À bien des égards l’entre-deux-guerres fut une période faste pour les évolutions technologiques en matière aéronautique. Entre 1914 et 1918 celles-ci s’étaient limitées, pour d’évidentes raisons, aux seuls aspects militaires. Désormais que la paix était revenue les ingénieurs pouvaient tenter d’améliorer les appareils, et notamment les avions de ligne naissants. Dans tous les pays, ou presque, cette course à la modernité se fit et notamment en France. À défaut d’avoir été produit en série un des avions les plus innovants de cette époque fut le monoplan de transport léger Blériot 111.
En 1928 le transport aérien commercial était encore réservé à une élite financière. Et malgré la technicité de leur métier les pilotes de ligne n’étaient généralement pas mieux considérés que de simples employés par ces riches passagers. D’ailleurs la majorité des compagnies aériennes utilisaient encore massivement des avions de deux types différents : les « limousines » et les « salons« . Si dans les deux cas les passagers voyageaient à l’intérieur et les pilotes à l’extérieur sur les premiers le cockpit était placé à l’avant et sur les seconds à l’arrière. Une situation qui était jugée de moins en moins acceptable par les personnels navigants, notamment lors des survols maritimes ou en zone montagneuse. Les avionneurs le comprirent alors. Un des premiers avions conçus en ce sens en France fut le trimoteur AVM-132 de Schneider-Avimeta. Malheureusement il ne dépassa pas le prototype.
De son côté Louis Blériot qui avait rencontré le succès avec ses biplans quadrimoteurs Blériot 115 et Blériot 155 comptait bien répondre à cette nouvelle attente en développant un avion destiné à un nouveau marché émergent : le transport très haut de gamme. Celui que l’on appelait pas encore l’aviation d’affaire. Il entendait donc produire un avion conçu pour accueillir quatre passagers dans un confort au niveau élevé et pouvant franchir 1000 kilomètres à charge sur un seul moteur. Le nouvel avion reçut la désignation de Blériot 111.
Désormais l’ingénieur et ses équipes devaient trouver le moteur idoine. Et cela allait s’avérer particulièrement complexe. En effet l’époque n’était pas aux moteurs suffisamment fiables pour ne pas être montés en série. Et Louis Blériot tenait à n’utiliser que des modèles produits en France, pas d’importation venant des États-Unis ou de Grande Bretagne.
En terme d’architecture pure le Blériot 111 se présentait sous la forme d’un monoplan à aile basse cantilever contreventée de construction mixte en bois, contreplaqué, et métal. Il disposait d’un train d’atterrissage classique fixe et d’un aménagement type « limousine« . Le pilote prenait donc place seul à l’avant dans un poste ouvert tandis que les quatre passagers s’installaient en cabine, deux dans le sens de la marche et deux en face d’eux. La première motorisation de l’avion s’axait autour d’un Hispano-Suiza 6Mbr à six cylindres en ligne d’une puissance unitaire de 280 chevaux. Celui-ci entraînait une hélice bipale en bois et métal. Désigné Blériot 111/1 il vola pour la première fois le 24 janvier 1929.
Il permit à Louis Blériot et à ses équipes de développer la technique dite des ailes basses cantilever contreventées qui consistait en l’apport de mâts installés à 45 degrés et reliant la voilure au fuselage. Cela devait favoriser l’élasticité de l’aile en plein vol et rendre celui-ci plus agréable pour les passagers. Le Blériot 111/1 fut aussi le premier prototype d’avion commercial français à disposer d’une voilure cantilever, alors appelée aile en porte-à-faux. L’avion fut reconstruit comme Blériot 111/2 avec un train d’atterrissage légère revu et corrigé afin de mieux amortir les chocs à l’atterrissage. Dans la cabine divers aménagements furent apportés comme de nouveaux accoudoirs pour les fauteuils.
En parallèle l’avionneur lança le développement d’une version à moteur en étoile. Il jeta son dévolu sur le Gnome & Rhône 9Ady, en fait un Bristol Jupiter à neuf cylindres en étole fabriqué sous licence française, et ses 420 chevaux. Avec ce Blériot 111/3 lors des essais en vol le cap des 1000 kilomètres de rayon d’action fut enfin passé. Jusque là le Blériot 111/2 ne dépassait en effet pas les 580 kilomètres. Plus que véritable prototype le Blériot 111/3 servit à la promotion de cette famille d’avions. Il se produisit entre 1932 et 1936 un peu partout en Europe, rarement avec succès. Bien que globalement réussi il était trop onéreux pour les compagnies aériennes européennes. En 1934 Louis Blériot tenta de lui faire faire une tournée au Canada et aux États-Unis mais dû y renoncer suite aux coûts annoncés pour son transport par voie maritime. Finalement en 1936 le Blériot 111/3 fut racheté par un industriel espagnol acquis à la cause républicaine et qui le céda à une unité de transport en guerre contre les troupes franquistes. L’avion vola quelques temps sous couleurs militaires avant d’être arrêté de vol, faute de pièces détachées disponibles.
En parallèle de ce Blériot 111/3 le constructeur modifia son Blériot 111/2 en Blériot 111/4 avec pour la première fois en France un avion doté d’un train d’atterrissage classique escamotable. L’ingénieur en chef André Herbemont avait découvert cette innovation aux États-Unis et comptait bien l’en équiper le Blériot 111. Par ailleurs le moteur fut déposé au profit d’un Hispano-Suiza 12Jb à douze cylindres en V d’une puissance de 400 chevaux. Sur ce Blériot 111/4 le poste de pilotage de l’avion était fermé, une innovation supplémentaire pour l’époque sur un avion de ce gabarit. Après plusieurs vols de démonstration le prototype fut offert à la jeune Armée de l’Air en octobre 1934. Celle-ci ne fit voler le monomoteur que quelques mois seulement, ne réussissant pas à lui trouver une utilité réelle. En juillet 1935 il fut envoyé à la ferraille.
La dernière évolution du Blériot 111 fut le Blériot 111/5 Saggitaire de construction métallique qui épousait l’architecture dite des avions « salons« . Le poste de pilotage fut donc installé derrière la cabine et se retrouva par contre de nouveau à l’air libre. Trois motorisations furent essayées dessus : Hispano-Suiza 12Mbr à douze cylindres en V de 500 chevaux puis des Gnome & Rhône K-14 Mistral Major et K-14KBrs Mistral Major de respectivement 515 et 840 chevaux en étoile. Malgré le gain de ce dernier le Blériot 111 n’intéressait toujours pas les compagnies aériennes. Son programme de développement fut finalement abandonné en 1936, l’avion était désormais obsolète. Le Saggitaire fut envoyé à la ferraille.
Aujourd’hui partiellement retombé dans l’oubli le Blériot 111 fut la démonstration flagrante de l’acharnement d’un avionneur autour d’un concept qui finalement ne trouva jamais son marché. C’est un peu à l’image de toute l’aventure de Blériot dans le domaine des avions civils : un constructeur souvent à la marge et rarement capable de répondre aux attentes. Il suffit notamment de se souvenir de son catastrophique Blériot 125 à formule push-pull. Il ne reste de nos jours plus rien du Blériot 111.
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