Durant les années d’entre-deux-guerres, l’industrie aéronautique française tenta de concevoir plusieurs types d’avions spécialement adaptés à une utilisation coloniale. Dans ce contexte, il fallait aussi pouvoir le cas échéant évacuer le soldat blessé ou le personnel infecté vers des structures médicales aptes à prendre en charge les particularismes de la médecine coloniale. Pour cela l’Aéronautique Militaire Française avait su se doter d’une flotte d’avions coloniaux d’évacuation sanitaire des plus disparates, trop même au goût des généraux parisiens. L’état-major comptait bien rationaliser tout cela, et cette idée prit la forme d’un des avions français les plus originaux de l’époque : le Bloch MB.81.
Il faut bien dire que l’empire colonial français était alors, avec celui du Royaume-Uni, le plus vaste du monde. Allant des dunes de sable d’Afrique du Nord aux inextricables forêts primaires du Gabon en passant par les rives du fleuve Mékong ou encore le Levant, il s’agissait d’un territoire âpre à contrôler. L’avion était donc l’outil idéal. Et rapidement l’aviation coloniale sut « recycler » tout un tas de machines qui n’avaient plus de raisons d’être en métropole mais pouvaient encore très bien servir outre-mer.
Quand en 1931 l’idée d’un unique avion d’évacuation sanitaire pour les forces coloniales françaises fit son petit bonhomme de chemin dans l’esprit des décideurs parisiens la flotte utilisée là-bas était des plus déconcertante. Elle allait de vieux bombardiers biplans Breguet 14 datant de la Première Guerre mondiale à des biplans d’entraînement Hanriot-Dupont HD-14 transformés localement, en passant par quelques avions de reconnaissance Potez 25 rapidement modifiés eux-aussi. Un casse-tête pour les mécaniciens autant que pour les logisticiens. Assez étrangement seuls deux constructeurs répondirent à l’appel d’offre du Ministère de la Guerre : Bloch et la SPCA.
Si Bloch proposait un simple monomoteur monoplan à bord duquel prenait place un pilote et un blessé sur brancard, la Société Provençale de Constructions Aéronautiques proposait quant à elle un avion plus surprenant, de grande taille, directement dérivé de son prototype de bombardier bimoteur SPCA-30. Celui-ci devait pouvoir emporter six civières ainsi qu’un médecin. Mais comme le programme du bombardier n’allait pas dans le sens de l’avionneur, il semblait exclu que celui de l’avion sanitaire ait une autre issue. Surtout l’avant-projet de Bloch séduisait les généraux parisien par sa simplicité et sa rusticité. Il fut décidé de commander un prototype sous la désignation de Bloch MB.80.
Ce prototype fut rapidement assemblé et réalisa son premier vol en juin 1932. Doté d’un moteur en étoile Lorraine 5PC d’une puissance de 120 chevaux, il avait un rayon d’action à masse maximale de 550 kilomètres, c’est à dire suffisant pour prendre en charge un blessé ou un malade et le conduire à l’hôpital ou au dispensaire médicalisé le plus proche. Seulement voila les essais démontrèrent aussi que le moteur en question n’était pas forcément très adapté à une utilisation coloniale. Les généraux de l’Aéronautique Militaire Française commandèrent un second prototype doté d’un moteur plus puissant et ayant corrigé les quelques petits défauts de l’avion.
Ce fut chose faite avec le MB.81.01, nouveau prototype propulsé par un Salmson 9Nd de 175 chevaux, un moteur en étoile qui avait fait ses preuves en Afrique subsaharienne, à Madagascar, et en Indochine. Le MB.81.01 vola en octobre 1932. Il intéressa suffisamment l’Aéronautique Militaire Française pour qu’une commande de 20 exemplaires soit passée.
Extérieurement le Bloch MB.81 se présentait sous la forme d’un monoplan à aile basse cantilever de construction mixte métallique et bois entoilé. Sur cet avion le poste de pilotage, à l’air libre, se trouvait très en arrière du fuselage. Et pour cause : un habitacle avait été installé entre le cockpit et le moteur pour permettre l’accueil du blessé ou du malade sur sa civière. Tout y avait été pensé pour le confort de ce dernier. Des crochets permettait l’installation de perfusions et les ingénieurs avaient même installé un ingénieux système de communication permettant au pilote et à son passager de communiquer en permanence. Celui-ci avait alors été breveté sous le nom d’aviaphone. Tout l’habitacle « passager » était gainé de mousses d’amiante pour l’isoler phonétiquement et thermiquement. On ignorait encore à l’époque les dangers de ce produit, hautement cancérogène. Pour le reste le MB.81 disposait d’un train d’atterrissage renforcé permettant son utilisation sur des terrains sommaires
Les premiers MB.81 de série entrèrent en service dans la toute jeune Armée de l’Air en 1935 et furent immédiatement déployés en Afrique du Nord et au Levant. Par la suite des exemplaires prirent le chemin de l’Afrique subsaharienne. Pour autant l’arrivée de ces avions ultramodernes ne stoppa pas nette la carrière des biplans Potez 25 d’évacuation sanitaire. Les monoplans Bloch y restèrent pour la plupart jusqu’à l’entrée en guerre de la France contre l’Allemagne nazie.
En effet en septembre 1939, le haut état-major décida de rapatrier en métropole une partie de la flotte des avions sanitaires coloniaux, et donc les Bloch MB.81. Entre huit et dix d’entre-eux furent stationnés dans l’est du pays, non loin de la ligne Maginot, en attente de la grande offensive. Chacun savait que de tels avions allaient rapidement se révéler plus que nécessaires pour évacuer les blessés les plus durement touchés.
En fait lors de la campagne de France au printemps 1940 la plupart des pilotes de MB.81 ne volèrent presque pas sur leurs avions d’origine. Ils avaient été transféré sur des avions d’observation ou de liaisons, et très peu réalisèrent des évacuations sanitaires.
Cependant lors de la déroute française l’un de ces pilotes démarra son avion, ordonna à son mécano de s’installer dans le compartiment du blessé et prit directement le chemin de l’Angleterre. Il s’agissait du quatrième Bloch MB.81 de série, le seul qui allait servir ailleurs que dans l’Armée de l’Air. Les autres n’intéressèrent même pas la Luftwaffe, et à peine l’aviation de Vichy. La plupart furent envoyés à la ferraille dans le courant de l’année 1941. Dans les colonies la majorité des MB.81 vola jusqu’en 1942-1943, puis faute de pièces ou de réelle volonté de les maintenir en vol, fut interdite de vol.
Reconditionné par les mécaniciens britanniques, doté de marquages et de camouflages idoines, le MB.81 qui avait traversé la Manche fut intégré tout comme son pilote et son mécano dans la Royal Air Force.
L’avion reçut l’immatriculation militaire AX677.
Entre juin 1940 et septembre 1944, cet avion fit ce pourquoi il avait été pensé : évacuer et transférer des blessés et des malades. Pourtant en Grande Bretagne on était bien loin du climat africain. C’est au retour d’une mission entre le sud de l’Écosse et la région de Londres que l’avion termina sa carrière. Le pilote cassa son train d’atterrissage sur un terrain boueux, et faute de pièces les mécaniciens de Sa Majesté ne purent remettre en état de vol le Bloch MB.81 de la France Libre. En effet, depuis plusieurs mois le petit avion d’évacuation sanitaire avait rejoint les rangs de l’unité de transport des FAFL. Il continuait pourtant d’œuvrer quasiment que pour le service britannique, mais au moins il le faisait aux couleurs françaises.
Ainsi s’achevait la carrière chaotique d’un des avions de transport militaire parmi les plus surprenants de l’arsenal français de 1940. Un avion bien conçu, mais finalement pas toujours assez bien utilisé par les aviateurs français. Il ne reste aucun Bloch MB.81 de nos jours.
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