAF. Quelques minutes après le décollage l’avion pique du nez et s’écrase en s’embrasant. Le pilote britannique est tué sur le coup.
La RAF décide de rapatrier le Bv 155V2 et le Bv 155V3 très partiellement assemblé par la route jusqu’en France puis par bateau. Seul le Bv 155V2 est testé après-guerre par les Britanniques et les Américains. Les essais révèlent alors qu’en terme de vol à haute altitude l’avion de Blohm und Voss n’avait sans doute aucun concurrent sérieux, nul part dans le monde.
Le Blohm und Voss Bv 155 reste aujourd’hui encore comme un des plus étonnants avions expérimentaux allemands de l’ère hitlérienne. Les ingénieurs qui l’ont conçu ont hérité des enseignements de l’utilisation du banc d’essais Junkers Ju 49 des années 1930. Pour la petite histoire les agents de la Sicherheitsdienst se sont quelque peu trompés puisque jamais le Boeing B-29 Superfortress ne servit durant la guerre au-dessus de l’Allemagne.
Si de nos jours on ignore le sort du Bv 155V3 le Bv 155V2 est de son côté préservé aux États-Unis, au sein de la Smithsonian Institute.
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